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Inventaire avant liquidation

[Pénible relecture]

19 Juillet 2015 , Rédigé par Narcipat Publié dans #26 : De la Q.I.te au delirium

     Cela dit, toutes ces élucs, passablement confuses, roulent sur une acception étroite de l’intuition. Il est hélas bien possible que la mienne soit brouillée avec le réel, il n’en demeure pas moins que dans un sens élargi, elle est mon seul outil, que le raisonnement, aussi bien inductif que déductif, est chez moi d’une faiblesse consternante, n’ayant guère fonction que de justifier des conclusions préexistantes, et que c’est sans doute cela que j’aurais dû noter d’abord comme conséquence de l’instabilité mentale. Je me demande ce que j’ai bien pu enseigner de la dissertation pendant vingt ans, restant à bien des égards le gamin qui, lorsqu’il y fut confronté pour la première fois, n’a su y voir que l’organisation factice d’idées préalables, nées de la nuit ou empruntées et déformées : le raisonnement ne me paraissait pas le squelette, mais l’habillage de la pensée, et il est à peu près sans exemple (en tout cas je ne m’en rappelle aucun) qu’il m’ait permis de trouver quoi que ce soit. Il va de soi que les idées nouvelles, depuis les plus anciennes et élémentaires (« Il n’y a pas de Père Noël », « Maman ne m’aime pas », « Papa est un menteur », etc) ne surgissent pas du néant, mais elles semblent apparaître sous une forme déjà élaborée dans les cuisines de l’inconscient, et leur démonstration n’est pas mon fort. Il n’est pour m’en convaincre que de relire le chapitre en cours, particulièrement probant, puisqu’il en est à sa troisième rédaction, si l’on peut appeler ainsi un exercice de disposition qui tient plus du puzzle que du développement méthodique. En “rédigeant” ce morceau en octobre 12, je puisais déjà dans un riche trésor de fonds de tiroirs, parfois vieux de cinq ou dix ans, que tant bien que mal je toilettais et raboutais ensemble. De quel œil avais-je relu le produit fini? La solitude vous distend la fibre : quand on est tout-spectacle, et que l’épreuve de la publication s’estompe dans le lointain, on tend à se satisfaire de fort peu. En tout cas, c’est seulement en mars 14 que, mettant le texte en ligne (dans le blog présenté ici comme “abandonné”, et auquel, en panne d’inspiration, et guetté par cette dépression qui, à m’en croire, n’existe pas, j’étais revenu en avril 13), le souk qui y régnait m’a paru excéder le tolérable, et que j’ai pris la décision pénible de “tout recommencer”… non pas sur table rase, comme je le devrais, mais en m’efforçant de le découper en “modules” et de les mieux enchaîner – tout en conservant la fiction d’une rédaction en 12, pour n’avoir pas à trop remanier les chapitres suivants, à moins qu’ils ne soient tout aussi mauvais [sinon pires, gargl], et que les premiers, une fois relus… Halte à la dig! Au jour qui s’ouvre, en voilà douze que je suis attelé à ce rapetas, à cette misérable tentative de remembrement, dont le plus clair effet, c’est à craindre, aura été de scier le reste de primesaut qui faisait la seule qualité de ces pages, sans les doter de rigueur pour autant. Je ne vais pas les reprendre par le menu, il y a des limites à l’omphalisme, mais d’entrée de jeu, qu’est-ce que je prétends donc bâtir sur cette “pure euphorie” des statistiques? Que ma valeur seule, non le commerce des hommes, est la clef du bonheur? Il n’en résulte en rien, bien au contraire, de la chercher, et si « la fonction introductive de l’anecdote se fait évanescente », pourquoi ne pas la bazarder? N’entrons pas dans le détail d’un long exorde qui ne débroussaille même pas la question, sautons au “vif du sujet” : la précédente version commençait par des considérations sur le papillonnage de ma cervelle, pas si mauvais début, mais j’extrayais de ces données naturelles un salmigondis de déficiences, essentiellement de mémoire, pour embrayer ensuite sur les jeux de société : pourquoi, sinon parce que mes défaites au jeu de Kim standardisé m’offraient une transition facile : « D’ailleurs, si j'aborde la question de mes capacités cérébrales par cette facette, puérile, mais étalonnée, des jeux de société, force est d'admettre que je ne me situe pas très loin du poste de dernier des derniers. » Fort bien, pour l’œil et la lecture cursive, mais lesdits jeux, et notamment les échecs, m’entraînaient vers des conclusions qu’il valait mieux réserver pour la fin. En gros, il est plus satisfaisant pour l’esprit de liquider d’abord la question de la mémoire (bien qu’il me gêne d’accepter telle quelle cette catégorie préétablie), pour passer à l’accumulation du savoir, puis aux inhibitions des apprentissages, donc à la question centrale de l’écoute, avant de s’interroger sur les cafouillages de la compréhension et leur éventuelle innéité. Mais c’était repousser d’autant la donnée brute de l’errance naturelle de l’esprit, et ces jeux auxquels je me suis montré si pitoyable, que je n’ai pas encore trouvé l’occasion d’aborder, et qui cependant auraient apporté leur pierre au bilan : « Je vis dans un rêve. » Pour résumer, je crains que la version en cours ne soit guère plus rigoureuse que la précédente, et ceci pour la raison basique que les “parties” ne procèdent nullement l’une de l’autre, que tout ce bilan m’arrive ensemble, que l’enchaînement des matières relève de la rhétorique, et non du raisonnement. Un lecteur sera-t-il dupe, je ne sais, mais comment une transition comme « voilà que j’ai encore décollé de mon thème, et ce défaut de suivi, aggravé par la complaisance… » pourrait-elle paraître autre chose que la pirouette éhontée qu’elle est? Non que les éléments ne soient pas liés : en un sens, je raconte toujours la même chose, et chaque ligne grince de passerelles branlantes vers tout le reste; d’autre part, j’ai la préoccupation obsédante de jointoyer et de colmater, pour que la critique n’ait pas brèche où s’engouffrer, ce qui rend mon laïus étouffant. Mais la traduction de cette vague unité en discours linéaire est constamment factice.

