Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Inventaire avant liquidation

[Qu’a(va)i(s)-je appris : Objets Internalisés, 2]

15 Décembre 2017 , Rédigé par Narcipat Publié dans #61 : Narcipat?

 

    Il n’y a, il ne peut y avoir pour moi de relation d’objet que sur la base d’une réciprocité, ou disons plutôt : d’un sentiment reçu. [ou conçu comme “réceptible”, sinon recevable : la plupart de mes “amours” volatiles se sont dissipées sans laisser de trace, mais auraient pu disputer la place à celles qui ont bouleversé ma vie : Proust a magistralement montré comment Albertine, de contingente, devient nécessaire, et que le “destin” ne réside pas dans l’objet. Mais tout de même une fille m’attirait l’œil, et se classait “aimable” avant toute esquisse de réciprocité, alors que celles qui me “remarquaient” les premières, ou faisaient trop tôt les pas décisifs, n’avaient, elles, aucune chance : il me semble que ce paragraphe applique indûment une incapacité générale à dire la valeur… à l’amour, prince des relations d’objet, où je l’ai toujours dite d’abord, bien que sur la base d’une image – et d’une projection/idéalisation.] Le noyau est, encore une fois, narcissique, en ce sens qu’on ne peut authentiquement conférer une valeur que si elle nous a été octroyée au préalable, et qu’on ne peut vivre, croire, penser à part entière que si, approuvé comme objet, l’on a été constitué sujet. Je sais bien que je me répète, mais le paradoxe de ma vie professionnelle est d’avoir joué les détenteurs et dispensateurs de valeur pour en recevoir de gamins qui ne pouvaient m’en donner, et comprenaient assez vite, une fois dissipée l’illusion théâtrale, que je leur avais refilé du toc… quoique là, j’en remette un peu… Mais ça explique que le souvenir de mes cours réussis, ces indéniables succès d’histrion, ne m’aide pas davantage que celui de mes amours (dévalorisées, dès lors qu’elles ont pris fin) ou de mon enfance. Que le droit de vivre se conjugue toujours au futur, alors qu’en toute raison, il n’y a plus de futur. [Il y a sept ans! Et le seul futur que j'aie réussi à bâtir, c'est cet Inventaire, c'est-à-dire un pavé qui pourrait valoir par sa masse, si ce n'était une masse de merde qui met en fuite les rares lecteurs qui se pointent!]

    « En surface, ces patients semblent présenter une absence remarquable de relation d’objet; à un niveau plus profond, leurs interactions traduisent de très intenses et primitives relations d’objet internalisées d’aspect effrayant et une incapacité à pouvoir compter sur de bons objets internalisés. » L’auteur me passe l’absence des bons : essayons de trouver ses mauvais. Il est certain qu’il subsiste en moi une rancœur ineffaçable à l’égard de mes parents externes, et qu’il n’est pas question entre nous de tendresse ou de simple affection. Encore que je me demande si je ne boude pas celle de ma mère, histoire de rappeler, sans avoir l’air d’y toucher, qu’elle m’a fait tort, et que c’est de sa faute si je ne suis pas heureux. J’ai beau jouer les durs, quand s’éteindra cette dernière sollicitude, cette ultime culpabilité (que j’astique en ne la mentionnant jamais et en la niant à l’occasion, alors que je crois parfois deviner que la pauvre vieille n’est pas à l’aise de partir pour l’au-delà avec ce caillou dans sa godasse), peut-être ferai-je connaissance avec un peu pis qu’un simple barreau supplémentaire sur l’échelle de la solitude. N’importe, ne confondons pas tout. Même restauré, cet amour-là ne peut pas être fondateur. Elle fait cas, dit-elle, de mes romans, mais c’est comme si elle chantait : a peu que je ne voie là un indice de leur faiblesse. Quant au Vieux Salaud, même s’ils les avait lus… Mais lui est internalisé comme narcisse incurable, développant une malveillance systématique à l’égard de quiconque est perçu comme lui disputant son trône, et à chaque critique radicale qu’il m’adresse, de loin en loin, et, très souvent, pour riposter à mes attaques, ou à ce qu’il prend pour telles, ne jouis-je pas de le retrouver égal à lui-même dans le dénigrement ciblé? Laissons. Le hic, c’est que personne ne s’est présenté pour le remplacer durablement. Quant aux relations intenses avec des objets effrayants, elles paraissent attestées par la peur d’être moqué, la réticence aux premiers pas, qui s’aggrave d’abonder dans son sens, et tourne au blocage total; pourtant, aucune diabolisation n’est effectuée, ni même aucun objet vraiment particularisé; je m’efforce de culpabiliser tel ou telle, Céline par exemple, sans doute en vain, mais au fond je me persuade inexorablement que nul n’est à blâmer de mon inadaptation aux hommes tels qu’ils sont, ni eux, ni moi, ni ceux qui m’ont fait. »

