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Inventaire avant liquidation

[Le conformisme des Q.I. élevés]

19 Juillet 2015 , Rédigé par Narcipat Publié dans #26 : De la Q.I.te au delirium

    J’ai trouvé un double de mon maître, il y a une douzaine d’années, en la personne de M***, prof de philo à Fort-Glandu, le bonhomme le plus autosatisfait peut-être que j’aie connu (et réciproquement!), et que je n’étais pas loin de considérer comme un abruti, pour son incapacité, nous y revoici, à relativiser les concepts – de Respect, de Mépris, de Profondeur, de Droits de l’Homme, etc –, pour son conformisme, notamment politique, et surtout la perception complaisante qu’il en avait : sans une idée qui dépassât du Libé, du Monde ou de la télé de la veille, il se voyait à la pointe de l’innovation et des luttes, se présentant en Saint Michel combattant le dragon… du fâchisme, du fondamentalisme religieux, et autres vieilles lunes et causes jugées. Quant à traquer ses propres préjugés idéologiques, ça ne formait pas sens pour lui : l’idéologie n’encrassait que les autres. Enfin, je serais intarissable, chose en soi suspecte, surtout depuis la révélation des bains : comme il ne fichait pas grand-chose (faisant grand usage de la radio et du cinoche, et ayant notamment bloqué un cours le samedi matin, qu’il consacrait intégralement à l’écoute d’une émission de Finkielkraut) et n’avait pas plus d’amis que moi-même (un record), il m’invitait souvent à l’accompagner aux bains sulfureux, dans la montagne, et pour ne pas trop m’y raser, j’y avais trimballé un jeu : quelle ne fut pas ma stupeur d’essuyer d’emblée une sévère piquette! « Bien fait pour ma gueule, ça m’apprendra à te prendre pour un con! » L’ennui, c’est qu’elle fut confirmée par la revanche, et ensuite dans les deux fois sur trois – encore la troisième résultait-elle surtout de simplifications via échanges, effectués par mes soins, et qu’on pouvait à bon droit – M*** ne s’en faisait pas faute – trouver inélégants. Ce prétendu crétin me dominait surtout dans les milieux de parties, et plus ils étaient complexes, plus il prenait son pied : je ne crois pas l’avoir jamais vu échanger les reines pour gagner un pion, ni même la qualité, et si l’émulation pouvait me bonifier l’esprit, aucun partenaire n’était plus souhaitable. Hélas, tout me porte à croire que je suis de ces pauvres types que la concurrence abat, loin de les stimuler : la peur de perdre débouche sur la dévalorisation de l’épreuve et le baisser de bras. Du reste, peut-on parler de concurrence quand on trouve, tout simplement, plus fort que soi? Après tout, il ne me gêne guère de reconnaître que neuf sur dix des micro-joueurs que j’ai écrasés n’avaient tout simplement pas une chance, même en consacrant aux échecs leur vie entière, tout comme Michel ou M*** face à X, X face à Y, et Y face à Kasparov! Encore devrait-on sans doute multiplier par dix les intermédiaires. Si chacun d’entre nous est doué, de naissance ou autre, d’une faculté combinatoire à peu près fixe, il serait tout simple d’admettre que la mienne se situe à équidistance du sublime et de la nullité, disons aux environs de la moyenne. Mais bien sûr cette réification-là ne fait pas mon affaire, et je préfère concéder à tout le monde la faculté d’aller à tout plutôt que de m’en priver moi-même.

