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Inventaire avant liquidation

[Paranoïa, le retour]

29 Mars 2017 , Rédigé par Narcipat Publié dans #57 : Le deuil sans peine

    Me voici donc parti pedibus pour la gare, distante de trois bornes. Je n’ai pas fait la moitié du chemin qu’une bagnole blanche s’arrête, et que s’extrait l’offenseur de la place du mort, pour me lancer d’un ton de minet superficiel : « Pas de regrets? » Toujours le ton, soit, mais voyez le texte! La démarche, si fort qu’on m’en eût prié, je ne l’eusse jamais faite. Mais la faire comme ça, n’est-ce pas, sciemment, planter une paire de banderilles au taureau? Apparemment non, pas sciemment, car dès la première phrase de ma réplique (« Non, je veux plus voir ta gueule. »), je vois chavirer la gueule en question. Totalement déconcerté. Il est vrai qu’un type qui me taxait de “folie furieuse” parce que je faisais cuire les pâtes plus longtemps que lui doit, ce coup-ci, m’estimer passible d’internement immédiat. La patho-du-lien et la rétention aiguë d’empathie ne sont pas mon domaine exclusif. « Merci pour les trajets, mais c’est pas parce que je circule dans ta bagnole que je suis ton esclave. Et tu sais très bien à quel public tu t’adresses. Je vous laisse rigoler ensemble. » Il se réengouffre sans répondre un mot, et le conducteur (Michel, à ce que j’ai cru voir; en réalité, Jean-Yves) redémarre, alors que j’aurais sans doute accepté qu’on me déposât à la gare : cette fois, c’est définitif. Et, mon Dieu, ça me fera des économies, car pas de demi-mesures : tous dans le même sac! Pas un pour racheter l’autre! Bref, l’enivrement de la sécession et ses conneries habituelles.

    Il n’empêche qu’après avoir découvert à neuf heures que la première micheline ne part pas avant midi, ni le guichet n’ouvre avant onze heures le dimanche, c’est plutôt du côté de la paranoïa que m’emporte le tourbillon des pensées confuses, épaulé par le vent d’hiver qui parcourt cette gare quasi-désaffectée, et apporte au virus l’influenza di freddo qui lui manquait peut-être encore. (Maman, quasi exultante, me révélera le surlendemain que tous l’ont attrapée sauf elle!) Il faut bien admettre qu’il n’est pas cohérent de vitupérer les pignoufs qui ne répondent pas aux lettres et aux arguments qu’elles contiennent, et de fuir soi-même le débat; qu’observée de quelque distance, la cause de la rupture a tout l’aspect d’un simple prétexte, et, puisqu’à prétexte point n’y a lieu, d’un symptôme de dérangement mental. On vit au milieu des sauriens, et j’ai déjà écrit à Denis que je le tenais pour tel, fin 2013, avec moult détails, à quoi il n’a su rétorquer qu’un silence complet de dix-huit mois. L’âme-sœur n’est pas de ce monde, où les tares s’arrangent des tares, et réciproquement… N’était-ce pas une honte, une demi-vie après avoir décrit un comportement sociolytique, de n’avoir encore su en triompher? Bref, j’avais eu le temps de me dévider quelques kilomètres de discours raisonnable, en attendant l’ouverture de ce foutu guichet, et en guettant les bagnoles du coin de l’œil, très décidé certes à rembarrer quiconque ne me reconnaîtrait pas la douteuse qualité d’offensé, mais me traitant de roi des cons de n’avoir pas simplement attendu le lendemain, lorsque je vis se repointer mon agresseur, cette fois seul et sur des œufs. 

