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Inventaire avant liquidation

[Preuves d'antan - La “foi de Pâques”]

3 Décembre 2016 , Rédigé par Narcipat Publié dans #55 : Méchant?

– Mais cette putain de foi est bancale! D’un côté on la lie à des preuves, ou au moins à des indices, à des témoignages, et de l’autre à l’espérance du paradis, comme si c’était une vertu de prendre ses désirs pour des réalités. C’est quasi-textuel dans le bouquin posthume de Varillon : « Mon exigence la plus profonde est la vie : je veux vivre à jamais. Si vous me dites que vous n’y tenez pas tellement, je suis obligé de rompre le dialogue, je n’y peux rien. Tout ce que je peux dire, c’est que je ne suis pas fait comme vous. Mais moi, je veux vivre à jamais. La résurrection me dit : tu vivras à jamais. C’est le sens. C’est pour cela que je crois. » Sic. Il dit ailleurs, je ne retrouve plus où, mais c’est le sens, que l’espérance de “vivre à jamais” constitue à elle seule le signe qu’elle doit être comblée. Note bien que la foi, je la resp- non, je ne respecte rien, mais j’ai une certaine admiration pour elle, quand elle entraîne le mépris de la mort, et ipso facto met le fric à genoux. Je préférerais que, comme dans la chanson de Boris Vian, on enferme tous les chefs d’états (plus les chefs d’entreprises, les mille plus riches, etc) dans une pièce avant d'y faire sauter la bombe, mais le 11 septembre, bien qu’affreux, c’est tout de même David terrassant Goliath, un Goliath qui ne cesse d’emmerder le monde et de le pressurer. Par ailleurs, je peux aisément me forcer à tolérer toute espèce de foi, quand elle ne fait de mal à personne. L’intolérable, c’est qu’on m’en fasse une obligation si je veux éviter les tourments éternels.

– Peut-être pas une obligation, puisque la bienfaisance et l’amour sont désormais accueillis, de quelque croyance qu’ils s’accompagnent. Mais si Dieu existe, on peut soupçonner qu’une grâce t’a été faite, à laquelle tu résistes avec une singulière opiniâtreté, puisqu’en trois mois et demi, tu n’as même pas pu prendre sur toi de lire le Nouveau Testament

– Mais il ne fait que me rebrousser! Il m’éloigne de la foi!

– une demi-heure, voire dix minutes par jour! Le moins qu’on puisse te demander, c’est de donner suite à cette grâce, en secouant un peu les préjugés qui gouvernent ta vie depuis… l’âge de treize ans, par là. « Que Dieu n’apparaît-il quand je L’en prie? Il aurait à peu de frais un serviteur zélé, dur à la fatigue et à la mortification », etc.

– Je te fais observer primo que c’est ironique, secundo que ce truc date plutôt de mes seize ou dix-sept ans.

– N’importe, c’est, je ne dis pas la cause, mais l’argument majeur de ton incroyance, il y a un demi-siècle qu’il n’a pas changé d’une panse d’a, et ce sont les autres que tu traiterais d’esprits bornés?

– Pourquoi devrait-il changer? Quand on dit qu’il n’y a rien où il n’y a rien, on n’a pas à donner de raisons. C’est aux visionnaires que la preuve incombe.

– Dieu ne se manifestait pas davantage au cours des XIX siècles et demi qui précèdent, et ça n’empêchait pas de croire en lui.

– C’est à voir. Comme tu dis, je ne sonde pas les reins et cœurs. Des curés Meslier, je crois qu’il y en a eu à la pelle, et plus encore de papes pour le moins  agnostiques comme Urbain VIII, qui s’écriait à la mort de Richelieu : « S’il y a un Dieu, il va payer! Sinon, quel homme! »

– Enfin… en gros.

– En gros. Mais même si une écrasante majorité était pieuse, qu’est-ce que ça prouve, à une époque où les savants eux-mêmes n’avaient aucune notion de l’immensité de l’univers, et desserraient sans broncher des chronologies partant de la création du monde et de l’homme en 4004 avant Jésus-Christ? Imagines-tu l’ignorance d’un péquenaud ou un soldat en ces temps-là? À quel point la vie était morne et précaire à la fois? Le besoin qu’on avait d’un peu de spectacle et de rassurance? Tu ne peux pas m’en faire des modèles.

– Qui sait si au contraire ils n’étaient pas plus près d’évidences premières actuellement masquées par les pubs et le divertissement? Car pour ce qui est de la connaissance…

– On en oit au moins l’écho, et on en constate les bienfaits, même s’ils sont très inégalement répartis. Je ne suis pas fou de notre civilisation, mais elle offre au moins des enclaves à la libre réflexion, si l’on n’ouvre pas trop sa gueule. Je regrette, tout au plus, la liberté d’expression des seventies, mais les âges de foi et de bûchers, non merci. L’Église fait patte de velours depuis cinquante ans, elle révise à outrance, mais tant qu’elle a eu le pouvoir…

– Elle s’est comportée comme tous les pouvoirs. Constantin et Théodose ne lui ont pas fait de bien.

