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Inventaire avant liquidation

[La fausse créativité : identification ratée et pénis magique]

24 Juillet 2015 , Rédigé par Narcipat Publié dans #40 : Dits du vent

     L’ouvrage de cette dernière, Pour une psychanalyse de l’art et de la créativité, et notamment sa septième partie, Le rossignol de l’empereur de Chine : essai psychanalytique sur le “faux”, n’est pas de première jeunesse, puisqu’il date de 1968, mais je l’ai découvert, moi, depuis peu, et il vient s’emboîter avec un tel à-propos sur mes vasouillardes réflexions antérieures que si j’avais des lecteurs, pas un, je présume, ne goberait la coïncidence. Pages de stricte obédience freudienne, terriblement affirmatives, et dont l’auteur devrait avoir tout pour me déplaire, présentée qu’elle est par les Mémoires de Léon Chertok comme une gardienne du culte, et des intérêts de ses prêtres, présidente de la SFP en son temps, et très à l’aise dans son pouvoir… Mais Chertok n’a rien d’un gourou, n’y cherchons pas l’excuse de résistances qui ne vont pas manquer de se manifester, et citons d’abord copieusement! Comme elle utilise pas mal les italiques, je m’en vas, histoire d’éviter une prolifération de “c’est moi qui”, mettre à contribution les caractères gras ès lieux où je crois me reconnaître :

 

    Parmi les fabricants de “faux”, les sujets présentant un noyau paranoïaque important me paraissent occuper une place prévalente, liée à la spécificité de leur relation objectale qui est elle-même entièrement colorée par leur conflit homosexuel. [1]

    Je suis amenée à reprendre ici ce que j’ai eu l’occasion de dire par ailleurs, en particulier dans Notes de lecture en marge de la révision du cas Schreber. Partant du rôle que Freud assigne à la “désublimation” des instincts sociaux (c’est-à-dire à la resexualisation des pulsions homosexuelles, en tant que facteur déclenchant de la paranoïa) et des points de fixation qu’il désigne comme définissant la prédisposition à cette psychose, c’est-à-dire l’homosexualité et le narcissisme, j’avais essayé de suivre le destin du narcissisme chez le paranoïaque, d’après ce que nous savons de la formation du Moi et de l’Idéal du Moi, selon ce que les travaux de Freud et la clinique des paranoïaques ou des sujets présentant un noyau paranoïaque important, sont à même de nous enseigner, d’une part, et, de l’autre, selon ce que les travaux psychanalytiques sur la paranoïa et l’homosexualité, autres que ceux de Freud, nous apportent, c’est-à-dire essentiellement ceux d’Abraham concernant le rôle de l’analité.

    En France l’étude de Fain et de Marty sur l’homosexualité fournit des repères précieux quant aux rapports de l’homosexualité avec l’analité, l’Idéal du Moi et le processus d’identification.

    Il m’a semblé qu’on pouvait dire que le paranoïaque dont l’image maternelle phallique est particulièrement mauvaise n’a pas trouvé en son père, de par certains facteurs historiques spécifiques, de support pour une nouvelle triangulation, après que la première liée au clivage entre le bon et le mauvais sein, la bonne et la mauvaise mère ait échoué. Le sujet n’a pu en passer par la phase d’alliance avec le père, c’est-à-dire par une idéalisation du père, qui, maintenue dans certaines limites, est nécessaire à une évolution œdipienne satisfaisante. Il n’a pu projeter son narcissisme sur le pénis paternel, qui est l’objet des mêmes projections que le phallus maternel, de façon durable. Le pénis paternel est pour lui un objet érotique et agressif mais n’est pas porteur de son Idéal du Moi. Il reste pour lui un pénis sans devenir un phallus au sens où Grunberger opère cette distinction. En fait si l’idéalisation de l’objet n’entraîne pas ipso facto la sublimation de l’instinct, la sublimation, elle, est en rapport étroit avec l’existence d’un Idéal du Moi. Aussi bien la sublimation de l’homosexualité chez le paranoïaque est-elle très précaire et des facteurs relativement minimes (comme l’ont montré Hitschmann et Ferenczi) suffisent à l’âge adulte, à précipiter la resexualisation des composantes homosexuelles de la libido. On comprend aussi qu’une des tentatives de guérison de certains paranoïaques, sans doute aidés en cela par des facteurs historiques particuliers, soit de projeter leur narcissisme sur une figure divine, passant ainsi du délire de persécution à un délire mystique susceptible de les réconcilier avec leur pulsion homosexuelle même.