    Il est certain que la rage de réutiliser n’y est pas étrangère, et qu’un paragraphe rédigé sans béquille ne présente pas les mêmes travers; mais il court à l’aventure, et le défaut de rigueur y est peut-être encore plus sensible : voyez cette tartine sur l’intuition, elle toute fraîche, pas une ligne n’en figurant dans la version précédente : est-ce que mon dilemme (en avoir ou pas) mérite qu’on s’y arrête, et à supposer que ce soit le cas, ne serait-il pas au moins clarifié par cette sanction du réel qui distingue deux acceptions du mot? Il s’agit de savoir si la connaissance immédiate, alias empathie, pour ce qui concerne au moins les hommes, est ou non mythique. Notons d’ailleurs que même en ce sens, parents, collègues et intéressés m’en ont prêté, en ratifiant mes bulletins, et que si l’impression d’être aveugle à bien des choses que tous les autres distingueraient n’est pas pure lubie générée par la méfiance et l’angoisse, elle s’explique partiellement par l’isolement (pas de contacts, pas de télé) et la perversion “artiste” (ou histrionique) du discours et de la pensée : il y a des chances que mon goût de la vérité ne soit qu’une subdivision du désir de distinction, et en tout cas que la singularité et la dissidence me paraissent plus précieuses que la pertinence. Je ne suis d’ailleurs pas le seul : La Rochefoucauld, encore et toujours… « C'est plus souvent par orgueil que par défaut de lumières qu'on s'oppose avec tant d'opiniâtreté aux opinions les plus suivies : on trouve les premières places prises dans le bon parti, et on ne veut point des dernières. »

