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Inventaire avant liquidation

[Narcipat face à la mort; les bienfaits d’une cure]

20 Novembre 2017 , Rédigé par Narcipat Publié dans #61 : Narcipat?

    Un patient, un homme politique connu sur le plan national, avait eu une grave maladie physique qui lui fit perdre ses fonctions. Il se déprima, eut des sentiments profonds de défaite et d’humiliation accompagnés de fantasmes que [sic] ses adversaires politiques se régalaient avec satisfaction [sic] de sa défaite. Sa dépression s’atténua. Il s’enferma dans une retraite, tandis qu’il dévalorisait peu à peu les domaines des sciences politiques où jadis il était expert. [Les domaines, ou les “experts” qui lui ont succédé? Les premiers suivent les seconds, sans doute.] C’était une dévalorisation narcissique des domaines où il n’obtenait plus de triomphes, qui provoqua une perte globale d’intérêt pour tous les domaines professionnels, culturels ou intellectuels. Ces anciens intérêts professionnels et intellectuels ne paraissaient plus excitants. [Tout ce qui l’y avait “excité”, c’était de triompher de ses rivaux.] Ils lui rappelaient sans arrêt son échec. Il était plein de ressentiment parce qu’il dépendait de sa femme et de ses enfants qu’auparavant il ignorait lorsqu’il donnait toute son énergie à sa vie professionnelle. Il avait peur que sa famille le dévalorise, ce qui le poussait à des demandes toujours plus grandes de réassurance et de respect. [D’autant plus grandes, peut-être, qu’il n’y est jamais fait droit.] Envieux des succès professionnels de ses enfants et incapable de retirer une satisfaction de ces succès grâce à une identification empathique à ses enfants, il en ressentit un sentiment accru d’éloignement qui finalement aboutit à la réapparition d’une nouvelle [sic] dépression sévère et durable, avec au premier plan une rage impuissante plutôt que de réels processus de deuil. [J’avoue que je n’en sais pas assez pour conceptualiser la différence entre l’un et l’autre (peut-être parce que je n’ai jamais éprouvé que la première?). En revanche, ce cas me touche aux tripes : c’est mutatis mutandis celui de mon père après la retraite. Il faudrait ajouter que cette “perte globale d’intérêt” n’est qu’apparente, ces “intérêts” n’ayant jamais été que ceux du faux self, et ne servant que l’exaltation du moi. Mon père collectionne les Pléiades, mais il se contente de les feuilleter, puis les pose à jamais sur l’étagère, et quand je lui en pique un, il ne s’en aperçoit pas, bien qu’il me soupçonne en général d’avoir de la glu aux pattes. Comme le narcipat n’a jamais eu de goût réel pour les objets, que tout se ramenait à l’ego, lorsque l’espoir d’être quelque chose s’efface, tout s’effondre : il se “laisse aller” et ne s’intéresse plus à rien. Et ma mère, en le lui reprochant sans relâche, prend la revanche d’une vie de sujétion. C’est affreux à observer : a peu que je ne plaigne ce bonhomme, que je tiens pour responsable pourtant de ma personnalité pourrie – comme s’il était responsable de la sienne! En tout cas, quel nunc erudimini! Moi, comme ça, jamais! Et de fumer quelques pipes de plus, pour hâter la fin, qui cependant m’épouvante.]

 

