Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Inventaire avant liquidation

[Qu’a(va)i(s)-je appris : l’exploitation, 2]

13 Décembre 2017 , Rédigé par Narcipat Publié dans #61 : Narcipat?

 

    Il va sans dire que je ne puis rendre compte plus qu’un autre de l’exploitation inconsciente : tout au plus faire tous mes efforts pour en limiter le champ. Mais selon moi elle a toujours une part d’inconscience, dans la mesure où elle est essentiellement un sous-produit du soi grandiose. Je ne crois pas à une exploitation narcipathologique cynique : j’ai pu, en des temps pas toujours si anciens, morfaler sur les frites, par droit du plus fort ou simple boulimie, mais jamais me fourrer en tête que double ou triple ration me fût due. En revanche, il me semblait tout naturel que l’être que j’aurais aidé à se connaître, ou qui simplement reconnaîtrait mon talent, se mît au service de ce dernier, que ce fût en prenant en charge les démarches de diffusion dont je suis incapable, ou en m’hébergeant, en me nourrissant, en dégageant mon temps des obligations improductives et stérilisantes (de par l’angoisse qu’elles génèrent) qui l’encombraient. J’aurais donc été tout disposé à profiter d'une femme, qui aurait pris un job sans avenir pour alimenter le Meilleur des Romans, dût-il couler en eau de boudin. Quant au service sexuel, je ne pouvais lui donner d’estampille officielle, l’étreinte étant censée perdre tout attrait quand on se donne sans désir. Je nourrissais tant bien que mal le fantasme que mes qualités cachées me rendissent désirable à qui savait les déceler, et à plusieurs reprises, ces choses-là se sont arrangées dans le brouillard. Bien noter d’ailleurs que dans un brouillard semblable une forme de réciprocité existait, et que je me serais senti tout prêt 1) à servir de secrétaire-factoton à un grand écrivain; 2) à consacrer ma culture et mon talent à polir les élucubrations d’une fillette. Mais 1) je n’ai rencontré ni Colette ni Patricia Highsmith ni Marguerite Duras ni Claire Brétécher, et rien ne garantit qu’inconnues je les eusse reconnues; 2) les fillettes, quand elles élucubrent, trouvent très bien tels quels leurs torchonous, ou affectent de ne faire du polissage qu’un cas subalterne; 3) que seraient devenues, à l’usage, ces belles dispositions? À distance, rien ne m’aurait exalté comme de donner ma chambre d’amis à une minette qui aurait estimé avoir du neuf à révéler au monde; mais dès que ce neuf se concrétise en le peu qu’on m’a montré, ni fait ni à faire, indigne d’être corrigé… Bref, tout me porte à lire ce potentiel de réciprocité comme universalisation fallacieuse du secours qui m’était dû, si je le méritais, ce qui n’était pas établi, et exigeait précisément ce secours pour preuve!

