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Inventaire avant liquidation

[Mes chers frangins]

20 Mars 2017 , Rédigé par Narcipat Publié dans #57 : Le deuil sans peine

    Sur ce, j’aurai peut-être quelque mal à me soumettre à l’ordre chronologique, mais, tant que quelques souvenirs percent encore le brouillard de la grippe et de la sénilité, je tiens à ne rien omettre de ce qui ne ressemblera guère à un In memoriam, puisqu’en apparence du moins papa pourrait bien être le parent pauvre de mon récit.

    Prévenu le 11 janvier, et mon petit frère (j’admire son courage! et le bien incroyable que ça fait à sa cervelle de devoir se plier à une nouvelle discipline universitaire à l’âge où je me suis retiré des voitures et n’ai su qu’inexorablement décliner) passant ses partiels de licence le jour même jusqu’à point d’heure, je me suis aisément laissé convaincre de ne partir que le 13, bien qu’une forte chute de température et d’abondantes averses de neige fussent annoncées ce jour-là sur la presque totalité du trajet. Comme, n’ayant pu joindre la nounou habituelle de ses chats, il prévoyait de mettre les adjas le lendemain de son arrivée, je tassai à tout hasard un sac de fringues pour, en cas de besoin, prolonger mon séjour.

    Il se pointa donc vendredi peu après midi, ce qui est tôt pour lui, et nous devisâmes, sur la route, moins que de coutume, en partie du fait de la neige, et surtout du sel, particulièrement emmerdant sur le pare-brise, je ne m’en étais jamais avisé, quand le lave-glace est vide et l’essuie-glace pourri : Denis ne m’a pas encore rejoint, mais, depuis qu’il ne touche plus un rond de chômage, sa métamorphose d’Artaban en Harpagon s’est accélérée. Quoique plutôt paladin des vicinales, j’avais plaidé la cause de l’autoroute, les 120 bornes supplémentaires étant compensées par les camions, qui tuaient le verglas dans l’œuf… mais flinguaient toute visibilité en nous doublant… le chauffeur ne surmenant pas le champignon, c’est le moins qu’on pût dire : Michel lui avait téléphoné la veille tout retourné par le visage du mort, et il désirait éviter cette expérience sans avoir à la refuser, on ne peut plus indifférent à mon désir diamétralement contraire : il semble estimer que, du moment qu’il me trimbale, je n’ai voix au chapitre que consultative. Mais n’exagérons pas : il ne me refuserait pas un arrêt si j’avais envie de pisser, et ce sentiment de dépendance, qui me fera péter un plomb le surlendemain, n’a peut-être qu’une origine très légère dans le réel. C’est un type complexe, nullement un “enfant gâté”, comme j’allais l’écrire, mais quelqu’un qui, comme moi, tolère mal d’être incommodé par les besoins, désirs ou tempi d’autrui, et malheureusement, même si la causette est généralement agréable (hormis ce qu'elle révèle des défaillances monstrueuses de ma mémoire, Wikipedia n’étant pas là pour y parer), nos tempi, désirs et besoins sont un peu loin d’être toujours compatibles… Ici, citation de Montherlant, Un compagnon est un maître : « Tout compagnonnage se passe comme suit : chacun à se gêner pour l’autre, à reprocher sourdement à l’autre cette gêne »… et je m’arrête là, car je l’ai déjà utilisée au moins dans Hors-je et dans Diarrhy : “on” finirait par penser que je n’ai lu que ça! 

    La nuit est déjà tombée lorsque, coup sur coup, deux broutilles me donnent le sentiment du mal joué, voire de la trahison : il a oublié de me prévenir d’apporter de la musique pour la cérémonie. Or la veille, j’avais précisément commencé à entasser des disques, puis avais renoncé, ne voulant pas jouer les mouches du coche, puisqu’on ne me demandait rien :  plutôt que de transmettre, Denis aura préféré faire son marché sur Internet, et graver un disque de “musique à papa” dont ne sera retenu que Petite fleur. Mais cet éclat de force un se trouve nettement surclassé par le suivant, que provoque un coup de fil de Michel : le curé désire que les enfants du défunt prennent la parole en chaire. La nuit est déjà tombée, tout le temps va être consacré à des ronds-de-bouche mondains… et au sommeil : il faudrait parler le lendemain à 11h, sans avoir rien préparé! Quand je pense au show que j’aurais pu faire, si on me l’avait dit à temps, si j’avais eu le loisir de l’écrire! Et me voici fulminant, dans la bagnole : mon salaud de puîné s’est arrangé pour prendre la vedette, pour me mettre sous le boisseau, avec la complicité, disons, involontaire, de Denis : arrivée tardive et lambinage supplémentaire, qui vont me contraindre à une cafouillante improvisation, alors que le rival aura eu tout le temps de peaufiner…