– Tu rigoles? Sans eux, le Christ serait depuis longtemps au même dépotoir que Zeus ou Mithra.

– À supposer naturellement qu’il n’y ait rien que d’humain en lui. Il y a quand même un fait historique sans précédent et sans successeur, c’est la diffusion d’une croyance qui à l’époque aurait dû paraître insensée, et qui, au fond, l’était et l’est restée, malgré l’accoutumance. Qu’un agitateur à la carrière fort courte, et qui a subi la peine la plus infamante de l’époque, soit ressuscité, déjà, et qu’on le croie, qu’on croie ceux qui en témoignent

– Bah, on pourrait s’étonner tout autant du phénomène des faux Dmitri…

– Là tu déconnes un max. Attends que je vérifie… Le seul qui ait un peu réussi, Grichka Otrepiev, celui même qui a succédé à Boris Godounov, a régné deux ans, et sans jamais faire l’unanimité!

– Parce que le Christ n’a pas reparu sur terre, il était au ciel, c’est plus commode. Comme disait Céline, on ne pouvait pas le voir faire caca…

– Justement, il a reparu.

– Prétend Paul, prétendent les Évangiles, les Actes des Apôtres, peut-être

– Tu pourrais au moins avoir lu les premières pages.

– Oui oui, les quarante jours… Bon, mais tout ça est écrit bien plus tard, il n’y a pas l’ombre d’une preuve, et d’ailleurs personne ne le reconnaît d’emblée!

– Quel vrac! Tu ne crois pas que si c’était de la forgerie, on le reconnaîtrait dare-dare?

– On ne peut pas faire tranquillement des cafouillages une marque d’authenticité! Guignebert analyse les textes et conclut que toutes ces apparitions, celles du moins que Paul évoque, s’incluant lui-même parmi les Visités, alors qu’il n’a pas connu Jésus de son vivant, étaient des visions. Et je trouve Guignebert bien bon de leur concéder ça.

– Guignebert est convaincant sur l’enfance, sur la prédication, le procès, la mort. Mais, touchant la foi de Pâques, c’est le naufrage. Toujours le chaudron! Quand les textes ne collent pas à son incroyance, c’est tantôt qu’on ment, tantôt qu’on rêve.

– Et comment les croyants expliquent-ils cette constante, que personne, ni les apôtres ni les pèlerins d’Emmaüs, ne reconnaisse Jésus après résurrection, avant qu’il ait bien enfoncé le clou?

– C’est qu’il est transfiguré, il ne revient pas à sa condition antérieure. Peu importe, je ne me soucie pas de l’expliquer, mais j’enfonce le clou à mon tour : pourquoi inventerait-on une chose pareille? À quoi ça servirait?

– À montrer qu’il est transfiguré, puisque tu le dis.

– Ridicule. Il n’y a d’explication nulle part dans le texte. Il faut que les théologiens s’en chargent. C’est un fait irréfutable que si tu admets l’existence charnelle et historique de Jésus, et sa mort sur la croix, attestée par Tacite

– Minute! Tacite a reproduit ce qui se disait des chrétiens, partiellement puisé dans ce qu’ils disaient, eux… à moins que le passage ne soit tout bonnement interpolé.

quamquam adversus sontes et novissima exempla meritos… “bien qu’à l’égard de criminels, et dignes des dernières rigueurs” : ça n’a pas la tronche des ajouts chrétiens ordinaires!

– Certes. Mais ça reste le B-A BA.

– Mettons. De toute façon, que Jésus ait été un homme ou un mythe, la foi de Pâques reste inexplicable

– Ne sois pas idiot. Elle n’est pas “de Pâques” s’il n’a jamais existé!

– De Pâques mythiques, si tu préfères. Il me paraît encore plus fou et improbable que le christianisme ait pu se passer d’un Jésus charnel et mort en croix! Pour revenir à l’hypothèse généralement admise, le plus significatif, c’est que la rumeur de la Résurrection puisse naître alors que les disciples ont sombré dans la désillusion et le désarroi!

– Mais cela même, quoi donc l’atteste, que les Évangiles, c’est-à-dire des textes hautement suspects?

Suspects, uniquement, d’être obnubilés par leur objectif hagiographique. Et dans cette optique, à quoi donc les avancerait de présenter les apôtres comme des lâches à la foi volatile?

– Précisément, à rendre la résurrection plus crédible. La genèse de la “bonne nouvelle” est mystérieuse, je le concède, mais pas au point d’en faire une preuve! Il en faut assez peu pour qu’une rumeur naisse et se propage, il suffit au début de quelques menteurs ou de quelques illuminés…

– Je ne le crois pas une seconde. C’était trop gros à avaler.

– Pour des rationalistes ou des incrédules de notre acabit. Mais est-il un peuple sur terre qui n’ait cru aux fantômes ou n’y croie encore? Quand une ombre survit quelque part, il n’est pas si difficile d’admettre qu’elle revienne! Et à partir des premiers répétiteurs, qui se contentent de transmettre ce que d’autres ont vu ou entendu, le tour est joué.