    En revenant au futur paranoïaque, nous pouvons voir que le sujet qui n’a pu projeter son narcissisme sur le père et son pénis, constituant ainsi un Idéal du Moi, n’aura d’autre issue que d’investir son Moi propre.

    Certes, l’investissement du Moi et de l’objet se fait de façon concomitante, au moment même où s’effectue la distinction du Moi et du Non-Moi. Mais un reflux particulièrement vif de la libido objectale sur le Moi s’effectue sans doute chez le futur paranoïaque lors de l’échec de sa tentative d’édifier un Idéal du Moi, en raison du caractère “mauvais” de ses objets. Il érigera son propre Moi en Idéal du Moi, germe de sa future mégalomanie. Son narcissisme est dès lors pathologique et représentera un point de fixation important vers lequel il sera amené à régresser par la suite. Loin d’évoluer en s’enrichissant par l’apport d’identifications successives qui en modifient progressivement la qualité, il est quasiment statique, investissant farouchement les limites du moi au détriment des objets et rejetant les identifications (projections). L’identification au père qui implique d’introjecter ses qualités propres et celles qui ont été projetées sur lui et son pénis, nécessite de pouvoir se soumettre à lui passivement. Fain et Marty ont montré que le désir érotique passif est repoussé avec d’autant plus de violence qu’il entraîne un processus ressenti comme dangereux pour le Moi. Chez le futur paranoïaque, le caractère “mauvais” de l’objet lui fera éviter ce processus à tout prix. L’investissement du Moi constituera une défense majeure devant l’attrait homosexuel objectal. [C’est bien pour acquit de conscience que je souligne ça. Il s’agit de savoir si le dégoût que ça m’inspire est révélateur.]

    Le sujet élaborera alors des fantasmes et une conduite qui visent à démontrer qu’il a déjà en sa possession un pénis d’une puissance absolue et parfait à tous égards.

    Ce pénis supérieur à tous les autres, l’est à coup sûr à celui de son père dont il n’a par conséquent nul besoin. Étant donné que l’existence de ce pénis est basée sur une lacune (l’introjection du pénis paternel non effectuée) et a précisément pour but de la masquer, il aura des caractéristiques spécifiques. L’une d’entre elles est décelable d’emblée : ce pénis est conçu par son “inventeur” et nous savons que l’invention est l’une des activités que la psychiatrie classique elle-même décrite comme étant souvent le fait du paranoïaque, sur un mode mégalomaniaque; le processus naturel d’acquisition d’un pénis étant évité, la création d’un phallus autonome se situera en dehors du principe de réalité et revêtira un caractère magique. Le phallus magique autonome aura par là même dans son Moi une place démesurée venant enfler son orgueil.

    Il est également connu en psychiatrie classique que l’on rencontre beaucoup d’autodidactes parmi les paranoïaques qui “sautent” ainsi par-dessus l’état d’élève, la science venant du maître étant assimilée au pénis paternel qu’il s’agit de prendre en soi. La nécessité de court-circuiter la phase d’introjection du pénis paternel, l’investissement narcissique positif de ce pénis ayant été reporté sur le Moi, aura pour résultat de donner aux productions du paranoïaque destinées à représenter son pénis dans toute sa gloire un caractère d’inauthenticité, car elles recèlent une faille capitale. Si elles réussissent à donner le change aux autres – pour des raisons que nous aborderons plus loin – elles sont insuffisantes à rassurer pleinement leur auteur qui les brandira en toute occasion et sera obligé d’en accroître les dimensions toujours davantage pour nier l’idée, perçue par lui à un certain niveau, qu’il ne s’agit là que d’une écorce creuse sans contenu vrai.

 

[1] L’origine crypthomosexuelle de la paranoïa semblait en ce temps-là un article de foi depuis l’étude par Freud (Cinq psychanalyses) des Mémoires d’un névropathe du président Schreber; probable que le dogme s’est assoupli depuis; il n’est même pas certain que la paranoïa forme encore une entité psychiatrique, si j’en crois le seul psy, ex-lacanien, que j’ai consulté en trente ans (pour prolongation de congés), et que j’ai dû citer déjà : « Les paranoïaques, c’est ceux qui traitent les autres de paranoïaques »!

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