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Inventaire avant liquidation

[Blitzliebe]

16 Juillet 2015 , Rédigé par Narcipat Publié dans #19 : Floréal

     Combien de temps nous donnais-je, pour passer de la généralité au cas particulier? Malgré ma crainte d’avoir vidé mon sac avant, je tablais sur des mois, et me promettais de ne progresser qu’avec une circonspection extrême. Or, en moins d’une semaine et de cent mille caracs, annexes comprises, après s’être déclaré sous couleur d’investigation interne (« Transfert pour transfert, il serait beaucoup plus difficile de déterminer qui, pour moi, peut bien se cacher derrière vous. »), s’être défendu d’être un homme à femmes (« sur un bonhomme qui câline une fois par décennie, voilà une étiquette plutôt mal collée! »), avoir précisé le mode d’emploi (« En fait j'ai eu beau me scruter et m'auto-analyser, les “premiers pas” me demeurent radicalement impraticables, il faut me violer, et il est rarissime qu'on en ait envie. »), avoir limité le risque d’un rejet (« Tout de bon, ne seriez-vous pas non seulement ennuyée, mais offensée, par les propositions d'un crapaud? S'il les ose, c'est que quelque part il les croit valides, et s'il ne délire pas, c'est vous qui délirez, en vous croyant destinée à Brad Pitt »), le Vicomte de Valmont en était déjà, le 14 mai, à retarder le moment par des badinages sur le mot : « Vous m'aidez à vivre, c'est un fait, et je crois bien inutile de chercher un nom à mettre sur un sentiment que, tel quel, je n'ai jamais éprouvé auparavant. D'ailleurs, ne nous le cachons pas, il n'échappe pas au narcissisme réverbéré, et si j'apprécie en gourmet tout ce qui tisse votre vie, les passages qui m'enivrent sont ceux où je crois lire que vous me comprenez, ou que je compte tant soit peu pour vous. Le plus étrange, c'est que vous ayez eu si facilement raison de ma méfiance : après tout, vous vous présentez vous-même comme une menteuse de troisième cycle, et vous pourriez vous amuser à une petite expérience de séduction épistolaire, agrémentée ou non de thérapie ». Le 18, après avoir battu délibérément la campagne : « Je me suis posé ce problème d’école en tricotant des gambettes : si vous n’existiez pas, et si j’avais affaire au juste retour de ma Yumiko Kanazawa (mais en mille fois mieux travaillé) la révélation me ferait-elle SOUFFRIR? Il n’y aurait pas vraiment abandon, et je ne porterais le deuil que d’un être imaginaire... D’ailleurs, pour la beauté du roman, le plus réussi, ce serait que nous n’existassions ni l’un ni l’autre... Je v[message truncated] » Bien reçu néanmoins : « Je crois que je commence à v (message truncated) aussi. Le problème est que je crains après mon copier-coller de demain de ne pas tomber sur un bas de page. » Le “copier-coller”, c’était la photo – d’abord illisible, du fait du format. Le 19 : « Cher ange, je ne suis tout de même pas lâche ou inhibé au point de me refuser à compléter le message caviardé, dès lors qu'on ne sort pas du Web (qui lisse les rides, emplit les orbites et écrase les années), et que le MOT ne serait suspect d'aucune demande ou prétention d'aucune sorte; et d'autre part ça me ferait doux comme le miel de “le dire”; mais 1) je me méfie des ruades du Ça, qui n'est pas une monture très docile 2) JE NE SAIS PAS! “L'état de préoccupation quasi-exclusive”, je suis bien forcé de le constater; mais il me paraît peu... scientifique d'employer de vieux signifiants pour des signifiés tout neufs. Alors? "Schtroumpfer" paraît bien lourd... Laissons décanter le néologisme. » – « Je n'ai pas peur des néologismes décantés (voilà une association bizarre!) » – « Des anges tous deux; des âmes; et Dieu sait, s'Il existe, qu'en un sens ça m'arrange; mais ça me perturbe tout autant d'[en cours]er une âme, une pensée, un style! […] J'ai dit merci? Ah, oui... Pas encore assez. Je pense à vous, et vous... décante toujours. » 20 mai, après traduction du minois en jpeg : « Et si elle ne vous plaisait pas? » Crois-tu donc que je serais si sot et si brutal que de le dire? 21 mai : « Vous m'intimidez plus que jamais! Convenez que la théorie du “sourire transfigurateur” et de la “confiance en soi” vous est un peu facile! Mais je remets le sermon à demain : ce soir, j'ai trop à faire de vous regarder.

  Bonne nuit. “Je pense à vous” a tout de même un sens plus plein... »

22 : « Je vous ????????????, mais vraiment beaucoup beaucoup.

