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Inventaire avant liquidation

[Lever d’un cacochyme]

9 Février 2018 , Rédigé par Narcipat Publié dans #66 - 67 - 68 - 69 : Indolescence - Quo non descendet? - Ultimes luluttes - Ultimes révélations?

 

Je ne sais plus à quel âge mon père a commencé à s’exclamer : « Bon Dieu, que la terre est basse! » chaque fois qu’il avait à ramasser ou cueillir quelque chose, mais je dois admettre qu’à deux berges et demie des septante, je commence déjà à avoir quelque mal à me hisser du matelas qui me sert de lit depuis que, si j’ose dire, je vole de mes propres ailes… Un de ces quatre, un minimum de sommier va s’imposer… ou quelques caisses… Or toutes mes petites installations, si rudimentaires qu’elles soient, sont à quoi? vingt? trente? centimètres du carrelage… Il va falloir rogner sur la bibli, ça me rend malade… bon, malade, c’est de l’hyperbole, ça me préoccupe, quoi – mais moins que de vaciller sur mes pattes, et de me casser la gueule périodiquement. Non, non, pas la musculature qui flanche, pas encore du moins, mais j’ai la terre qui tourne, si lentement que je me hisse. N’en parlons plus, puisque debout nous voici. Dire qu’un jour il faudra rétrospectivement applaudir cet exploit! Vos pantoufles, majesté? Merci, mon brave. Toutes deux? Sans recherches?? Vous vous êtes surpassé! Deuxième robe de chambre… Troisième… À l’endroit, purée! Pas bien difficile de vérifier la position de la ceinture! Et en trois pas (de 30 centimètres l’un), nous voici dehors – dans cette antichambre des ténèbres extérieures que constitue le reste de mon clapier. Pas un bruit, sinon celui de l’autoroute, noyé dans les acouphènes… Je vous en reparlerai, de ces vaches-là : pour le moment, on a un problème plus ponctuel à résoudre, celui de la miction du matin : lavabo ou chiottes? Ça se décide au coup le coup, sans raisons bien articulables., car les deux, s’asseoir ou rester debout, au fond, sont enfants de la paresse. Lavabo, allons. Robinet. Hhhhhan. Misère. On se calme! Je suis calme, mais, apparemment, mon robinet perso, lui, ne coule pas. La merde qui bloque? Guère bouffé hier, pourtant. Pas beaucoup bu non plus, à dire vrai. Envie de pisser, néanmoins, mais pas bien sûr qu’elle soit réglée sur la citerne, et ce détraquement supposé complique le problème. Doubler la dose d’Avodart? Bref topo : la rétention aiguë, ça implique (et bien heureux d’être en situation d’implication! Si j'avais vécu dans la cambrousse de mes rêves, je serais mort depuis deux ans) les Urgences, donc la sonde, laquelle à tout coup infecte la vessie. Désinfection suppose antibiotiques, lesquels détruisent la flore intestinale, ou ce qu’il en reste, car la mienne ne paraît pas s’être bien requinquée depuis ma dernière cure de Bactrim. En outre, la question d’une intervention chirurgicale se trouve reposée, avec l’éventualité d’un scalpel qui dérape, et d’une incontinence finale qui pourrait faire long laps, comme dans La tache de Roth. Saisissez l’enjeu? À distance et devant témoin, facile de frimer : « Un peu plus tôt, un peu plus tard, n’importe. Mais sans couches! » Face à soi seul et à l’éventualité d’un exit immédiat, la frime pourrait baisser le ton, et laisser place à une terreur très animale. Face à la RAU de Damoclès, je suis pas sûr que mon palliatif habituel, prendre une seconde capsule, huit heures à peine après la précédente, alors que la périodicité indiquée comme normale est de vingt-quatre, soit bien efficace, et surtout sans danger… Fin des données, de celles du moins que j'ai saisies. Misère additionnelle, je sais même pas si je pisse ou non en ce moment. Et non, j’allume pas encore, l’ampoule est trop forte ici. Décision. Je ferme le robinet du lavabo, me colle deux doigts face au méat – et il me semble bien que ça s’humecte. Oh, pas dru, mais du chaud passe! Je sais bien que merci sonne faux, et mon Dieu plus encore, mais qui sait si ça ne se fera pas vrai, une fois l’habitude prise? Merci pour ce jour de plus que Vous m’autorisez à perdre par mes propres moyens. Amen. Oui, je me les rince, les doigts! Et que la lueur soit! Très tamisée, et pas en pleine poire : celle du couloir. Pour le moment, ça marche : toute entorse à la progressivité a été supprimée, et je n’ai pas vu le soleil en face depuis plus d’un an. La cataracte avance, et ma vue baisse, mais, sauf exception, sans souffrance. Une opération de routine? Je veux; mais il lui arrive de rater, elle aussi, et avec un seul œil valide, je préfère la remettre au plus tard possible : aveugle-né, ça se supporte sans doute, bien