    La cellule de crise ne s’était pas fait de nœuds au cortex, mais avait simplement interrogé l’ordi sur les horaires : laissons le malade lâcher la vapeur!… Et, en un sens, ça paraissait marcher, sauf que la même condescendance aurait été plus mal reçue encore que deux heures plus tôt. Chaussons nos bésicles. Je ne prétends pas être indifférent à la dépense, au confort, etc, et vingt minutes après, avec en poche un billet non remboursable, sans doute aurais-je été beaucoup plus difficile à émouvoir. Combien de fois depuis ce retour a percé la honte d’avoir tourné casaque! Mais pour l’éprouver, il faut me mettre à la place du pékin qui juge en extériorité bien-la-peine-de-faire-tant-d’histoires! Le fait est que moins de cent balles de billet de train ont pesé moins qu’un liard dans ma décision, et l’heure d’arrivée, le tintouin des correspondances encore moins. Ce qui comptait à mes yeux, c’est surtout que Denis eût eu les cojones de revenir, qui ou quoi qui l’en eût sollicité (sa mère, très probablement), pas du tout sûr d’emporter le morceau, pas obsédé comme moi, peut-être, par le rejet, mais point du genre non plus à tendre la joue gauche. Sociable (au sens superficiel du terme) au point qu’il préférerait trois fois le détour qu’il fait pour m’héberger dans son bolide à une traversée du Massif Central seul face à lui-même, surtout avec la perspective du maxi-bouchon que Michel lui avait prédit en consultant un site ad hoc, et dont nous ne vîmes pas l’ombre. Mais, bien que ce type me demeure mystérieux, je ne crois pas que ces considérations aient prévalu.

    Évidemment, la conversation ne pouvait être bien enjouée, ni les confidences copieuses, de son côté, s’entend, vu que moi je cure les biefs avec à peu près tout le monde. Ce qu’il m’a donné à saisir, en tout cas, c’est qu’il considérait mon allocution ecclésiale non pas comme dénuée de toute importance, comme j’étais prêt à le comprendre et à l’accorder, mais comme une saleté et une vilenie, ce qu’il se garda bien de formuler en ces termes, mais à quoi il tenait assez fort pour que son ultime requête, en tirant la porte de l’ascenseur, fût que je lui promisse de ne pas participer à son oraison funèbre! Vanne, soit, mais significative… reste à savoir de quoi, et je ne crois pas qu’il soit stupide d’effectuer une liaison avec cette velléité qu’il aurait eue de se lever, lui aussi, à l’église, et d’y aller de ses petits souvenirs d’enfance : “manière” qu’il professait donc préférer! Le blâme, d’ailleurs bénin, infligé à ma façon d’honorer les morts, traduit-il la culpabilité d’avoir fui aussi bien la vision du cadavre que la prise de parole? Ou se réfère-t-il à une morale de tous connue, et de moi seulement pressentie?

    C’est un bonhomme avec qui il y avait plaisir à converser quelques heures par an, du fait de sa suspicion systématique de tout ce que la presse mainstream conte et encense, suspicion sans mal mieux “sourcée” que la mienne. Je pouvais passer sur la confusion de mesurer mes affreuses et grandissantes lacunes à la toise d’un intellect qui m’a encore rien perdu, s’arrange pour acquérir tous les jours, et sans passer par la fiction. Mais, outre que nos centres d’intérêt divergent, et qu’il est trop méfiant et boutonné sur le plan personnel pour alimenter ma connaissance de l’homme, il y a chez lui une instabilité dont je ne puis m’accommoder, parce que je la ressens comme une emprise. Je puis être fort désagréable moi-même, je n’en doute pas, mais pas sans provoc, plus généralement sans raison, ou sans illusion de raison : je ne m’accorde pas le droit aux humeurs en présence d’autrui. Et cependant, c’est moi qu’on ne supporte pas. Et cependant, revenons-y encore, ne relève-t-il pas de l’humeur de s’enflammer pour un mot qu’on aurait toléré la veille, voire même pas perçu?

    Bien joli, mais qu’y faire? L’arrogance, la négligence, subies, se douent d’une indéniable réalité. Je peux prendre sur moi, et du reste le faisais, tant que j’en ai eu, avec tous mes correspondants, sans aucune exception, qui, lorsqu’une question les dérangeait ou leur paraissait sans intérêt, n’y répondaient tout simplement pas : j’ai déjà énormément rabattu de mes exigences de courtoisie. Et réciproquement, peut-être se prennent-ils, eux, pour des saints, de me “pardonner” mes lettres incendiaires. Mais la terre est peuplée de pignoufs, et plus on encaisse de mauvais procédés, plus ils vous en infligent. Tendre la joue gauche est d’un mauvais rapport… selon mon expérience? dont je me demande si elle n’est pas faite de présomptions.

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