    D’autre part, n’est-il pas significatif que ces deux individus se signalassent par leur conformisme? M*** était à cet égard une véritable caricature, me citant comme argument massue, dans nos controverses sur la Shoah, que Vidal-Naquet avait dit que Faurisson mentait. Qu’une des parties fût privée de parole, et qu’on ne connût de ses thèses que ce qu’en voulait bien présenter la partie adverse pour les réfuter sans effort ne le choquait pas du tout, puisque lesdites thèses étaient mensongères, insensées et dangereuses. Ç’allait de soi, bien qu’il n’en connût rien, et qu’on voie mal quel danger fait courir la folie. Mais comme on constatait là-dessus l’unanimité des savants estampillés et des gens de bien… La vérité se trouvait nécessairement dans l’histoire officielle et dans la presse, et il n’y avait pas à le déloger de là, puisqu’il ne faisait que semblant de dialoguer, réclamant douze fois de suite “une preuve, une seule preuve” (comme Faurisson!) du “grand mensonge” les médias, dont la “preuve”, quand bien même j’aurais soutenu cette thèse simpliste, était bien évidemment impossible, soi qu’on la puisât dans les médias eux-mêmes (attestant par là leur pluralisme), soit qu’elle sortît d’ailleurs, auquel cas, juge et partie, M*** ne l’avalisait pas. Lors du second tour de 2002, véritable spectacle de république bananière, avec tous ses journaleux braillant à l’unisson pour un des camps, et défilés de Chirakjügend ineptes scandant leurs slogans, il célébra sans réticence le sursaut citoyen puisque, n’est-ce pas, Le Pen était le Méchant. Incapable du moindre recul, adepte de l’a priori purement verbal (“les animaux ont des instincts, or nous sommes des animaux, donc”… et de prouver l’indépassable “instinct de propriété” par les pissettes du chien marquant son territoire), brandissant à tout sujet l’argument d’autorité (tu n’es pas économiste… pas historien… un agrégé m’a dit, etc), je resterais bleu que ce mec-là enseignât la philo (et considérât, sic, qu’en sa personne j’insultais cette discipline [1]) si je n’avais noté une similaire raideur chez C***, mon collègue de Maurice. Mais ne généralisons pas. M*** était un confiné con fini (maréchal d’Ancrage, ouaf ouaf) de par son écoute nulle, sa psychorigidité, sa quiète autosatisfaction, son inaptitude à sortir du cadre, qui frisait l’infirmité; seulement, de tout cela aucune Cour Suprême ne tranchait; alors qu’il n’en était pas besoin pour voir, en noir et blanc, qu’il m’infligeait aux échecs des pâtées d’autant plus sévères que les parties étaient plus compliquées.

    Michel est assurément très au-dessus d’un pareil bourbier. Mais c’est pitié de noter les efforts qu’il fait pour se distinguer par des thèses originales, presque aussi pathétiques que les miens pour comprendre la doxa. Il baigne dans l’idéologie, en saisit tout, y batifole à l’aise, ajoutant à grand ahan son petit dièse ou son micro-bémol; mais tout reprendre à zéro, reconsidérer les idées reçues, lui est impossible; quand je l’y invite, il n’entend tout simplement pas, et, au lieu de répondre, s’élève immanquablement sur l’aile puissante d’un “en fait…” et reprend son ronron inchangé. Seulement, mes conneries méritent-elles qu’on les prenne une minute en considération? Complétons le tableau avec la sempiternelle Kapok, qui ne joue pas aux échecs (le scrabble est tout de même moins probant) mais que je crois sur parole quand elle me dit récolter 130 aux tests de Q.I.; or elle a vécu quarante ans avec Charles, et je ne l’ai pas vue changer d’avis une fois, voire être effleurée du moindre doute, ou même, je le répète, saisir de quoi il était question quand nous nous interrogions sur les outils. Mais bien sûr, la bêtise atroce de Kapok n’est pas, elle non plus, objet de consensus, et il m’est bien difficile de me remparer moi-même dans une condamnation puisque, on l’a vu dans Floréal, je ne manquerais pas d’indulgence pour la même en jeune et mignonne. Qu’elle ne pige rien, soit au plus haut degré dépourvue d’écoute, et d’une désespérante psychorigidité, c’est moi qui le dis, et estime le prouver sur pièces, mais sans grand espoir que ce verdict soit ratifié par quiconque, et surtout par l’intéressée.

    Laissons les individus, qui m’amènent à revenir à mes deux types d’intelligences incompatibles, pas exactement l’esprit de géométrie et l’esprit de finesse, ni l’oralité versus analité, mais, sous bénéfice d’inventaire, une soumise et engoncée, qui s’opposerait à une évasive et révoltée. À aucun moment je n’ai prétendu, en jouant, contester, dépasser, transcender, que sais-je? les règles des échecs : l’insoumission serait en l’occurrence sans objet. Peut-être m’est-il difficile de m’appliquer à une discipline fermée, mon type d’esprit m’emportant vers d’autres horizons, mais il n’y a pas incompatibilité dirimante si les règles sont définies, donc de quoi échapper à ma déficience en l’expliquant (ce qui, tout de même, paraît le but de l’opération). En revanche, si j’aborde le vaste champ des devinettes, des charades, et, d’une manière générale, des questions dont il faut retrouver les réponses sans qu’aucune loi soit précisée, comme si elles étaient valides dans l’absolu, c’est une quasi-impotence qu’il me faut confesser. Le cercle familial comporte trois adeptes des mots croisés : mon père, le frère ci-dessus, et, étrangement, ma sœur. Le papa, d’ailleurs, serait encore plus étrange, si l’on prêtait l’oreille aux attendus de ma propre répugnance : ce qui m’est en somme intolérable, c’est de me casser la tête sur l’énigme imaginée par un autre, et qui pis est, un simple grouillot. Si je vois mon père sécher sur une grille, et l’entends me citer, en guise d’exemple d’extrême difficulté : “Comporte un cygne et un aigle”, je suis ravi de lui rétorquer du tac au tac : “Épiscopat” (raison pour quoi c’est la seule définition que j’aie retenue, à part “Vide les baignoires et remplit les W.C.”) mais sans oublier que dix autres réponses pourraient valoir celle-là, et l’espèce d’humiliation de trouver ma cervelle spontanément conforme à celle de “l’aliboron qui a inventé ça”. Encore passe, si ça vient tout de suite. Mais peiner en vain sur ces fariboles! Me mettre à la remorque de la création d’autrui! C’est ce qu’on fait en lisant, peut-être, mais je ne suis pas grand adepte de l’opacité, et ne consens à me creuser la tête, à la rigueur, que sur la prose d’un gars qui a fait ses preuves, et dont je sois au moins sûr qu’il n’est pas obscur exprès.

