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Inventaire avant liquidation

[Idéalisation narcissique et contre-transfert]

16 Novembre 2017 , Rédigé par Narcipat Publié dans #61 : Narcipat?

 

E. CONTRE-TRANSFERT ET MODIFICATIONS THÉRAPEUTIQUES DES RÉSISTANCES NARCISSIQUES

 

    Kohut suggère que les perturbations narcissiques non résolues chez l’analyste peuvent provoquer un malaise à être idéalisé et une tendance subtile à rejeter l’idéalisation du patient. Bien qu’il me paraisse évident que des conflits narcissiques non résolus chez l’analyste peuvent susciter en lui des réactions pathologiques à l’idéalisation du patient, il me semble aussi qu’ils peuvent favoriser une acceptation excessive tout autant que le rejet de l’idéalisation du patient. À mon avis, accepter l’admiration constitue un abandon de la position de neutralité de la même manière qu’une “hyperobjectivité” critique. Les patients narcissiques réagissent aussitôt aux interprétations comme si elles étaient des “rejets”. Si l’acceptation de l’admiration du patient équivaut à abandonner la position de neutralité interprétative, l’analyse risque de se trouver enfermée dans une situation que le patient peut facilement interpréter, parfois de façon justifiée, comme une séduction. J’ai été impressionné par la grande habileté, chez certains patients narcissiques, à ressentir les aspects de l’idéalisation de leur analyste qui s’accordent au propre “point faible” narcissique de l’analyste. [Cf. chez Oriane la captation-éclair par le parano de l’inconscient du thérapeute. Quoique la faculté de prendre les gens par leur faible (lequel s’apparente toujours peu ou prou à la vanité) soit nettement moins rare, je reste sceptique : de quel autre outil disposerions-nous que la compréhension projective?]

 

    Le “malaise de l’analyste” à l’égard de l’idéalisation peut provenir de la qualité particulière de cette idéalisation, surtout l’association qu’on y trouve d’un besoin de contrôle, et de ses qualités particulières de “va et vient”. En d’autres termes, l’analyste peut ressentir les conséquences transférentielles aussi bien négatives que positives.

 

    Dans mon expérience, le principal problème des réactions contre-transférentielles au patient narcissique est lié aux efforts répétés de celui-ci à dénier l’existence de l’analyste comme personne indépendante. [Ai-je fait quelques pas sur le chemin d’une compréhension? Ma réponse était : « Jamais de la vie! Nous avons précisément besoin que l’autre soit une “personne indépendante”, car un simple prolongement d’ego ne serait pas contenant, il nous rendrait au doute et à la contingence. La manipulation ne me comble pas du tout, même s’il m’arrive, avec ou sans succès, de la pratiquer, et j’avais pris feu et flamme lorsqu’Anne, à la lecture d’un pavé autobio [Pour en finir avec l’amour, alors inachevé], m’avait accusé de cela, parce que sans le support d’une opinion indépendante, fût-ce celle d’enfants, je flotte. Mais cette indépendance que je réclame chez l’autre n’est-elle pas purement formelle? Il faut qu’il m’adoube, donc qu’il tienne un pouvoir de la collectivité ou de sa sagesse personnelle. Mais dès qu’il entre dans la voie d’une altérité réelle, le fait est qu’il m’ennuie vertigineusement, et que c’est à peine si je trouve en moi la force, quand il conte ses salades, de ne pas les couper de “moi je” perpétuels. Sa vie peut m’intéresser, toutefois, mais pas le discours, presque toujours complaisant, et jusque dans l’auto-dénigrement même, qu’il tient sur elle; quant à ce qu’il dit de moi, peu et mal valent certes mieux que rien; mais face à ce qui déborde mon système explicatif, mon premier réflexe est le rejet, et il me faut un temps fou pour admettre que peut-être il y avait quelque chose à glaner dans ce qu’il dégoisait, bien que simultanément – clivage – je l’estime détenteur de la vérité… celle du sens commun. Au fond je n’avalise que l’approbation soit de mon être soit de mon autocritique. [Le deux est à voir : l’autocritique est le plus souvent destinée à susciter les “meu non meu non” que des acquiescements.] De quoi suis-je tombé “amoureux” (pas bien gravement) chez Céline que de son “oui” à mes textes et à mes discours, d’autant plus miraculeux que nous revenions de très loin? Sans doute n’a-t-il pas plus d’étoffe que le “non” antérieur, et tout développement écaillerait-il le miracle, mais c’est cela, rien que cela, qui a propulsé une fille moche, inculte et qui se contente de bien peu en fait de raisonnement, au poste très provisoire d’âme-sœur; et quand je célèbre ses facultés d’écoute, c’est pour l’encourager à dire toujours ouiiiii (que le germe en soit ou non l’orgasme sublimé : je pencherais plutôt à penser, en intello incurable, que l’orgasme du partner est avant tout une incarnation de l’aval); quand je lui écris que « mon fantasme, c’est qu’une femme, une seule (celle que “mon cœur a choisie”) sache ce que je vaux », c’est pour insinuer qu’il ne resterait pas lourd de sa valeur à elle si elle ne reconnaissait pas la mienne; mais s’il faut qu’elle soit indépendante en principe, c’est pour que son estampille soit valide : pour tout ce qu’elle est, pense, ressent, en dehors de ce qui nous est commun, c’est-à-dire pour la presque totalité d’une vie pleine comme un œuf, je ne puis manifester que tolérance et indulgence, mais pas ressentir ombre d’intérêt réel, ni même le feindre au delà de quelques répliques-bateau. Or on a avec la femme aimée (au moins un peu : ce ne sera rien) un rapport transférentiel qui n’est guère éloigné, me semble-t-il, de celui qui nous lie à un analyste, et peut-être cet épisode me permet-il de comprendre mieux la formule récurrente de Kernberg, ainsi que le “transfert en miroir” de Kohut : il me faut un autre, oui, pour me faire être, parce que je suis objet; mais je ne lui demande, au fond, qu’un acquiescement, et aucune altérité authentique, à moins qu’elle ne me prenne en compte tout entier, auto-analyse comprise.] À cet égard, je suis d’accord avec Kohut lorsqu’il décrit les réactions de l’analyste aux formes primitives du transfert au miroir. Kohut dit que, tandis que l’analyste « peut se sentir opprimé par les exigences absolues quoique silencieuses de la fusion transférentielle visant à faire de lui un esclave, l’absence d’investissements instinctuels objectaux lui rend souvent possible le maintien d’une attention indéfectible au cours de périodes prolongées ». Mais je ne suis pas d’accord lorsqu’il conclut que le problème est celui de la nature de l’investissement puisqu’il me semble que ce qui est en cause, c’est la tendance inconsciente à contrôler l’analyste, les mécanismes inconscients de dévalorisation, et l’activation de types primitifs de projection liés au soi grandiose.