– Donc Paul, pour toi, est, je cite, un menteur ou un illuminé?

– Je n’ai même pas réussi à lire ses lettres! Peut-être vont-elles me convertir, si la croûte d’ennui se fissure. Mais en attendant ce double miracle, comment vas-tu recevoir le chemin de Damas, si c’est un voisin ou un ami qui te le conte? En ce temps-là, où le surnaturel fleurissait à chaque pluie, où les merveilles du monde portaient le cachet “Dieu”, parce qu’on ne soupçonnait pas qu’elles eussent mis si longtemps à éclore, où l’info ne circulait que de bouche à oreille, où l’esprit critique… oh, il n’est toujours que le fait d’une élite! Que veux-tu, non, je ne peux pas avaler une énormité juste parce que quelqu’un l’a dit. Et je ne peux pas davantage me fier à une grâce qui n’est qu’autosuggestion. Pourquoi Jésus ne me reproche-t-il pas, à moi, à haute et intelligible voix, de le persécuter? S’il ne m’appelle pas à la foi, c’est qu’il ne souhaite pas que je l’aie.

– Et tu crois qu’un crucifix parlant résoudrait la question? Mais, une fois acclimaté dans ta vie, il n’en prouverait pas davantage que la voix de ta conscience, ou la surprise de créer quelque chose qui n’existait pas hier!

– Créativité sporadique! conscience polyphonique et peu fiable!

– La créativité s’endort dans l’habitude, et la conscience ne parle qu’à qui veut l’entendre, comme Dieu!

Pourquoi?

– Par respect de ton libre rejet. Tu étais un peu plus lucide il y a trois ou quatre ans, en nous racontant pour la trente-sixième fois ton miracle des chiottes, ridicule par son temple, mesquin en son langage, mais, comme tu le disais toi-même, en cela adapté à son expérienceur

– Pas probant, surtout!

– Ça dépend de quoi! Si la coïncidence s’était opérée cent fois de suite, tu aurais été obligé de “tout donner et de le suivre”, et si tu as arrêté l’expérience à deux ou trois, c’est parce que te soumettre à des commandements, quels qu’ils fussent, peut-être, entraver le moins du monde ta liberté (et on sait, et examinera, ce que tu voulais en faire, et où elle t’a mené) t’emplissait d’une authentique terreur

– C’est très exagéré. Je fanfaronne un peu dans ce texte.

– Tu joues les titans qui résistent aux miracles, et mettent leur éternité en péril, ce qui n’est pas très futé; mais le fait demeure que, Dieu ou pas Dieu, tu as refusé de savoir. Et que ce refus était la marque d’une intention mauvaise, qui s’est traduite par un certain nombre de saloperies, de faible envergure, certes

– On se demande quelle mercuriale tu adresserais à un assassin.

– Ma main au feu que Dieu est plus indulgent pour les grands crimes (quand on s’en repent, ça va sans dire) du seul fait de leur grandeur. Toi, tu t’es contenté d’en rêver, d’être odieux avec les rares qui t’aimaient, pour te venger du dédain des autres, de jouer les psycho-serial-killers, dans la mesure de ton possible, heureusement étriqué, et les démoralisateurs, dans des œuvres heureusement inlues.

– Caricature! Il est possible qu’à l’époque j’aie voulu m’en réserver la possibilité. L’idée d’une œuvre chrétienne, attendu l’ennui que me procuraient celles de Claudel, de Mauriac, ou le prêche du curé du coin, me donnait la chair de poule. Mais il y a une morale dans les Buû; et ici même, dirai-je, une assez exigeante, dans l’effort de lucidité, qui va peut-être aboutir à foutre au feu le fruit de mon boulot…

– Quel boulot! Ah, on peut dire que tu t’es fatigué! Griffonner n’importe quoi, enchaîner les phrases aux phrases, pour éviter d’aller au devant des autres et de faire quoi que ce soit d’utile! Pourquoi donc le foutre au feu, d’ailleurs, ce fruit, si tu ne le ressens pas toi-même comme mauvais, artistiquement et moralement parlant?

– Disons que si Dieu n’y est pas attaqué bille en tête, mon texte se passe trop facilement de lui. Qu’il y a, ici ou là, des rosseries assez violentes contre des gens qui, en effet, ne m’ont fait aucun mal volontairement; et surtout, que ma vie est finie : tout ce que j’ai à sacrifier, c’est ç’à quoi je l’ai consacrée.

– Sacrifier à qui donc? À Jupiter?

– Il vaut bien Yahveh.

– Le Dieu de l’Ancien Testament ne paraît pas spécialement sympa, certes

– Belle litote. Celui-là, oui, on le voit bien inventer l’enfer pour les ennemis de son peuple.

– Nous examinerons ce point plus tard, si tu veux bien.

– Un point volumineux. Un point d’achoppement.

 
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