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Inventaire avant liquidation

[Prise de conscience sur le thème du rossignol d’Andersen]

5 Novembre 2017 , Rédigé par Narcipat Publié dans #61 : Narcipat?

 

Le patient avait toujours dévalorisé la littérature, en particulier la poésie, et tout ce qui n’avait pas de rapport avec les “faits utiles, froids et rigoureux.”

    Un jour, il se souvint d’un conte de fée qui l’avait impressionné dans sa petite enfance mais qu’il avait complètement oublié depuis. C’était l’histoire du Rossignol d’Andersen. [Ce passage m’était tout à fait sorti de la tête lorsque j’ai lu la communication de Chasseguet-Smirgel sur le même conte, autrement incisive selon moi (mais je me fous d’être méchant, pas d’être incréatif). Rappelons qu’elle date de 68, et le bouquin de Kernberg de 75.] Le patient, alors qu’il n’avait pas beaucoup d’imagination, interpréta spontanément l’histoire à travers des associations et des rêves pendant plusieurs séances. Il comprit qu’il était lui-même l’empereur de Chine de l’histoire, parce qu’il dévalorisait tous les autres de la même manière que l’empereur. La Chine elle-même, dans ce conte de fée, était comme le monde fantasmatique du patient parce que tout le monde y dévalorisait tout le monde. [Et ça se passe autrement, dans la vraie vie, en Chine et ailleurs?] Le rossignol (celui qui était réel et vivant) était la seule créature chaleureuse et capable d’amour dans ce monde, mais l’empereur n’était pas capable de l’aimer. Quoique son chant lui plût, il l’abandonna sans remords quand on lui offrit un substitut mécanique couvert d’or et de pierreries. Le rossignol mécanique couvert d’or et de pierreries représentait le propre soi mécanique et sans vie de l’empereur (du patient). Lorsque l’empereur tomba malade et attendit le chant du rossignol pour retrouver la santé, l’oiseau mécanique se cassa et devint inutile, parce que l’empereur lui-même, comme le sentait le patient, avait tout détruit autour de lui. Une nuit, alors que l’empereur était mourant, toutes les bonnes et mauvaises actions de sa vie lui revinrent à l’esprit et le firent souffrir. Le patient comprit que c’était une expression de la prise de conscience finale chez l’empereur de son mauvais côté et de son désespoir de ne jamais réparer toutes les erreurs qu’il avait commises. Le patient se sentit très bouleversé à l’idée que le vrai rossignol bien vivant revînt finalement pour chanter à la fenêtre de l’empereur mourant et qu’il lui sauvât ainsi la vie. Le patient dit avec une profonde émotion qu’il comprenait maintenant pourquoi, comme enfant, cette histoire l’avait mis en larmes, et il se mit à pleurer. La survie du véritable et bon rossignol réaffirmait la croyance du patient dans l’existence d’un être bon qui pouvait encore exister, qui n’avait pas encore été tué en dépit de toute l’avidité et de la destructivité de l’empereur et du patient. L’empereur était sauvé parce qu’il avait gardé en lui cet objet bon et charitable. Le rossignol représentait aussi le bon analyste qui n’avait pas été tué par la destructivité du patient. [Méfions-nous, bien sûr, du réflexe « Ôt’toi d’là que j’m’y mette! » Mais n’excluons pas l’éventualité que le patient serve à l’analyste le conte et surtout l’interprétation que ce dernier a envie d’entendre. Ce qui m’émouvrait aux larmes, moi, si je n’étais trop empêché de la sublimation pour investir un rossignol, ce n’est pas d’avoir “tout détruit autour de moi”, d’avoir stérilisé ma vie, et, partiellement, peut-être celle de quelques autres; mais bien de voir un grand cœur survenir à la rescousse, en dépit de mon indignité. Les anecdotes qui m’humidifient les pommettes sont souvent celles qui mettent en scène un dévouement total et spontané : ainsi, lors d’un incendie, cette brave femme qui, alors qu’elle était sauve, remonte à l’échelle, replonge dans les flammes pour aller au secours des siens (qui étaient sortis d’un autre côté) et qui, quasi-carbonisée, agonisante, demande : « Mes enfants?… » On lui répond qu’ils sont tous indemnes, un immense soulagement lui irradie la face, et ça ne manque pas, les pleurs ruissellent sur la mienne, peut-être un peu (très peu) de remords de n’être pas comme elle, mais surtout, narcissiquement, de n’avoir pas eu une telle mère : en l’affaire, je suis usager de l’abnégation.

