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Inventaire avant liquidation

Le “sacrifice” - Le “prochain” - Genèse de la morale

4 Décembre 2016 , Rédigé par Narcipat Publié dans #55 : Méchant?

– On achoppera quand on aura démarré! Arrête un peu de chier du carac! On traite d’un sujet grave. Qui te demande un sacrifice? On se croirait dans la droite ligne de cette idée géniale de “sacrifice de la messe” comme celui d’une heure d’ennui au Seigneur, que tu te savais un tel gré d’avoir enfantée, et dont tu t’étonnais que l’abbé Boilat ne l’eût pas reçue avec des alleluias : à douze ans, passe encore! Cinquante-quatre plus tard, c’est de l’infantilisme! Du reste, je te cite toi-même : « l’erreur de base pourrait bien être de tenir Dieu pour un tortionnaire qui exige des sacrifices ».

– Il en aurait bien exigé un de son fils, et quel!

– D’après ce que je lis là, Dieu n’exige rien.

– « Que ta volonté soit faite, et non la mienne! »

– D’accord. Mais, comme tu le disais plus haut, il faut que ce soit fait par amour, en aucun cas pour compenser son absence. Un sacrifice rechigné, comme ces billets de cent balles que tu lâches aux O.N.G. quand ça ne déséquilibre pas trop tes finances, est sans valeur.

– Merci pour leurs destinataires, à supposer qu’il leur en parvienne une partie! Pas si rechigné que ça, d’ailleurs, sauf que j’aimerais un peu les voir, ces gamins. Mais on a renoncé aux parrainages : il avait dû se trouver des méfiants pour répondre aux lettres, ou carrément faire le voyage.

– Tu n’as jamais parrainé personne. Et le pis, c’est que tu as eu le culot de faire semblant!

– Oh! Une fois, au passage, pour laisser entendre que j’étais moins méchant que je ne paraissais! Je paierai ça avec le reste, éternité pour éternité, ça n’alourdira pas ma douloureuse. Le hic, de toute façon, c’est que dès lors qu’on se montre, on a reçu son salaire.

Je ne crois pas que ce soit un tel péché d’attendre la réciprocité, surtout sous forme de reconnaissance ou de simple affichage du bonheur. Mais je suppose qu’il est plus méritoire de persévérer quand elle ne vient pas.

– Mais ça m’est simplement inconcevable, sinon de façon “rechignée”, comme tu dis. Par devoir! Il n’y a pas d’amour qui échappe au narcissisme réverbéré, ou du moins je suis incapable d’en éprouver. Et même la compassion, qui chez moi est si dure à la détente, disons plutôt la pitié, j’ai déjà exposé les insurmontables difficultés qu’elle rencontre à se métamorphoser en charité.

– Parce que tu n’es pitoyable que de haut : telle que tu la ressens, c’est un avatar de l’orgueil.

– Est-elle jamais rien d’autre, chez qui que ce soit? Dès lors que j’ai besoin de tes services, et que je ne les paie pas, tu te trouves en position dominante, tu peux bien me laver les pieds soir et matin, ça n’y changera rien… D’ailleurs, je fais mon possible pour que ça ne se voie pas, et j’y parviens si bien que le pauvre type qui en est l’objet croit me faire une fleur en se contentant d’exister. Total : je lui aurais rendu un meilleur service en le rudoyant

– Mets ça au passé, et encore… un passé en pointillés très espacés!

– Je n’ai eu à peu près aucune occasion récente de me montrer charitable dans le face-à-face.

– Et au peu qui se sont présentées, tu t’es chié dessus. 

Fiaschissimo! Je manque d’entraînement. Il faudrait que je fasse un stage. Commencer par mon père, c’est passer direct au troisième cycle du caritatif!

– Il y a certainement bien pire qu’un vieux désespéré par la solitude, la dépendance et le manque d’affection des siens.

– Mais qui n’a rien perdu de la manie maligne d’accuser quiconque essaie de lui venir en aide.

Essaie? Pas bien fort! Tu en as fait trois fois moins que ton frangin, qui se présente lui-même comme peu compassionnel.

– Il est trois fois moins manche que moi. Quand il cherche un dentier perdu, il le trouve. Et il n’a pas à surmonter ce blocage issu du rejet initial. Et puis assez, à la fin! On met la charrue avant les bœufs! Si Dieu n’existe pas, ou s’il existe sans avaliser le Christ, c’est-à-dire l’amour actif du prochain, qui que soit ce prochain, je n’ai aucune raison d’être secourable à qui que ce soit, physi ou psychiquement!

