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Inventaire avant liquidation

[« 340000 caracs de bavardage aporétique »]

29 Décembre 2016 , Rédigé par Narcipat Publié dans #55 : Méchant?

– Je te vois venir : tu vas me taxer d’ingratitude à l’égard de Dieu.

– Je n’y songeais pas encore. Mais il faut convenir que cette nuée d’arguments hétéroclites qui tournent autour de Je n’ai pas demandé à naître, et au fond s’y ramènent, pourrait se lire comme un simple refus de rendre grâces…

– Et l’athéisme aussi, tant qu’on y est.

– Certainement, quoique ce soit plus délicat. Mais si tu commençais par consentir à voir la vie comme un cadeau, il ne serait pas impossible que Dieu s’ensuive…

Gracias a la vida que me ha dado tanto

   Me dio uno lucero, que cuando lo abro… Et merde! Un pied de trop, dès le deuxième vers!

– Tu vas nous le reprocher encore longtemps, ton lucero manquant?

– Je ne reproche rien, mais ce manque peut expliquer une vision du noir et blanc… un peu grisâtre. Au fait, tu le savais, que l’auteure de cet hymne à la vie s’était suicidée à cinquante berges?

– Oui, on ignore pourquoi, elle n’a pas laissé de mot.

– Bah, elle était moche, elle venait de se faire plaquer, le meilleur était derrière… et l’inspiration tarie, peut-être. Je me demande si je n’admire pas son courage encore plus que sa chanson.

– À supposer que ces deux admirations ne relèvent pas de la comédie pure et simple.

Pure et simple, sûrement pas. Quant à la comédie, parlons-en : faudrait-il me confesser aussi de n’avoir, toute ma vie, visé qu’au paraître, ce qui a vicié de l’intérieur ce que leurs bénéficiaires pouvaient tenir pour mes “meilleures actions”? Qu’est-ce que j’y peux, moi, si je frime? Si je ne peux éprouver rien d’authentiquement objectal? Si j’ai un trou noir en guise d’intériorité? Il n’y a pas trace de libre-arbitre, là-dedans!

– Et dans le choix de l’immoralisme non plus?

– Je me le demande. Il ne s’est concrétisé qu’en peccadilles, de toute façon – et en discours.

– Les circonstances aidant. Parce que, tout de même, tu as longtemps rayé autrui du tableau, et, en te “suicidant” au camping-gaz, par exemple, dans ta piaule à Poitiers, tu ne te souciais guère de faire sauter la baraque. Pas plus que de l’intégrité physique des gens d’en face, quand tu commençais à couper un virage à trois bornes de distance.

– C’est vrai. Je ferais gaffe à l’heure qu’il est, mais je me tamponne toujours le coquillard de ce qui n’arrive qu’aux autres. Pourtant, en fin de compte, à part les quelques exceptions citées plus haut, je n’ai fait de mal à personne qu’à moi-même.

– Plus aux gosses qui t’ont pris au sérieux, et que pour la plupart tu ne connais même pas, sans doute, parce qu’ils ne te l’ont pas dit…

– Qui sait? Mais je doute fort d’avoir eu la moindre influence durable. 

– M’est avis qu’on ne va pas loin, avec cette notion de nuisance. D’ailleurs, pour brosser ce que tu appelles ton pire crime, qui ne te vaudrait pas une minute de taule, tu fais bien intervenir les motivations.

– Sans exclure que les auteurs réels du lourdage, que leur conscience a sûrement laissés en paix, n’aient été encore plus fumiers que moi.

– Ton pouvoir n’est jamais allé que de faible à nul. Mais attention aux dégâts, si l’on t’en avait donné davantage. 

– Le pouvoir, je l’ai fui.

– Tu as fui la responsabilité, c’est-à-dire le risque d’erreur visible

– J’aurais été le plus doux des despotes.

– À condition de n’être pas contesté. Écoute : si ce dialogue foireux aboutit à quelque chose, c’est à reconnaître une ingratitude qu’on t’a plus d’une fois reprochée

– On dirait que ça vient, mais

– Une ingratitude dont la cause et le but n’ont rien de complexe. Tu crois que tout t’est dû, et tu ne veux pas te donner la moindre peine.

– Je ne veux pas sentir une obligation peser sur moi. La peine n’est rien, si elle est dans mes cordes et librement consentie.

– Donc quand elle n’en est pas une. Pourquoi ne pas te donner celle de regarder ta méchanceté en face, puisque d’elle aussi on t’a abondamment blâmé? Tu as beau résister de toutes tes forces, pour garder ta petite originalité à la con, est-ce que tu ne t’aperçois pas que toute ta réflexion va dans ce sens : les autres avaient raison?

– Je n’ai pas besoin d’eux pour me trouver insupportable : les documents suffisent. Mais méchant, c’est une étiquette qui a des prétentions sur l’intérieur, et là, je ne marche plus.