Votre part d'ombre, et qui s'en sent illuminé »

– « ??????? N'ayant jamais ressenti cela, je ne connais pas les mots pour le dire. »

– « à l’alambic des néologismes il ne perle que des pauvretés, et c’est cette alchimie même qui finit par me paraître puérile : qu’importe après tout que LE mot ait été utilisé vingt fois dans des sens différents, et bien souvent en guise de mensonge de politesse, si c’est celui qui monte du coeur et le seul qui apaise? D’ailleurs, à bien regarder, je n’ai jamais dit “je vous aime” à personne. »

– « Savez vous que ces mots vous me les avez déjà dits dans mon rêve de l'autre nuit, mais vous ne pouviez pas le savoir. Savez vous que ces mots, je vous les ai dits aussi, dans le même rêve… Mais, il y a une grosse différence entre rêve et réalité :  J'ai dû sortir, marcher un peu : le jour est devenu plus lumineux, l'air, comme une boisson un peu forte. Je suis rentrée pour vous répondre, juste pour cela et puis je ressortirai marcher, marcher. Tant pis pour le déjeuner : je n'ai plus faim que de mots. Même si ces mots errent dans tous les livres et sur toutes les lèvres, ils deviennent uniques .Je crois que la  petite Flore vous aime aussi .

     Je vous aime.

           Flore

Ps : il y en a un autre (mail). je le lis après. je reste sur nuage »

– « Qu’ajouter? Ma chérie, ma chérie, c’est vraiment trop de bonheur, je n’ai pas l’habitude, excusez-moi, j’ai besoin d’une pause en plein vent pour cuver cet alcool trop fort. Vous savez bien que je ne tiens pas le litre!

     Je ne pense qu’à vous, j’ai envie de vous plaire, j’ai en vous une confiance que je n’ai jamais faite à personne, vous êtes une apparition inespérée, miraculeuse… et puis vous êtes si belle! Que moi je vous aime, j’allais dire que “c’est tout simple”, non, ce n’est pas simple du tout, mais c’était encore plus compliqué en s’interdisant un mot qui ne fait que résumer des évidences.

     Mais que vous!... Ça n’a pas de sens, c’est allé trop vite, ça me fait peur, déjà le col! Plus qu’à descendre... »

     Si la passion était largement bidonnée, rien de plus authentique en revanche que l’angoisse de rester sec, qui explique sans doute, pour part, les retardements. Non que je n’eusse, déjà, “plus rien à dire”, mais sur ce ton-là! Je sentais des plus limités mes stocks de guimauve, et suai sang et eau pour boucler quelques courriels rosâtres, genre “Nous avons pris le chemin de la mer”, cinq fois plus courts pourtant que les précédents. Du reste, quand j’eusse aimé Flore autant que je le lui écrivais, ça ne m’en aurait pas délié la plume, bien au contraire : elle n’est pas faite pour les paroxysmes, et, honnêtement, je défie la vôtre de s’y maintenir : rien de plus rasoir qu’une lettre d’amour après l’échange de doux aveux. Une pause me semblait de rigueur. Il est vrai que l’expérience était pour moi unique, et comme la réalisation du fantasme par excellence : emballer avec des mots! Et en à peine plus d’un mois, départ arrêté! De quoi donner le vertige, et la tête assurément me tournait, mais pas au point d’oublier l’incomplétude de cette réalisation, tant que la chair ne s’en serait pas mêlée; or je n’avais envoyé de photo de moi qu’à un an, et le fossé pourrait s’avérer difficile à combler : je n’avais guère foi en l’amour des âmes en présence des corps; surtout, je ne disposais ni d’une adresse, ni d’un numéro de téléphone, et “Flore de Caroly” était absente de l’annuaire, aussi bien à Toulouse que dans le reste de l’hexagone – ce qu’elle n’avait pas manqué de m’expliquer, mais sans entraîner pleine créance. À peine avais-je péniblement bêlé mon premier billet extatique que je notais dans mon journal : « Trop de “je”; mais tout passera. Cette fille si neuve! Si c’est la copine de Kapok, (et je crois me souvenir qu’elle habite Toulouse!) alors cette femme est un vrai génie de la manip! D’ailleurs en un sens ça me rassurerait : car que faire à présent? Lui proposer la botte? C’est trop vite, merde! Pas avant son anniversaire! Et il faut tout de même qu’elle voie ma gueule d’abord! “Ah oui, évidemment”… ne me briserait pas le cœur, mais je préfère l’éviter. Ce sera arrivé une fois… trop tard! Mais ne chipotons pas : si c’est vrai, quel bain moussant! Et puis, c’est tout de même mieux à vivre hic et nunc qu’à faire revivre par la mémoire. Merde! Allons bouffer! » Car je n’avais pas perdu l’appétit, signe révélateur : les oui de Chantal et d’Hélène me l’ont coupé pour quarante-huit heures.

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