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Inventaire avant liquidation

[Le postulat de ma précellence, la plus aride des folies]

31 Janvier 2018 , Rédigé par Narcipat Publié dans #66 - 67 - 68 - 69 : Indolescence - Quo non descendet? - Ultimes luluttes - Ultimes révélations?

 

    Seigneur, mais quel imbécile, moi qui n’avais de valeur que l’intelligence, quel abominable imbécile j’étais à 17 ans, avec en poche un des cinq ou dix meilleurs bacs-philo de mon chef-lieu! Est-ce qu’un pareil hiatus n’était pas à la honte de l’école, en des temps cependant où l’on n’en sortait pas encore totalement ignare? Mais en valait-on davantage, avec ce savoir acquis sans désir et en extériorité? Étais-je plus ou moins idiot qu’un Depardieu qui, dans le même patelin, à la même époque, analphabète ou peu s’en faut, n’avait eu que la vie pour maître, et que seul un culot phénoménal, plus ou donc les femmes, arracheraient à la misère? Je dirais plus idiot, l’école m’ayant surtout empêché d’apprendre quoi que ce soit d’utile et de vrai. Disons à ma décharge que j’étais conscient de la facticité de cette “formation”, dont j’avais fini par me débrouiller, pour la montre et faute de mieux, d’un mieux côtoyé et inaccessible : je me voyais, les pieds à côté de mes pompes, en marge de toute vie vivante, ou m’imaginant la trouver dans mes lectures, à dire vrai plus relevées qu’à présent. Si l’adolescence n’était que révolte, je ne l’aurais pas loupée, larguant Dieu à quatorze ans, “la” morale à seize, ne croyant pas, croyais-je, un mot de ce qu’on me serinait… Mais non, la révolte ne suffit pas, outre qu’elle manquait de perspicacité : comme aurait pu dire mon père, « dans contre-pied, il y a con »; et il est bien des moments, sans doute les plus lucides, où ma quête de l’originalité, et de la sincérité même (assimilée à l’auto-dénigrement) me paraît au moins aussi misérable que celle du vieux contre-pied, si même elle n’en relève pas tout bonnement. N’oublions pas que j’ai commencé par imiter, qu’à bien des aspects je n’ai pas cessé (je pense entre autres à ma syntaxe, prétendument parodique de bout en bout, mais de fait  académique, si ce n’est scolaire), et que la recherche effrénée de la différence n’est guère qu’une forme inversée d’imitation. Mais faut-il exagérer toujours? J’ai répété jusqu’à plus soif que l’histrionisme viciait la quête de la vérité, mais c’est tout de même lui qu’elle prend à tâche de combattre, et l’histoire de ma pensée, si le terme n’est pas trop prétentieux, est pour l’essentiel celle d’une lutte contre les faux-semblants, les miens en première ligne. Si elle ne m’a pas mené loin, c’est parce que je n’ai pu prendre appui que sur un réel intérieur par trop mouvant, et quelques pans d’une littérature qui ne fut jamais un guide très sûr. Bien sûr, mes intérêts prioritaires, exclusifs peut-être, se sont ramenés à un exotérique : ce que je pouvais enseigner aux autres, et qui me vaudrait d’en être distingué, aux deux sens du mot; et un ésotérique : celui d’apprendre comment on me voyait, pour, vrai ou faux, en tirer les profits : mieux me grimer, changer peut-être, mais, quoi qu’il en soit du reste, savoir. Et cela, au moins, je pouvais le demander, indirectement, sans trop d’humiliation en cas de refus. Mais écoutais-je les réponses? En tirais-je des conséquences pratiques? Claire ne me l’a-t-elle pas dit plus d’une fois, que j’étais un debater incorrect, qui fabriquait un adversaire pour le ratatiner devant la galerie, sans souci que ce fût ou non vraiment lui? Ce besoin de “briller”, et faut voir comme, je m’imagine à présent qu’elle m’en aurait aisément guéri, ou l’eût, comme dirait cet “autre” qui sert de puisard aux formules toutes faites, ramené à de justes proportions; mais il aurait fallu n’avoir plus souci de plaire qu’à elle : eussé-je “fondu” de la sorte, même seul à seule? Et était-ce souhaitable? Rien n’est moins sûr. Je me sentais trop malvoulu, trop inférieur, n’oublions pas que c’est avec elle que s’est initiée cette belle stratégie de dévaloriser l’être “aimé” en m’inventant qualités et hauts faits, pour lui faire mesurer la bonne affaire qu’il ferait en s’éprenant de moi : elle avait de beaux jours devant elle, et au fond je n’en suis sorti que quand les dernières filles ont pris la fuite.