    Une étude attentive du cas de Melle F. que donne Kohut pour illustrer les réactions de l’analyste au transfert en miroir conduit d’elle-même à une interprétation selon les principes que j’ai proposés dans ce travail. À un moment, la patiente était capable d’ « établir des liens entre la rage qu’elle ressentait à mon endroit quand je ne comprenais pas ses exigences et les sentiments qu’elle avait éprouvés en réaction aux frustrations narcissiques de son enfance », Kohut déclare : « je pus enfin lui dire que sa colère envers moi était basée sur des processus narcissiques, en particulier sur une confusion transférentielle avec la mère déprimée qui avait fait dévier sur elle-même les besoins narcissiques de l’enfant. Ces interprétations furent suivies du rappel de toute une série de souvenirs analogues se rapportant à une phase dépressive de la mère, très préoccupée d’elle-même, au cours de périodes plus tardives de la vie de la patiente ». À la lumière de l’ensemble des informations données sur ce cas, je poserai la question de savoir jusqu’à quel point, en faisant cette interprétation, l’analyste blâme de manière implicite la mère de la patiente pour avoir provoqué sa colère et l’empêche ainsi d’explorer plus complètement les origines complexes de sa propre rage? De manière plus générale, j’y vois le risque d’une séduction dans l’association d’une acceptation sans problème par l’analyste de l’idéalisation du patient, et du renvoi immédiat à l’objet originel du transfert négatif sans avoir exploré complètement la participation du patient au développement de la rage pathologique dans le cadre de l’ici et maintenant du transfert.

 

    J’ai dit que les efforts subtils et inconscients du patient pour dénier tout sens à la relation analytique (ce qui peut entraîner chez l’analyste un sentiment permanent de frustration, d’impuissance, d’ennui, et d’absence de compréhension [et jamais de colère ou de simple exaspération?]) sont bien plus difficiles à tolérer pour l’analyste que l’idéalisation primitive non réaliste qui, par sa nature, alerte l’analyste sur les fonctions narcissiques de cette idéalisation. Bien qu’il soit vrai que les analystes qui n’ont pas résolu leurs conflits narcissiques concernant leur propre narcissisme puissent réagir par l’angoisse ou le rejet, ou par une acceptation sans critique de l’idéalisation du patient, le principal danger est le rejet interne du patient par l’analyste parce que le patient dévalorise constamment l’analyste. L’analyste ressent parfois que c’est comme si les patients étaient en train de le convaincre que la vie intérieure est une chose qui n’existe pas, que les méthodes psychologiques sont incompréhensibles et ne signifient rien, et que le patient, de même que toute la thérapie, a un aspect étrange, mécanique, sans vie. [Un peu facile, encore une fois : le patient peut aussi être parfaitement convaincu de la validité des méthodes et de la doctrine, ou désirer éperdument y croire, et néanmoins penser que son analyste se trompe, qu’il est superficiel, dogmatique, projectif et con, parce que les interprétations proposées ne correspondent à aucun ressenti. Je tiens, une fois encore, à dénoncer hautement cette manière de Kernberg d’éluder l’éventualité d’une insuffisance de l’analyste, et de considérer a priori que le patient ne peut avoir que des raisons non raisonnables de le dévaloriser.] À d’autres moments l’analyste peut avoir un sentiment de compréhension mais aussi de paralysie complète comme s’il était incapable de décider quand ou comment intervenir ou comme s’il ne trouvait plus en lui les liens affectifs parmi les différents aspects du matériel. Parfois l’analyste est très tenté de juste s’asseoir et de laisser les choses aller, espérant qu’il trouvera une voie pour parvenir ensuite à une compréhension intuitive du patient. Si à ce moment, alerté par ce processus, l’analyste peut saisir dans les manifestations verbales ou non verbales du patient une preuve objective où l’analyste est menacé de non existence, des changements immédiats peuvent apparaître dans le transfert, qui rendent la relation analytique de nouveau vivante. Le sentiment d’une plate monotonie dans la thérapie peut provenir d’aspects tout à fait spécifiques des associations du patient et du comportement non verbal qu’il faut reconnaître et interpréter.

 

[J’élimine ici une dizaine de pages ennuyeuses à périr, appréciation rétorsive peut-être, puisque Kernberg ne cesse de parler de l’ennui contre-productif que peut provoquer chez l’analyste un patient narcissique insoumis. La fin de la deuxième partie est proche. Si la troisième est aussi chiante, je renoncerai à cette copie, qui ne relève plus que du pur devoir, et du devoir bête. [Et voilà que sept ans plus tard je l’intègre dans mon Inventaire! Je ne suis qu’un jobastre, papa avait raison.]]

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