– Tu n’as pas attendu de rejeter Dieu, le bien et le mal, pour t’évertuer à faire souffrir tous ceux que tu pouvais atteindre, physiquement d’abord, par la parole ensuite.

– Je faisais mon possible pour compter de la sorte, quand il n’y avait pas d’autre moyen.

– Les autres moyens passaient par une demande, et le risque qu’elle ne fût pas agréée. L’orgueil et la peur d’une annihilation ont présidé au choix du mal, de la révolte et de la haine. Mais ce choix s’est englué dans la routine, et il t’a sclérosé l’esprit : tu as beau réserver ton estime aux textes qui s’enfoncent dans la chair vive, ou qui déboulonnent toute espèce d’autorité, je jurerais que ta stérilité a pour origine ce parti-pris de destruction et de dérision, que tu as réussi à affecter quelque temps d’un signe positif, en t’immergeant dans les mômes, et en changeant de public le plus souvent possible. Répéter que la vie est moche, que l’amour n’existe pas, qu’on ne doit rien à ses parents et à ses maîtres, que les chefs sont tous pourris, et les valeurs collectives des cache-misère

– Quel résumé!

– Ça peut donner à un adolescent l’illusion d’une libération, mais c’en est une dont il a intérêt à s’émanciper en grandissant, sauf à rester immature toute sa vie.

– Quel amalgame! Eh bien, admire ma magnanimité : je vais y réfléchir. Mais pas avant d’avoir abordé la question sous un autre angle : tu m’avoueras que cette fois, si ton équation méchanceté = enfance prolongée ne visait pas à introduire Peter Pan, c’était bien imité.

– On était censé, en cas d’échec, revenir à la paranoïa.

– Je n’ai pas trouvé un seul bouquin intéressant sur le sujet.

– Tu devais lire la thèse de Lacan…

– Elle m’a chu des mains pour la 36ème fois, et ça commence à m’agacer baleine de me sentir coupable de ne pas lire tous les pavés chiants à mourir qui se présentent, la Bible en tête, alors que pas un rat n’éprouve la moindre curiosité pour mes pages les plus lumineuses, qui sont offertes sur Internet.

– C’est sans doute qu’elles ne sont pas si lumineuses que ça, ou qu’elles sont introuvables dans la masse.

– Ou tout simplement qu’on va sur Internet chercher des renseignements, pas de la littérature.

– C’est ton cas.

– Eh oui. J’ai beau savoir comment marche l’édition, je n’ai pas le temps de pelleter le foin du Ouaibe en quête de chefs-d’œuvre. Du reste, j’aime lire couché, et ma bécane ne me le permet pas.

– Offre-toi une liseuse.

– Au prix où ils fourguent les hibouxes? Tu galèjes! Je ne suis pas si avide de nouveautés. Au point où j’en suis, les soldes de Gibert m’accompagneront bien jusqu’aux obsèques.

– Ce n’est pas le plus angoissant du cortège.

– Non. Je viens de revoir ma grand-mère, là, à sa pré-fin de vie. Elle s’était remise au tricot, qu’elle n’avait probablement pas pratiqué depuis la guerre… de 14! Et elle faisait, avec deux aiguilles et beaucoup de patience, des trucs incroyablement compliqués, genre couvre-lit composé de petits carrés en deux ou trois tons, au centre de chacun desquels fleurissait une rose… Elle a dû en laisser un à chacune de ses petites filles, qui étaient quatre dans la branche cadette et une seule chez nous, d’où peut-être le mythe qui s’est développé dans l’arrière-descendance avunculaire d’une “mémé-lo” quasi-canonisée… Quel intérêt? me diras-tu. Eh bien, que je me suis demandé tout à coup si cette femme, que j’ai connue, ou devrais, mieux qu’eux tous réunis, cette espionne qui fouillait dans vos affaires, cette avare pathologique qui guettait le déclic de la poire pour me faire une scène de lire trop tard au lit, mais qui se crevait les yeux sur des travaux d’aiguille interminables pour laisser une trace, mon cœur atrophié pouvait en détenir la vérité. Ce ne serait pas la seule que j’aurais récompensée de ses bienfaits en compissant sa mémoire. Il n’est pas impossible que je sois un monstre, ou avorton de monstre, et que ça explique des choses. On verra ça avec Peter Pan, ou le pervers narcissique…

– Toi, tu brûles de revenir au monologue.

– L’ai-je quitté? N’aie crainte, je me poserai toutes “tes” questions. Mais ce torche-cul, c’est du monologue délayé, avec un vice de forme à la base  : l’existence de Dieu et ma “méchanceté”, c’est deux lièvres à la fois. Total : 350000 caracs de bavardage aporétique!

– Laisse dire ça aux autres, bon sang! Efface, ou ferme ta gueule!

– Je ferme ma gueule, et j’effacerai plus tard.

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