    Mais bon : je ne suis pas guéri, ni en passe de l’être. [Sept ans plus tard, ça se discute. Toute trace de relhum aura bientôt disparu, et même si ce n’est pas absolument le pied, j’y ai trouvé une espèce de paix, avec l’appoint de six à dix heures d’abrutissement cinématographique par jour. Rien à voir avec le retour à la vie intra-utérine que je persiste à redouter en sourdine… dans l’au-delà, et peut-être pour mauvais usage de ma vie : pour en avoir fait une mort-d'avance.] Et je conviens bien volontiers que j’ai contribué à détruire autour de moi toute possibilité d’émergence de l’amour vrai – s’il existe en ce monde! Mais vu ce que sont les gens en général (à moins que je n’attirasse que les pires, ou ne tirasse systématiquinconsciemment d’eux leur pire), desserrer la cuirasse, c’est s’exposer à se faire larder.]

    Cet exemple illustre non seulement la compréhension chez le patient d’un problème crucial mais aussi un approfondissement global de la prise de conscience de sa vie affective; pour la première fois, il pouvait accepter une forme auparavant dévalorisée de littérature. Voir le patient se mettre à vivre pendant le traitement et commencer à ressentir pour la première fois une véritable sollicitude et un intérêt pour les autres, aussi bien que pour sa propre vie intérieure, est une expérience gratifiante pour l’analyste. Ceci compense les nombreux mois ou années [Grassement payés, simple rappel! L’autre gratification est en sus!] de vide et d’incompréhension par lesquels les patients tentent de submerger la situation analytique.

 

    Les considérations pronostiques abordées dans ce chapitre illustrent les limites et les difficultés du traitement psychanalytique de patients qui ont une structure narcissique. Même si nous ne pouvons en traiter un grand nombre, au moins nous permettent-ils de mieux comprendre puis de mieux résoudre les défenses narcissiques qu’on rencontre chez des patients moins perturbés. Je crois qu’une sélection soigneuse de ces cas peut aboutir à des résultats thérapeutiques assez encourageants chez ces patients qu’on considère habituellement comme désespérés et que par conséquent on ne traite pas, ou qu’on prend en analyse croyant avec erreur à une névrose ordinaire et qui provoquent une déception après de nombreuses années d’analyse.

 

    [FIN de la première partie, intitulée “Le traitement”. Les deux autres, de longueur sensiblement égale, ont respectivement pour titres “Les problèmes cliniques” et “Narcissisme normal et pathologique” : composition bizarroïde à première vue, mais faut voir le texte : j’en ai remis à plus tard la lecture, pour que la copie l’accompagne et que les commentaires soient frais. À quoi bon? direz-vous, ou plutôt ne direz-vous pas. Alors ça, langue au chat. Certes, la prose de K me fournit une dose quotidienne, pas de la créa, soit, ni la vraie synthèse, mais je peux toujours me flatter que ça la prépare. D’autre part, si je m’en délecte, c’est sans doute parce que je le trouve “pas si génial que ça” : ajustements, améliorations, approfondissements se profilent à chaque pas, et puis, c’est si mal écrit que l’envie s’en émousse (à moins qu’elle ne s’exprime, justement, dans la dévalorisation du style, les sic mesquins, etc). Quoi qu’il en soit, en dépit de votre silence, ce “travail” non-créatif me procure une euphorie que je ne suis pas en position de dédaigner, à l’approche des frimas et de ce qu’ils connotent. Poussons donc l’expérience jusqu’au bout… si la suite n’est pas trop chiatique.]

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