    Mais voici la nuit qui ne s’en laisse pas conter, et me souffle : « Assez d’ergotages! Est-ce qu’il n’est pas tout simple d’examiner le grand livre et de constater, tout bonnement, que la balance penche avec tous ou presque, que ce soit du temps de l’outrecuidance reine, ou depuis qu’elle s’est assagie… ou dissimulée? S’il te gêne d’étaler les comptes avec Geneviève, Denis ou Kapok dans un blog dont ils risquent d’être les seuls lecteurs, prends, par exemple, le type que tu ne désignes jamais que par “ce grand con d’A***” – Lequel pourrait bien être “ce grand con de faux L***”… – Ah ah ah! Serve you right! Voilà un homme qui a commencé, alors que tu habitais en Angoulmerde le plus pourrave de tous tes appartements, et la concurrence est rude, par te trouver une fermette à la campagne; puis qui t’a publié, à 75 exemplaires… – De quel côté se trouve la dette? Le palais de Dame Tartine était sans doute le seul texte potable de sa collection à la con! – C’est le soi grandiose qui parle, là! A*** en tout cas ne l’entendait pas ainsi. – Il lui est arrivé de laisser traîner, en effet, des espèces de bons de commande ou de bulletins de souscription pour de siennes œuvrettes, que j’ai feint de ne pas voir. Publier n’avait guère de sens, mais vraiment plus aucun, s’il fallait indirectement payer pour! Du reste, quand il m’a demandé des tuyaux sur Khâyyâm, je les lui ai expédiés par retour du courrier! – Avec une lettre fielleuse. – M’a-t-il écrit, en effet, après l’avoir remâchée six ou sept ans. Je crois bien qu’il m’avait informé qu’il s’était mis à la peinture pour “faire son salut”… Écoute, tu me donnes trop beau jeu en me citant cet “écrivain” à l’échelle du canton! – Ça vaut toujours mieux que l’échelle de sa piaule! – C’est ce que je conteste, justement. Dans ma piaule, le potentiel demeure illimité. Mais dès que tu es un peu connu… Quoi qu’il en soit, il se peut qu’une formule vacharde m’ait échappé, je n’en étais pas avare en ce temps-là. – Ni à présent. – Oh, quand même, je me surveille beaucoup plus, et d’autant plus que moins j’ai fait d’étincelles. D’ailleurs je n’exclus pas qu’A*** n’ait trouvé son chemin de Damas, et écrit merveilles, bien que je doute que ça y incite, de disposer au moindre borborygme d’un cercle d’admirateurs-et-réciproquement. En tout cas, je ne pouvais pas considérer comme un humain à part entière un zigoto qui me lâchait tout uniment que Les contes du chat perché étaient un ouvrage plus important que L’idiot de la famille, dont il précisait qu’il ne l’avait pas lu et ne le lirait pas!  Insulte pour insulte, comme je venais d’en faire l’éloge… mais suffit, de grâce : ce type ne compte pas, n’a jamais compté, et pour qu’un rêve le ressuscite, il faut que ma vie soit vraiment très peu peuplée. Très mauvais exemple, du reste : je ne lui dois rien. – Ni à ta sœur, que tu sonnes tous les quatre matins pour le moindre pet en travers? – Un présent abusif, et c’était à charge de revanche! Pas ma faute si l’on n’a jamais besoin de moi! – Faut voir. Tu es toujours prêt à rendre service, sauf ceux qu’on te demande, quand on te les demande, c’est-à-dire toujours au mauvais moment. – On ne m’en demande aucun. – Ta frangine n’a pas attendu qu’on la réclame pour te porter secours il y a trois ans. – Entendu, j’en aurais été incapable. Mais en un sens il n’est pas moins méritoire de braver l’interdit formel de son rejeton pour lui expliquer derechef de quel mal il est atteint! – Mal qui lui sert peut-être d’épine dorsale, et dont tu n’es pas guéri toi-même. – Parce qu’il ne s’est trouvé personne pour s’y attaquer à temps! – Ce qui caractérise tes services, c’est qu’on n’en veut pas. – Sauf rayon fric… – Le fric n’occasionne aucune perte de ton précieux temps, ni de fric, en principe, puisqu’on te le rembourse. – Pas toujours. – Oh! Tu ne vas pas nous emmerder avec les dettes d’Hélène ou de Martine, intérêts composés compris! – En tout cas, je ne les ai pas emmerdées, elles! Alors je ne vois pas pourquoi j’irais me mettre martel en tête pour quelques repas que je n’ai pas rendus

    L’exploitation commence, ce me semble, à l’échange de biens ou de services de nature différente, qui pourrait également définir la prostitution, ou simplement le commerce! Arrête tes charres, Ben Hur! Estimer normal que ma demande soit définie par mes besoins, et mon offre par mes aptitudes, peut sembler contrevenir à l’égalité, mais qui n’en fait autant? La difficulté naît de la surévaluation de ce qu’on donne, de la dévalorisation de ce qu’on reçoit, et en fin de compte du prix qu’on s’accorde à soi-même. Du temps où je me croyais assez créatif et spirituel pour ne pas m’en cacher, j’ai pu me figurer payer mon écot en monnaie de vannes, pas si éloigné en cela de telle ou telle petite qui, à tort ou à raison, se contenterait de l’effort d’être là, plus quelques soins de beauté… Est-ce que la demande justifierait le parasitisme? Pour être recherché, en est-on moins puant de se croire tout dû? Apparemment, je ne maîtrise toujours pas le sujet. Peut-être aurais-je dû l’aborder par la peur d’être exploité, une des facettes de la dépendance, et sans doute pas celle qui m’effraie le moins.

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article