que ç’ait pas l’air folichon; mais le devenir! Et pour grimper se suicider dans la montagne, vous mesurez la difficulté, sans y voir goutte et sans main amie? Du coup l’envie m’en reviendrait en force… Alors ici, n’est-ce pas, c’est la cuisine, ce machin tout en longueur… ce supplément de couloir : la proprio d’avant avait un compagnon bricoleur, je sais pas ce qu’il a fabriqué au plafond, une espèce de rampe lumineuse qui en quinze ans a perdu quatre ampoules sur six : je suis infoutu de les changer, les connexions déconnent, mais appeler un électricien est une décision grosse d’ennuis, car mon installation n’est pas “aux normes”, normes mystérieuses, d’origine lobbyque, probab, et contre lesquelles on n’a d’autre défense que de garder sa porte bien fermée, vu qu’un pro serait peut-être tenu de moucharder… ou le ferait pour se venger du manque-à-gagner. L’éclairage principal du reste, en son état même d'esquintitude, est trop éblouissant pour une réinitiation matutinale, et pour l’heure, je n'allume qu’une faiblarde loupiote, au-dessus de la machine à espresso… oh, une DeLonghi 15 bars toute simple, la moins chère du marché, et qu'il m'a fallu commander par correspondance, toutes les gondoles du coin étant occupées par une opération gogos sur les dosettes et les capsules, qui avait la vertu de multiplier le prix du café par deux ou trois, tout en mettant tout le monde à la toise d’un jus à la française ou pire encore :  moi, que voulez-vous, il me faut un filtre deux tasses pour en faire une : pas prévu! et le pis est que ça marche, tous ces empiètements! La liberté de choix ne cesse de rétrécir… Aussi je la bichonne, ma petite chérie, je vous prie de le croire, elle a sa purge d'acide citrique tous les trimestres… ou, disons mieux, à la demande, un grognement spécial que j'ai appris, espérons, à interpréter. Automatisme des gestes, un peu ankylosé par l’auto-observation… Le filtre est prestement rempli, poudre tassée-béton, là je fais confiance à l’industrie, tant qu'elle nous fournira des paquets ad hoc : moudre moi-même n’a jamais fait merveille, ça passait trop vite ou plus du tout; reste à attendre la lampe verte : pas un temps mort, puisqu’après avoir allumé la bouilloire qui contient toujours un fond de flotte, je me mets, avec des pinces de plastique récupérées d'un set d’infirmerie, en devoir d’enlever mes boules Quies, si j’ose appeler ainsi ces suppositoires de mousse, innovation récente : pendant une quarantaine d’années, j’ai usé des boules de cire et de coton traditionnelles, les mêmes avec lesquelles Proust s’infectait les oreilles il y a cent ans, en les remettant sales une fois de trop, je suppose : d’après mon expérience, il est prudent de s’arrêter à trois. À la rigueur, quand on en a accumulé des centaines, une grande lessive autorise un quatrième port; mais vous comprenez bien qu’il n’est pas possible d’ébouillanter de la cire, alors que la mousse, elle, tout en se gonflant d’une eau qui l’étanchéise, résiste quand la plupart des bactéries trépassent : du moins est-ce à dada sur cette merdecine du sens commun que je suis passé de dix paires à une seule par mois, puis à une par trimestre, qui baigne tout le jour dans sa petite tasse ad hoc, et rien qu’ad hoc : la solitude rend dégueulasse, surtout quand on avait des dispositions, mais il y a tout de même des limites, et je ne consommerais pas mon propre jus de cérumen, qui serait peut-être délicieux, qui sait? Certains, dit-on, prennent leur pied à boire chaque matin un godet de leur pisse… Question d’habitude… une fois qu’elle est prise! Mais ne nous dégoûtons pas du caoua, dont l’eau a chauffé, pendant ces minutieuses explications : il est temps qu’il coule, pas exactement le ristretto de bistrot italien que je découvris avec ravissement en 1975, peu après la baise, et qui aurait eu ma préférence (mais que je n’ai jamais réussi à obtenir à domicile) du temps, pas si éloigné, où j’ignorais encore que nous avons, ou devrions avoir, le côlon peuplé de bactéries amies, ni la lavasse américaine à laquelle j’ai préféré m’en tenir en 2016, mais, disons, un breuvage de compromis qui se recorse à mesure que la zone critique s’améliore, et que j’adoucis à l’aspartame, ayant cru comprendre qu’un récent retour au sucre n’était pas étranger à une série de panaris qui s’amusent à sauter d’un gros orteil à l’autre. Organique? Eh bien vous n’avez pas tout vu, mes amis, et je vous attends, façon de parler, à l’âge où il vous sera révélé que vous avez un corps pour autre chose que jouir.

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