    Rien n’est plus lamentable qu’une folie sans corps, sans forme, sans couleur, qui ne porte que sur votre note, sur 10, sur 20, sur A à E. Et c’est précisément de cette folie-là qu’il me semble n’avoir pas réussi à m’évader… Mais l’ai-je tentée, cette évasion? L’ai-je désirée?? Tout ce qui a changé, en cinquante ans, ce sont les réalisations successives èsquelles le délire s’est donné corps, et dont la dernière en date, incomparablement totalisatrice, va bientôt connaître à son tour, je sens ça, sa petite conclusion interrogative. Fin 1967, j’avais au moins cessé de tenir pour titre de gloire de m’être enlevé, d’une aile puissante, au-dessus de “la” morale; mais le postulat de ma précellence n’en avait pas bougé d’un millimètre, et ne le pouvait, car lui seul me préservait de l’effondrement. La crise de rage et de panique sur laquelle s’ouvre ce chapitre me susurre que les ramettes de blabla qui précèdent n’amortissent ni les balles ni la chute, dès lors qu’elles ne sont pas lues, ou qu’elles ennuient qui s’y essaie, ne fût-ce qu’une sotte pour qui ce qui mérite d’être connu l’est nécessairement : au terme ou presque de cette aventure, rien n’a changé, je n’ai rien découvert, n’ai fait aucune preuve, et demeure, si la vérité réside dans le percipi, le même morveux stupide qu’il y a un demi-siècle, acculé à l’illusion surcompensatoire parce qu’il n’y a, dans sa position, pas d’autre fond de bonheur à goûter. Si des mains s’étaient tendues?… Quelques-unes l’ont fait, et ça n’a pas suffi. Elles n’ont réussi qu’à actualiser un potentiel de nuisance, en s’offrant aux morsures. Ce chapitre explicitement destiné à chercher en quoi, au jour le jour, j’aurais choisi ma vie de taré, je suis obligé de le conclure par une fin de non-recevoir : si j’ai choisi, c’est à cinq-six ans, et pour sauvegarder une illusion antérieure. Je ne puis prétendre que la combinaison d’une surcompensation histrionique et du besoin de savoir générant l’inhibition m’aient acculé à l’immobilisme, car ils ont aussi été mes seuls moteurs, mais grand Dieu, moteurs de quoi? Ne recommençons pas nos fustigations de pacotille : si le texte en cours me procurait tant d’horreur et/ou de dégoût, ça me prendrait moins d’une seconde de le mettre à la trappe. Pour le faire court, disons que sa “qualité” ne justifie en rien des prétentions qui certes en ont rabattu, mais pas en profondeur, ni à proportion de la médiocrité des accomplissements; et n’autorise pas davantage le déplaisir que certains passages sont susceptibles de donner au lecteur qui s’y reconnaîtrait : avant de travailler du chapeau sur le thème du mouchardage, ce serait bien le moins de me faire scrupule d’écrire les tartines susceptibles d’être mouchardées, lesquelles ne se signalent guère que par une méchanceté qui n’a jamais été synonyme de talent.

    Moteur quand même. Mais surtout frein. Si je ne m’étais pas statufié tout vif dans cet orgueil et cette frime à la con, si j’avais le moins du monde écouté ce qu’avaient les autres à m’enseigner, peut-être finirais-je ma vie avec une autre matière à m’enorgueillir que d’avoir tant potassé la solitude qu’elle en est devenue indolore, et même agréable : agrément réel au ras des pâquerettes, mais pas moins négatif, comme celui qu’on trouve à cesser de se mordre un doigt, et profondément inauthentique, puisque je n’ai pas d’existence propre, et ne puis rien imaginer de pire que de savourer cet agrément pour l’éternité.

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