    Les “tests d’intelligence” sont en partie composés de questions de ce carat, dont les réponses “officielles” ne frappent pas toujours par leur caractère d’évidence. “Quel est l’intrus?” dans un groupe de mots, de figures de silhouettes? Et si moi j’en trouve un autre, d’intrus, au nom de lois différentes? Les séries de cartes et de dominos sont-elles vraiment à sortie unique? Quoi qu’il en soit, il me semble qu’il n’y a pas plus efficace, pour trouver “la” solution, que d’épouser exactement le type de raisonnement, les préjugés peut-être, du poseur de problème : sans aller jusqu’à la caricature des “Montrez comment l’auteur a”… du Bac français, qui n’excitent en moi que le désir de montrer qu’il n’a pas, ou de démonter les concepts mis en jeu, il me paraît clair que plus on a pioché d’énigmes de ce genre, plus le réflexe s’installe de balayer les “bonnes” hypothèses, et qu’en somme, plus on est conforme, plus le Q.I. cartonne – un esprit polarisé vers la contestation, la sortie du cadre, étant tenu pour inintelligent. Comme je ne connais pas grand-monde, je reviens toujours à Kapok, dont je ne suis pas sûr, après tout, qu’elle ne bidonne pas ses résultats, tout comme elle se pique de passer pour une grande empathique et intuitive en se renseignant en douce, alors qu’avec les moyens du bord elle ne devine rien ni personne. Mais je ne serais pas surpris que cette cervelle bouchée à l’émeri soit effectivement performante intra muros, dans la mesure même où elle ne dispose d’aucune fenêtre pour regarder à l’extérieur. Si l’Amour et l’Orgueil, la Droite et la Gauche, etc, constituent des ensembles disjoints, il n’y a pas lieu de vagabonder quand on vous demande si c’est l’un ou l’autre, le seul ennui, c’est que la réponse sera irrémédiablement, à mes yeux, dans le cadre, mais à côté de la plaque. Esprit de géométrie? Pour l’ordinaire, la chaîne des inductions/déductions n’est pas bien difficile à suivre. Esprit de simplification, dirais-je plutôt, qui vous focalise sur des alternatives simples, et permet de trancher aisément. Cette limitation artificielle, qu’opère le grégarisme sans même s’en douter, fait probablement merveille dans la plupart des tests standards, de même qu’au scrabble je suppose rentable de se borner à la mission de placer son W où il comptera triple… avec cette nuance tout de même que dans ce cas étroit, la simplification est justifiée, la règle du jeu étant bien définie.

 

 

[1] « ne prétends-tu pas juger la philosophie comme exempte de profondeur alors que tu ne comprends rien à Kant, Husserl, Heidegger, Derrida ou Deleuze, et que tu te défiles chaque fois que, par altruisme, je veux te l'expliquer ; que tu serais incapable de passer une agreg., un capès ou même un simple deug de philo ? » : extrait du “bilan final”! Ce qu’il s’était toujours dérobé à m’expliquer, c’était cette notion de “profondeur” qui me paraissait creuse – et l’était assurément dans sa bouche; mais ne s’agissait-il pas ici de placer les dernières assertions (nul en philo), que je ne saurais que vidimer? À part ça : « Quant à ce que je dirais de toi, rien de plus que tu es l'être le plus méprisant et le plus imbu de lui même qu'il m'ait été donné de rencontrer. » Naturellement, je ne prétends pas rééquilibrer d’une notule en bas de page. Seule notre correspondance intégrale, sans l’ombre d’un commentaire, aurait allure d’impartialité; hélas, les, ou plutôt le sujet tabou qu’elle aborde sans gants, en rend la publication impossible. D’ailleurs, je ne la relirais pas sans grincements de dents, bien inutiles; car rien ne l’entamait, et il ne répondait à rien.

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