    Où l’on commence à déraper, c’est quand je suspecte (chez les autres, pour le coup) une forme d’aplomb de se substituer à l’à-propos. Qui affirme me bluffe, au moins pour un temps. Seulement, peut-on encore invoquer l’intuition, si elle n’est pas corroborée? Peu importe le mot, mais c’est parler d’autre chose. Et la purée de pois s’épaissit quand j’aborde mes deux “familles”, cette du “c’est comme ça” et celle du “qui sait?” car en principe, on sait très bien si le réel tranche, et ceux qui déplacent leur graisse pour voir un bœuf voler, ou essaient encore après cent échecs ne sont que des rêveurs. Sauf que le réel est dans une large mesure esclave des présupposés… du moins en matière humaine, la seule qui m’intéresse, et par dessus tout, quand on se penche sur soi : déterminer ses limites, c’est s’interdire de les outrepasser. Les faits, neuf fois sur dix, donneront peut-être raison à Kapok et à sa psy du sens commun, mais à la dixième, au moindre type à la fois paresseux et travailleur, gentil et méchant, stupide et génial, l’édifice s’écroule. D’ac, vieux, on sait tout ça, ce n’est pas l’objet du réexamen en cours. Tu te proposais de rendre compte du malaise que t’inspire ta propre argumentation, ou, n’allons pas si loin, un exposé qui se veut cohérent, et qui paraît fuir de partout. Reprenons : n’est-ce pas cette vison synthétique des deux groupes qui pèche? La liaison entre le refus des certitudes imposées et la tentative d’élaboration d’un système personnel semble valide, même s’il me faut simplifier Kapok pour les besoins de mon parallèle, car elle n’était pas absolument réfractaire aux théories, et si celles qu’elle pondait me paraissaient puériles et pétries d’ignorance, va-t-en mesurer, dans mon verdict, la part du préconçu! Que d’autre part l’acceptation d’une grille octroyée en permette l’utilisation, donc un jugement d’une sécurité illusoire et d’une rapidité certaine, c’est indéniable; est-il pour autant établi que cette “intuition” sujette à caution suppose nécessairement que les choses et les êtres sont ainsi et ne changeront pas? Après tout, « you never can tell » relève aussi de la “sagesse populaire”! Soit, mais dans ce cas, on ne peut parler ni d’intuition, ni même de jugement, puisqu’il est suspendu! Quant au rapport avec l’utopie, n’est-il pas patent? Tout classement, voire toute affirmation, hormis la présente et ses petites sœurs pyrrhoniennes, limite les possibles, et réifie l’humain.

    Qu’au sein du doute je puisse me montrer aussi catégorique que les pires donneurs de leçons, ne s’inscrit pas non plus en faux contre le raisonnement même, sauf que la dérive de la notion d’intuition se poursuit. Car ce qui en fait office chez moi, n’est-ce pas l’application quasi-automatique d’un système entièrement fondé sur l’introspection? Quand je prétends détecter la signification de tel ou tel trait du comportement d’autrui, je ne fais que cerner, sous réserves, le sens que ce trait aurait chez moi – s’il était mien. Le système est partiellement opérationnel, puisqu’il me permet de lier un trait aux autres, et peut-être, au préalable, de les notifier; mais l’“intuition” ne jaillit pas alors des gouffres obscurs, elle est déduction d’une connaissance qui feint d’être établie, ne saurait l’être qu’une fois entérinée par l’intéressé, et qui pèche par sa rigidité livresque, même si la “doctrine” est, pour l’essentiel, celle que je me suis forgée “en attendant mieux” : je me fais parfois l’effet d’un cuistre, avec son manuel sous le coude, pas si éloigné de ce psychiatre qu’évoque Olievenstein : « Alors, monsieur Olievenstein, c’est une schizophrénie? – Il ne me semble pas, monsieur. – Non? Alors une mélancolie? – Je ne crois pas, monsieur. – Non plus? Alors, c’est une débile? – Certes pas, monsieur. – Alors?… C’est rien du tout? » À cette nuance près que toi, pour moi, c’est moi ou “rien du tout”!

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