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Inventaire avant liquidation

[Qu’a(va)i(s)-je appris : suis-je un exploiteur?]

12 Décembre 2017 , Rédigé par Narcipat Publié dans #61 : Narcipat?

 

    J’embrayais alors sur la notion d’exploitation, à dire vrai très obscurcie chez Kernberg par l’obsession des apports de l’analyste, et de la tendance narcipâteuse à s’en emparer pour s’en parer. On a d’ailleurs déjà rencontré chez Marie-France et chez Oriane  cette contradiction de célébrer indirectement la réceptivité, ergo la malléabilité, d’un type décrit par ailleurs comme spécialement psychorigide. J’accorderai sans mal que peu de choses sont plus exaspérantes que se faire voler ses idées ou ses formules sans un aveu ni un merci, et accuser ensuite, par le public ou le voleur lui-même, d’être, soi, le plagiaire. Il y a bien là, en effet, une forme d’exploitation, odieuse si l’on veut, mais qui témoigne d’une volonté et de capacités d’écoute fort proches de celles que le narcipat souhaiterait voir mettre en œuvre à son égard comme préalables à l’aval. Qu’il n’y ait ensuite pas d’aval change tout, évidemment, pour un bonhomme dont l’instance de jugement interne s’efforce en vain d’oublier son défaut de mandat dans la radicalité, mais cela ne fait ni un délit ni une vésanie, selon moi, de traiter les autres, sur le plan intellectuel, comme des vaches à lait, de s’interroger, à chaque relation qui se dessine, sur ce qu’elle va nous apporter, et de laisser choir si la réponse semble se résumer à : rien. Notons d’ailleurs au passage une contradiction de plus, entre le pressage cynique des agrumes Un patient narcissique a le sentiment que sa relation à autrui est une pure exploitation, comme s’il « pressait un citron et qu’il en rejette les résidus ». Les gens lui paraissent soit posséder une nourriture potentielle qu’il doit extraire, soit déjà vidés et par conséquent sans valeur. ») et la rage de refuser tout apport, au point de renoncer à progresser (« Rivière, dans son article classique sur la réaction thérapeutique négative, décrit des patients qui doivent faire échouer le processus psychanalytique : ils ne peuvent tolérer la notion d’une amélioration, parce qu’une amélioration signifie reconnaître l’aide reçue de quelqu’un d’autre. ») : il faudrait tout de même savoir si la gratitude est nécessaire à la guérison, voire suffisante, même erronée : autrement dit si son objet n’est pas illusoire. N’est-il pas évident, d’ailleurs, que le mieux-être ne dépend en rien du système explicatif choisi, mais uniquement de la relation avec le thérapeute et de la foi qu’on a en lui? À part les gens confits en dévotion pour tel ou tel gourou, conjoint divinisé, casquette quelconque, ou, voilà bien le comble, administrateur judiciaire manipulateur, je crains bien que le commun des mortels ne puisse faire de plus beau compliment à une trouvaille que s’en affubler en oubliant les guillemets.

    Quoi qu’il en soit, ce n’est pas de faucher les idées des autres qu’on reproche d’ordinaire au narcipat, et en tout cas à moi (ça ne me serait praticable qu’à la condition sine qua non de ne pas me faire pincer), mais bien au contraire d’occuper tout l’espace et de ne pas vous en laisser placer une. Je n’aurai pas le culot de présenter comme altruiste un tel comportement, puisqu’un retour est attendu, mais le mot exploitation n’aurait plus grand sens si l’on pouvait l’appliquer à deux conduites, le larcin et le don, diamétralement opposées.