– Christ ou pas, tu ne risques guère de te tromper là-dessus : c’est une constante dans toutes les religions, ou quasi.

– Sauf que pour les Malauku, les Houxécho ou les Juifs, le “prochain”, c’est le membre de la tribu, de l’ethnie…

– Tu ne vas pas nous ramener Maïmonide, toi aussi! Tous les peuples, dans leur enfance, ont cette caractéristique de se considérer comme les seuls humains qui vaillent. Inuit, ça veut dire homme, simplement! Il n’y a qu’à un stade avancé de civilisation que surgit un souci d’universalité. Et je te concède que les Juifs présentent cette énigme d’être à la pointe du savoir en conservant une religion archaïque.

– Je suppose que la plupart des scientifiques et des philosophes n’ont plus de “juif” que le nom et l’esprit de corps. La religion, elle

– Certains y reviennent pourtant, et parfois de très loin, comme l’ex-secrétaire de Sartre…

– Je doute que ça me plût d’être membre d’un “peuple élu” qui comprend son contingent de connards…

– Tu pourrais dire comme Woody Allen : « J’ai été élevé dans le judaïsme, mais je me suis converti au narcissisme ».

– Ah ah ah! Elle est bonne! Dommage que je n’en trouve jamais de ce carat! Remarque que même si le christianisme a vocation universelle, il est plus que probable que le πλησίος du Christ, traduit de je ne sais quel mot hébreu, via l’araméen

– ou non, car ça sort tout droit du Lévitique

– Mieux encore! Donc infiniment probablissime qu’il ne soit, lui aussi, que le voisin, de même langue et de même confession… Je me demande quel sens les troupes de Cortez donnaient à prójimo, mais les Aztèques apparemment n’y étaient pas inclus… Et ce foutu prochain qu’on nous serinait au catchem’ m’a tout l’air d’un mot expressément créé pour cacher la merde au chat.

– Sauf que le Christ explique lui-même que c’est aux actes que se révèle le πλησίος, et pas à la nationalité. Confer le bon Samaritain. C’est tout de même embêtant d’écrire un dialogue sur ces questions sans prendre au préalable le soin de te rencarder sur ce que tout le monde sait.

– Le bon Samaritain peut dater tout entier d’après la prédication de Paul, avec le centurion et quelques autres.

– Ça, c’est du Guignebert. Je prends ce qui me conforte, je jette ce qui me dérange.

– Personne ne prend tout des Évangiles, sauf des fondamentalistes décérébrés qui ne voient même pas les contradictions. Mais admettons que le voisin, de par la multiplication des contacts, soit simplement autrui, ce qui paraît tout simple à qui habite une tour peuplée d’Arabes, sauf qu’eux ne semblent pas l’entendre ainsi…

– On les a tellement pigeonnés, aussi… et classés parmi les sous-hommes…

– Absolument.

– Nous voilà encore à battre la campagne…

– Alors revenons au point de départ de la tangente : pourquoi me piquerais-je d’être bon s’il n’y a pas de Dieu?

– Dawkins donne quelques raisons…

– Dawkins est un con.

– Un con comme nous quand il parle de ce qu’il ignore, mais quant à l’évolution des espèces…

– Il réussit ce tour de force, alors qu’elle me paraissait aller de soi, de m’amener à en douter, tant il fait l’effet d’un charlatan. Il ne se rend pas compte qu’à force d’“il faut que” immédiatement remplis par une “cause darwinienne”, il fait du darwinisme une espèce de religion. « Ça ne marche pas encore, mais ça doit marcher; ça ne peut pas ne pas marcher ». Après quoi il s’étonne d’être traité de fondamentaliste athée!

– On peut admettre qu’où les fossiles manquent, c’est qu’on ne les a pas encore trouvés.

– Et quand les traces de dinosaures sont mêlées d’empreintes humaines?

– Va savoir. Je suppose qu’ils ont, pour y voir des faux, d’autres raisons que le désir de promouvoir l’athéisme.

– Je ne te dis pas que ce soit leur but conscient. Mais leur foi est aussi ancrée que celle des créationnistes, et toute prête à écarter les contre-preuves.

– Là-dessus, fermons nos gueules, nous n’y connaissons rien. C’est essentiellement de psychologie que s’occupe ce bouquin, et à ce sujet il n’est pas plus “charlatan” qu’un psychanalyste

– Sauf qu’il prétend donner la caution d’une théorie scientifique reconnue à des assertions invérifiables.