    Je ne vais pas tirer gloire d’avoir prédit si juste, puisqu’en l’état ça signifie ma sclérose. Juste ajouter qu’il en va des Objets Internalisés comme de l’altérité : j’essaie, de l’extérieur, de m’en faire une idée, sur la base de ce qui me paraît bizarre ou erroné chez les autres, mais c’est une piètre référence. Relisons l’Évocation des Ombres : « Un résultat de la fusion défensive du soi idéal, de l’objet idéal et des images du soi présent est la dévalorisation et la destruction non seulement des objets externes mais aussi des images d’objet internalisées. En fait, ce processus ne va jamais jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de représentations internes des objets externes : il serait probablement impossible de vivre dans de telles conditions. Vouloir être admiré et aimé des autres nécessite que les autres apparaissent quand même un peu “vivants” aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur. Les reliquats des représentations d’objets internalisées prennent les caractéristiques de personnes réelles, mais plutôt comme des ombres pétrifiées. Chez ces patients, cette manière de ressentir les autres, en particulier ceux qui ne sont pas idéalisés comme des ombres pétrifiées ou des marionnettes, est tout à fait prévalente. » J’accorde à Kernberg que s’il y a des solipsistes au monde, je n’en suis assurément pas, ayant besoin des autres pour parêtre et valoir. Quoique ma vie ne comporte pas beaucoup d’autres actuels, je suis bien obligé d’abriter une notion des gens pour penser à eux, leur prêter des rôles, etc. Mais ont-ils une autonomie véritable et affinée? Il me semble qu’ils représentent tous une certaine banalité humaine dont ils ne sont que des excroissances plus ou moins lucides, ce qui justifierait l’étiquette de solipsiste athée que je me colle si volontiers. Il y a bien des chances que la personnalité que je discerne tant bien que mal chez chacun, pour l’essentiel relative à ma personne, n’ait guère à voir avec le réel, bien qu’elle respecte le peu que j’en connais – à ma manière, s’entend, c’est-à-dire en faisant intervenir la frime partout où le quidam m’apparaît différent de ce qu’il devrait être. Et le comble, c’est que cette “ombre pétrifiée”, je n’y crois moi-même qu’assez faiblement. On a vu  avec quelle facilité mon frère Jean-Yves, classé et confirmé “gros con” depuis plus d’un demi-siècle, s’est métamorphosé, par la vertu de quelques pleurs et propos amènes, en gars fréquentable (que je n’irai tout de même pas jusqu’à fréquenter). Le portrait de mon puîné usurpateur, en revanche, n’avait eu droit qu’à des finitions sans retouches. Or, apprenant hier, par les papiers du notaire, que le lascar a demandé et obtenu une réévaluation de la succession de son père, et ignorant la cause de cette démarche, quoiqu’éperdument indifférent à l’enjeu, et bien certain qu’il n’y a pas d’arnaque en vue, voici que j’empoigne mon bigophone pour ronchonner contre cet abus de pouvoir (ça pue… j’enverrai pas de procuration… rien à fout’ de ma part…) auprès d’une mère de 95 ans, qui a assez de maux et d'embarras pour se passer d’émotions de ce genre. Bon, je charge un peu la brouette, mais on aurait dit que je faisais mon possible pour coller à mon MOTI d’emmerdeur patenté. Deux heures plus tard, coup de fil du frangin (le précédent date de presque vingt ans), qui m’explique le coup en trente secondes (il craignait une arnaque du notaire, en cheville avec la mairie, et ç’allait tellement de soi que je rougis de n’avoir pas compris tout seul), suivies de trente minutes de conversation amicale, détendue… ce qui signifie sans doute seulement que je suis senti plus verveux que l’adversaire, mais ne chipotons pas : au raccrochage, il était devenu, pour une heure ou deux, Mon Meilleur Ami! Et ça n’occasionne aucun bouleversement, aucun désarroi interne, comme si je savais quelque part que ce que je “pense” des gens, les traits distinctifs dont je les affuble, en dépit de leur cohérence et des rectifications opérées sous la dictée apparente du réel, n’existe même pas dans ma tête, où les ombres ne sont pétrifiées que pour commodité de rangement.

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article