    Est-ce au sujet du refus de rendre casse pour séné qu’on pourra parler d’une attitude de profiteur? J’ai déjà abondamment répondu à cette question, et n’ai pas changé d’avis depuis. Les seuls propos flatteurs émanent de ceux qui ne flattent pas. La gentillesse et/ou la courtoisie qui lèsent la vérité peuvent m’enivrer, bien entendu, mais je ne vous les ai pas demandées, et ne m’estime redevable d’un éloge ni s’il est trompeur, donc m’induit en erreur, ni s’il est sincère, car alors il m’est dû. Cette implacable alternative mériterait pourtant d’être relativisée, pour diverses raisons, et d’abord parce qu’un jugement même aussi objectif que possible dépend de la bien ou malveillance préalable qui y aura présidé, laquelle aura impulsé une attention nécessairement sélective : quand on écrit, tout spécialement, par les temps qui courent, et a fortiori dans un caveau, je crois qu’on devrait être reconnaissant de toute remarque, même désagréable, même d’une sottise pommée, qui témoigne d’une tentative de lecture. Oh! Je remercie d’abondance! Mais même quand je ne précise pas que c’est pour l’effort, une certaine aigreur dément mes protestations de gratitude : quand on n’a pas aimé, c’est qu’on n’a pas compris; et quand on a aimé, c’est souvent de travers : la preuve, c’est qu’on n’a pas changé d’avis, sur tel ou tel sujet dont traitaient mes sublimes textes. Et surtout, qu’on n’estime pas de son devoir de m’aider à diffuser de tels chefs-d’œuvre!

    Réactions révolues? Oui, faute d’occasion de les placer, mais toutes prêtes à renaître de leurs cendres, en somme indépendamment de ma propre croyance en moi, à la moindre formule admirative. La civilité réside dans l’échange de bons procédés : m’en exempter, sous prétexte d’oblation au Vrai, c’est estimer que moult m’est dû en échange des produits du talent, si j’en suis doté – j’estime devoir tout autant à celui des autres, certes, sauf que je ne le rencontre jamais qu’installé, et sans besoin de ma rescousse –, et en ce sens j’ai gardé la mentalité d’exploiteur qui paraît prolonger sine die une enfance couvée où l’oisiveté était naturelle. Ma vie professionnelle, au cours de laquelle, quoique stakhanoviste, je n’ai jamais eu le sentiment de mériter mes émoluments, semble s’inscrire en faux; mais je me piquais d’enseigner l’irrespect et la dissidence, travail officiellement non rétribué; et quand le salaire est si bas, c’est bien la moindre des complaisances envers soi qu’avoir des objectifs plus relevés que la thune! Comme chante le poite, 

    Ce s’rait signer crétin d’ fair’ ce job pour le fric

    Revenons. On peut donc relever à ma charge une ingratitude qui n’affecte pas que les biens spirituels ou affectifs, mais aussi les plus matériels, en arguant de diverses excuses que j’ai déjà évoquées, la plus banale étant celle de Rousseau (dîner chez un fermier général lui coûtait plus cher en pourboires qu’un repas frugal dans sa chambre, et sans supplément de plaisir, il s’en fallait bien), ou peut-être la protestation d’être prêt à rendre tout service qui soit “dans mes cordes”, et dont le caractère ordinaire est de faire rarement besoin à mon “entourage” : corriger un manuscrit, par exemple. Je ne me sens pas ingrat, et, pas plus que Rousseau, n’ai le sentiment de vivre en parasite : les parasites, c’étaient les riches oisifs : il récupérait des miettes de leurs pillages, salaire dérisoire pour ce qu’il apportait à l’humanité. Je ne rougis pas du tout d’avoir pris une retraite si précoce : quand même je n’aurais pas un sol de talent, j’aurai laissé un document utile sur l’aberration de s’en croire. Et si nul n’en prend connaissance, est-ce ma faute?