– Elles n’ont rien de révolutionnaire. Ça tombe sous le sens qu’une sous-espèce où les parents boufferaient leurs petits court grand risque de ne pas défrayer longtemps la chronique zoologique, et qu’une famille ou un clan dont les membres se soucient les uns des autres, ne s’étripent pas au moindre différend, et ne mentent pas comme ils respirent, a plus de chances de survie qu’une horde d’individualistes forcenés.

– Pas besoin d’un prof de fac pour nous enseigner ça. Ni qu’individuellement on ait intérêt à distribuer ses surplus, à panser les blessures, à consoler les affligés, à surveiller les enfants des autres, dans l’espoir de recevoir le même traitement… Liens de parenté et réciprocité, je ne suis pas sûr que ces deux “piliers darwiniens” de la morale soient si indépendants l’un de l’autre. Mais ajouter les “structures secondaires” de la réputation et du pouvoir que peuvent conférer le courage, la générosité, et autres vertus, et conclure : « Nous avons maintenant quatre bonnes raisons darwiniennes pour que les gens soient altruistes, généreux et “moraux” les uns envers les autres », c’est de la bouillie déguisée.

– Spéculation pure, de toute façon. Ce que je trouve plaisant, c’est qu’il fustige ces pauvres croyants : « Comment!? Alors si vous ne volez ni ne tuez ni ne mentez, c’est parce que Dieu vous surveille du haut du ciel? Triste engeance! » alors que sa genèse de la morale repose sur l’intérêt, personnel, ethnique ou spécifique, qu’on aurait simplement perdu de vue, ou plutôt jamais envisagé consciemment.

– Je te rappelle que le Christ lui-même fonde ses préceptes sur un calcul égoïste.

– Nous ne sommes pas d’accord sur ce passage. On amasse des trésors dans le ciel, oui, mais c’est d’abord son cœur qu’on satisfait. 

– Pas le mien.

– Le tien compris, mais il y a une vie d’erreur à démanteler.

– Plus tard! Pour le moment, il s’agit de savoir si le gendarme céleste devient utile à l’échelle de groupes plus étendus que la bande primitive, et il ne servirait à rien de reprendre un à un les exemples biaisés que donne un type aussi partial. Que les athées en aient plus dans le crâne, et, partant, dans la bourse, que la masse des croyants, ça ne fait pas de doute…

– Quel aveu!

– Lequel?

– Que le crâne et la bourse jouent les vases communicants.

– Apprenez, Mossieu, que les exceptions, génies loqueteux et milliardaires imbéciles, abondent. Nous n’abordons là que les très gros chiffres. Cela étant, la délinquance à but lucratif, ou plutôt de s’y faire pincer, est plutôt le fait d’économiquement faibles, qui de surcroît séduisent peu les femmes, ce qui suffit à expliquer les pourcentages, mais, naturellement, ne peut nous enseigner si, sans Dieu pour attraper le poignet des croyants, on ne constaterait pas une multiplication des vols, des viols et des meurtres… La seule donnée vraiment sûre, à ma connaissance, c’est que les musulmans ne se suicident quasi pas, et je pense que ni le fatalisme du « c’est écrit », ni les peines prévues dans l’au-delà par le Coran n’y sont étrangères.

– Si on prend ce sentier-là, on y sera encore dans six mois. Chaque chose en son temps.

– C’est tout de même un exemple intéressant. Ma conscience, en tout cas celle qui affleure, ne songerait pas une minute à me reprocher un suicide, surtout s’il y a du monde pour en profiter, et personne pour en pâtir. Or, en vertu de quelques miracles mariaux que certes je n’ai pas vus de mes yeux, mais dont la relation demeure déconcertante, si je me convertissais, ce serait plutôt au catholicisme, pour lequel le suicide est un péché irrémissible, alors que la Bible, paraît-il, n’en dit mot. Pas question pour moi d’une contrition entre le 20ème et le sol, puisque j’estime parfaitement normal d’abréger ma vie, si je deviens impotent ou aveugle, surtout si je prends soin de tester.

– “Parfaitement” se discute, ou tu n’en parlerais pas.

– Eh! Au-dessus de tout acte, même vertueux en apparence, plane l’ombre du pharisaïsme et d’une culpabilité encore indétectée.

– Peut-être que ce qui te sépare du Bien, c’est surtout l’auto-observation permanente. Si tu ne t’occupais que des besoins des autres, sans chercher dans quelle case tu te situes…

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