    Qui aurait lu in extenso mon Inventaire aurait glané ici et là quelques éléments d’un portrait de mon “surdoué-pontifiant cadet”, que je n’ai pas rencontré depuis une huitaine d’années, et vais redécouvrir nettement moins surdoué, mais aussi pontifiant que jadis, même si c’est plus bénignement. L’eau de l’âme n’est pas hors de portée, pourtant, je l’ai vu saisir du subtil à demi-mot, la nuance dont il professe le goût ne vise pas toujours à sa propre exaltation, et c’est à peu près le seul de la famille à qui j’aie connu des primesauts imprévus et drôles. Époque révolue, semble-t-il. Quant à sa mémoire, elle ne paraît pas, en dépit d’un A.V.C. récent et inexpliqué, aussi sinistrée que la mienne, mais elle est fidèle au poste d’auxiliaire de l’amour-propre, et il persiste à trancher de tout, d’un ton de pédant et d’une voix miaulante : la moitié de ses répliques commencent par un « En fait… » qui ne vous répond en rien, mais prétend reprendre la question d’une tabula rasa haute comme les nues. C’est un type qui ne peut vous parler que des cimes – et d’autant plus hautes, on le verra, que s’insinue en lui, fâcheux vent coulis, comme un soupçon que sa suréminence pourrait être illusoire. Il est très possible, cela dit, qu’il se soucie de rivalité comme d’une guigne, beaucoup moins que moi en tout cas, qui me suis sans doute réfugié dans le discours parce que j’étais battu à tous les jeux et sur tous les plans : au moins peut-on élever la voix, quand l’argument n’est pas de force, et quand jouer des poings n’est plus de mise. Je ne peux pas, comme je m’y apprête, parler de l’envie des autres sans m’interroger sur celle qui me structure, touchant essentiellement ce gars-là, qui en naissant, ou peu après, m’a chassé du paradis, et ravi mon droit d’aînesse. Lui trouver de la brioche, ou […], me soulage, ravit presque – alors que ces simples faits suffiraient à attester qu’il connaît des jouissances qui l’emportent sur celle de crâner.

    Jean-Yves, lui, est venu avec sa petite famille. Ai-je touché mot du troisième homme? Au moins dans le Buû en cours. Nous sommes brouillés depuis une cinquantaine d’années, pour des raisons que moi du moins j’ai oubliées depuis les 48 dernières, et qui, certainement, ont perdu toute validité; mais nous avons fait, à divers âges, des tentatives de renœuds qui n’ont abouti qu’à des flops. L’une d’elles impliquait un copain et deux filles, le tout tassé avec moi dans une 4L que Jean-Yves, qui s’occupait de ce commerce à l’époque, venait de me procurer à prix coûtant. Nous remontons de la dune du Pyla, ayant décidé de passer par la pointe de Grave pour rallier Fontenay-le-Comte, où j’habitais alors; mais les tarifs du bac nous paraissent exorbitants, et nous refoulent sur Bordeaux : une des filles éclate : elle ne supportera pas 200 bornes de plus : qu’on la laisse à la gare! Et c’est après qu’on l’a larguée qu’il m’est révélé, ou plutôt confirmé, que c’est moi qu’elle ne supporte pas : pourquoi? Le pote se dévoue : « Tu dois bien te rendre compte que tu n’as fait que des erreurs. » Les seules que je discerne, c’est d’avoir mis fin à leur sieste, après une bonne heure à regarder sécher la peinture, mal bercé par leurs ronflements; et un peu trop hautement célébré le charme de leur compagnie, pour dissimuler à quel point je le ressentais peu. Mais le rustre éclaire vite ma lanterne : « Par exemple, le mot despotisme que t’as employé tout-à-l’heure, moi, je le connais pas. » Je ne sais plus si j’ai répondu ou suis resté bouche bée. Pour une fois que c’est la réplique d’un autre que je cite, je suppose que mon orgueil y trouve son compte! Mais j’en ai retenu une autre, de Jean-Yves celle-là, transmise par Geneviève : « Il sait pas être bien » Peut-être ne s’agissait-il, en l’occurrence, que de cette sieste interrompue. Mais que je ne sache pas être bien, ne continué-je pas à le prouver tous les jours?

    Avec de l’aide, parfois, comme le montre l’anecdote n°2, postérieure de 29 ans à la précédente : Gwennaëlle, la fille de l’olibrius, a alors dans les cinq ans, ses photos sont mignonnes, on la dit adorable, et je brûle de la connaître. Elle fait un séjour à Dun avec sa mère et son frère tout chiard, pendant que le père visite ses fournisseurs de Bali – portable en éveil. C’est mai, l’anniversaire de ma mère : rien de plus naturel que de loger là ma visite annuelle. Il ne me faut pas deux jours pour séduire cette fillette et en être séduit, en entrant dans son monde féerique, et je la trouve épatante in se, plus de me trouver épatant : business as usual, si vous voulez, mais dont les longues plages sans m’empêchent de me lasser. Seulement la mère veille, rend des comptes, et prend des consignes du papa (dont je n’ai, faut-il le dire, pas soufflé mot) consumé de méfiance, de jalousie et d’impuissance, à huit ou neuf fuseaux horaires de là : Gwen reçoit enfin l’ordre de « passer plus de temps avec ses grands-parents », qui n’a rien d’hermétique, et du coup vient s’en plaindre à moi en larmes, me soufflant à l’oreille […]. Bingothello! Serve him right! Pour compléter le tableau, brochez sur le fond l’ignoble grand-père, se “marrant” comme une baleine (blanche : je le répète, je ne l’ai jamais vu rire; mais faire semblant, avec une bouche écarquillée et des “han” muets de bûcheron, était un de ses procédés favoris pour évacuer les affres de l’envie). Le lecteur aura-t-il compris que, rôles inversés, j’aurais, même averti de l’innocence totale de l’amourette sus-évoquée, écumé à l’égal de celui que j’appellerais désormais “le Gros Con”?

    Hasard? Tueur d’âmes, le Buû de 2013 que j’avais décidé de reprendre pour restaurer ma JOP, et que ces obsèques auront probablement enterré une deuxième fois, évoquait une Gwen imaginaire de 17 ans, ou un composé d’elle et de Sophie, qui se serait suicidé après réception d’une lettre d’un “psycho-serial-killer” redoutable pour son blog d’ado et son estime-de-soi. Tonton Buû n’assiste pas à l’enterrement, mais se met en chasse de ce criminel d’un pas-si-nouveau genre, non sans avoir narré, d’un ton bilieux, l’anecdote du paragraphe précédent.

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