    Évidemment, il est un peu plus difficile d’apurer certains comptes à l’évidence déséquilibrés, et d’échapper au soupçon d’user de la dévalorisation pour y parvenir, ce qui ferait de moi une belle ordure. À un père qui m’a entretenu vingt-cinq ans (à coups de bourses, soit, dont il prélevait sans doute une partie, mais encore fallait-il les demander), je pourrais édifier un monument avec autre chose que des sacs-poubelles! Et tant Kapok que ma mère ont subi un traitement semblable. Avec cette dernière, d’ailleurs, qui va sans doute clamser avant moi, l’abstention de toute visite s’aggrave, à chaque coup de fil, de protestations comme quoi, dès que le besoin se fera sentir… alors que je sais bien qu’elle ne ferait pas appel à moi, que ce remember du lit de mort, même s’il ne dit pas son nom, sonne comme un glas, et que je suis tout de même bien placé pour savoir à quel point nous avons surtout besoin du besoin qu’on a de nous, ce qui complique encore cette notion d’exploitation. Car qui donne? Qui reçoit? Si l’autosatisfaction est le plus cher de nos biens, quel plus beau cadeau peut-on nous faire qu’exhiber le plaisir, le profit, le bonheur reçus? J’écrivais en 2010, et signerais encore : « La vraie, la seule gratitude, je l’éprouve pour ceux qui m’en témoignent, ou affectent de compter avec moi : de me considérer comme un interlocuteur. Mais peut-on parler encore de gratitude? En toute logique, non : je ne leur dois rien de me rendre ce qu’ils me doivent

    N’empêche que, plus que de tout bien matériel, c’est de cette réassurance [Gardons, non par respect d’un document (que je tripatouille éhontément en fonction de ce que j’aurais pu dire sept ans plus tôt), mais pour ma petite histoire : j’ai opté depuis, envers et contre tous les pros, pour rassurance, qui, anciennement attesté dans un sens proche, et découlant naturellement de rassurer, me paraît plus pertinent.] qu’on est demandeur; et qu’on ne me raconte pas d’histoires : pas seulement quelques tarés dans mon genre! Tous, si l’on excepte des sages dont je n’ai pas rencontré la queue d’un échantillon. Du reste, tous ceux qui ont subi quelques heures de stage pour apprendre à manier les hommes, soit pour diriger leur opinion soit pour obtenir leurs faveurs soit pour leur vendre des saloperies, sont imbus de cette évidence : on n’obtient de résultats qu’en appuyant sur la chanterelle de la self-estime. Le problème, c’est qu’il y faut un doigté qui ne s’apprend pas : la plupart insultent, faute de savoir ajuster leurs flagorneries, ou ne les ajustant qu’aux grossiers; et le fond du problème, c’est qu’ils redoutent par dessus tout d’être crus, leur propre self-estime exigeant d’être servie la première; de sorte qu’ils n’emmiellent leur proie de louanges que pour lui donner à entendre à quel point ils sont généreux et habiles de les décerner, tout injustifiées qu’elles sont. Le seul hommage réel que les hommes tels qu’ils sont puissent vous rendre, c’est l’expression nue de l’envie, et la dévalorisation. »

    Et, un peu plus haut : « Si j’ai le plus grand mal à me voir en exploiteur, c’est bien sûr que je n’exploite pas effectivement, faute de pigeon; mais surtout parce qu’à de très rares exceptions près, les services ne valent pas en soi : à mes yeux, ils sont seulement signe qu’on m’estime digne d’en bénéficier : ils ne constituent donc qu’un avatar ou une preuve de l’aval. Raison pour quoi le dévouement d’un analphabète me mettrait au supplice, à moins que je n’arrive à me persuader qu’une pénétration non-verbale a décelé chez moi quelque vertu que les mots ne cernent pas. Hum. En partageant mon pieu (car c’est la gratification plus attendue et significative que toute autre [et le changement majeur survenu durant ces sept ans! La dutastéride a obtenu sans effort non pas l’indifférence à l’aval, mais l’annulation du “plus beau présent qu’on pût me faire”!]) sans le moindre moyen de déceler “ce que je vaux”, une fille  montrerait qu’elle-même ne vaut pas lourd, et que je “mériterais mieux”. Et le refus du cadeau, parce qu’immérité, contient toujours cette pointe venimeuse : vous n’avez pas à me faire de cadeau, puisque vous ne décelez pas ma valeur. »

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