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Inventaire avant liquidation

[Bilan : tentative de remise à jour]

11 Décembre 2017 , Rédigé par Narcipat Publié dans #61 : Narcipat?

 

    On pouvait à la rigueur admettre un collage du texte de Kernberg, bien que son aridité me semble plutôt de nature à mettre en fuite un lecteur qu’à l’attirer (ou, disons, que son lectorat ne soit pas le mien, si tant est qu’il s’en trouve un pour cet Inventaire); que j’y joignisse, légèrement toilettés, des commentaires sans intérêt général, les assertions qui m’en paraissaient valoir la peine ayant été reproduites depuis d’une à dix ou douze fois, passait déjà les limites de l’acceptable : on dirait qu’en brandissant l’excuse d’étoffer un document sur un cas clinique, je n’ai d’objectif que de démontrer qu’en sept ans je n’ai pas avancé d’un iota – ce qui, en dialecte de l’éloge-de-soi, se traduit par : « je savais déjà tout » – et peut-être de dissuader les gens de me lire : plutôt superfétatoire, à en juger par les stats de fréquentation, corroborées d’avance par la conviction intime que depuis l’ouverture du cacatalogue (et encore y a-t-il bien du déchet avant) cette damnée “bête de somme” ne vaut pas l’hyperbole originale que je cherche en vain pour la flétrir.

    Il me semble pourtant descendre quelques degrés supplémentaires vers l’insignifiance en recopiant mon “bilan” de l’époque, au lieu d’effacer tout cela, et de m’efforcer d’en produire un tout neuf, même s’il doit s’avérer le même en d’autres termes. Seigneur! À cette seconde précise, six heures après mon lever, le message de la nuit a eu tout le temps de se dissiper dans des tâches subalternes, essentiellement de rapetas, mais je puis vous assurer qu’il m’a transi comme il l’aurait fait sept ans plus tôt, ou vingt, ou quarante : pas exactement le « Tu ne vaux rien! », auquel il serait assez commode de répondre, mais son frère jumeau : « Tu pètes plus haut que ton cul! », que n’importe quoi peut déclencher à l’improviste, en l’espèce une description de la bibli médicale de J.-M. G. Itard, qui se rendit célèbre il y a deux siècles en manquant d’éducation de Victor de l’Aveyron. Inutile de préciser les étapes, pour un narcisse pathologique qui ne lit que des conneries, et rien depuis trois mois. Et la vile terreur de parêtre un imbécile présomptueux fut telle que je faillis rallumer l’ordi pour effacer tout ce que j’avais aventuré sur le Ouaibe, en matière de “pensées”, ou de simples assertions : la dérobade définitive, guérison du soi grandiose? Non, mais simple protection d’icelui, incapable à elle seule de rendre la vie vivable, à moins d’une hébétude constante, via chnouf, jaja ou cinoche, et encore faudrait-il avoir bien dégringolé.

    Je n’en sortirai pas. Je ne me fais pas tant de bile pour mon bilan, mais ce que je n’ai su faire hier, il paraît assez clair que, même en réduisant ma conso de Xanax, je n’y parviendrai pas demain. Non seulement cet Inventaire n’est pour deux tiers (au moins) qu’un fatras indigeste, mais il ne débouchera pas sur une illumination, ni même sur une résignation heureuse. Aussi imbécile qu’il puisse paraître de se nourrir de statistiques sèches, sans regard et sans mots, je ne saurais vivre sans un ersatz de cette valeur que je ne puis m’accorder à moi-même, sinon par anticipation d’un verdict extérieur, mais qu’il faut plausible, donc constamment menacé(e).

    Je me permettais il y a sept ans de répondre à Kernberg, en substance, que les vieux narcipats couraient un moindre risque d’effondrement quand ils n’avaient jamais connu le succès. Mais tout est relatif, et pendant deux bons tiers de ma vie pro, j’ai eu au moins l’impression d’être aimé de mes élèves – ce qui a bizarrement validé l’espoir antérieur de plaire par ma plume. À présent que ma vie s’achève, qu’est-ce que ça peut bien me faire  ne n’avoir jamais été qu’un bouffon? Pas grand-chose en soi, dirais-je : ce qui me supplicierait, c’est d’être seul à l’ignorer, ou plutôt seul à ignorer que “tout le monde” le sait. Il y a là un phénomène de sidération ou d’envoûtement qui semble invincible, et, tout compte fait (de ceux, s’entend, que je suis en mesure de faire), c’est non l’auto-surestime en soi, mais cette dépendance qui fait la spécificité pathologique du soi grandiose : je suis très capable de me glorifier in petto, par exemple, d’être en passe de mener à son terme une “entreprise colossale” comme l’Inventaire; plus capable encore de “recharger” le postulat de mon excellence avec la plus tremblante esquisse de louange externe, ou le potentiel de percipi de tel ou tel lopin de production qui me paraît neuf et/ou bien jeté : mais pas d’oublier, ni de minimiser, la menace constante de dérision qui pèse sur une insignifiance inconsciente, qui se permet de donner des leçons à ceux qui savent, ne serait-ce qu’en affirmant.

    Car laissons là les prudents aménagements de la politesse : le soi grandiose n’a rien rabattu de ses prétentions, ce qui est cohérent avec l’hypothèse que je forme de sa naissance “réactive”, puisque jour après jour me gave d’indices de médiocrité incurable à quoi s’opposer éperdument. Ce qui fit l’efficacité du récent et toujours hypothétique canular gallimerdeux, lequel n’en finit pas de s’éventer, c’est qu’il canonnait le rempart principal de ma précellence, à savoir que je ne suis pas connu : qu’un faiseur de rois me fasse signe, et aussitôt se dénouent deux, trois, quatre décennies de résignation : dès lors qu’on m’a remarqué, c’est en tant que cacique potentiel, et ni raisonnement ni relecture n’appauvrira l’air qui m’arrive de cet étayage on ne peut plus suspect, puisque ça ne demandait pas une intuition hors-pair de deviner quel effet il allait produire. Le paradoxe de cette initiative d’une ennemie qui a les meilleures raisons de me haïr, c’est qu’au fond le lent dégonflement de l’euphorie ne contrebalance pas la pêche qu’elle m’a donnée. Quant à l’impact d’un « lus de plus près, vos romans ne m’intéressent plus », vers la Saint Sylvestre, ne prenons pas la peine de le présumer faible.

    Ni sur l’amour, ni sur le rôle central de la valeur du moi, dépendant des objets (ou plutôt des sujets) externes, je n’avais rien appris. Ai-je saisi depuis lors à quel point il importait de distinguer le soi grandiose pathologique d’une outrecuidance “normale”, infantile ou adulte? Je crois que la dépendance fait la différence; mais ne suis pas bien sûr qu’on ne passe pas insensiblement de l’un à l’autre.

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