    La sensation effrayante de futilité et de vide, la panique devant la désintégration de la signification personnelle de l’environnement de chaque être, ce que mettent si spectaculairement en scène les pièces de Samuel Beckett et chez Eugène Ionesco des pièces telles que Les chaises ou Le roi se meurt illustrent, me semble-t-il, les effets dévastateurs des conflits de la vieillesse chez les personnes qui ont une personnalité narcissique. [S’agit-il d’une traduction, ou d’une adaptation approximative? Je trouve ces références littéraires très suspectes pour un Autrichien émigré au Chili, puis aux États-Unis. Sur le fond, c’est possible, qu’on puisse lire la royauté de Béranger Ier comme narcipathologique, et classer narcipat Ionesco, avec la majorité des écrivains. N’empêche qu’à moi narcipat, ce « Sans moi, sans moi. Ils vont rire, ils vont bouffer, ils vont danser sur ma tombe. Je n’aurai jamais existé » sonne terriblement universel – et d’ailleurs, par là, s’allège.] La réaction normale aux pertes, abandon et échec, est une réactivation des sources internalisées d’amour et d’estime de soi, intimement liées aux relations d’objet internalisées. Elle reflète la fonction protectrice de ce qu’on appelle “les bons objets internes”. Une régression au service du moi prend souvent la forme d’une régression à ces relations d’objet internalisées réactivées, de nature protectrice, une régression qui finalement réactive, renforce et élargit la capacité du patient à avoir des relations significatives avec les autres, et avec les valeurs humaines et éthiques en général. [Ce qui tout de même ne colle pas, c’est que mon père sacralise le sien, et cultive une vision “âge d’or” de sa jeunesse. Mais pépé est mort jeune, ne portait pas la culotte, et le mettre sur l’autel, c’est exalter d’abord et peut-être seulement sa propre vertu de Faiseur de Dieux. D’autre part, en se forgeant sur le tard un Géniteur Intouchable, papa souligne l’ingratitude de ses propres enfants, et, au premier rang, du soussigné. Enfin, en déterrant dans sa jeunesse un potentiel fantasmatique de vie et de créativité, il se donne une posture d’accusateur de tous ces morpions indignes qui ont accaparé son temps et ses forces, et se disculpe de n’avoir rien fait, ce qui (depuis la retraite, du moins) est d’autant plus excusable que ce qu’auraient fait les autres serait sans valeur. Si j’avais réussi à publier un livre, je crois qu’il en serait mort; mais s’il était mort, il se peut que j’eusse réussi à publier des livres, sinon ceux-là. [À l’irréel du passé, l’optimisme est facile. Toujours nulle nouvelle de mon L***, soit faux, soit déçu (voire horrifié) par une lecture moins “diagonale”, soit ayant tout bonnement autre chose à foutre, hypothèse plausible en octobre.]] La capacité à perlaborer les processus de deuil, à tomber amoureux, à ressentir de l’empathie et une profonde satisfaction en s’identifiant à des personnes aimées ou à des valeurs, un vécu de transcendance à la nature [Que signifie ce charabia? Une simple croyance en l’au-delà?], de continuation dans le cours de l’histoire, et d’union à un groupe socio-culturel, tout ceci est intimement lié à l’activation normale de relations d’objet internalisées lors de perte, d’échec ou de solitude. [Eh oui, bien que toutes ces belles choses méritent d’être examinées de près, et, pour une bonne part, voire en totalité, constituent une consécration du faux (mais il n'y a ni vrai ni faux dans le néant, qui comporte son propre antidote), il faut convenir qu’elles sont plus riantes que le strict « Moi mort, tout est mort; seul existe le présent, qui n’a pas de goût ». Et cela, je le crains, n’est pas guérissable. Il faudrait que j’eusse une petite fille à internaliser, je pense m’être assez étudié pour l’aider à croître sans l’étouffer. Mais quelle femme consentirait à m’en faire une, ou même à me la confier toute faite, à mon âge, sans tas de fric qui compense? Et « quel temps je perds, pour cette larve » ne renaîtrait-il pas immanquablement au bout de mille couches et biberons, ou seulement d’une dizaine? Il est trop tard. Autant répondre « tant mieux! » [La tentation de biffer cette pitoyable manifestation de dépendance, ou seulement ses modalités phallocratiques, est grande, mais j’y résiste : je ne suis pas là pour bidonner plus d’autarcie que je n’en ai conquis. Si la fillette que j’évoque m’était tombée du bleu, elle aurait sept ans aujourd’hui, et la vie serait assurément moins grise. Il n’y aurait pas d’Inventaire, mais pour l’essentiel, l’Inventaire se résume à un échec.]]

 

    Ceci contraste vivement avec le cercle vicieux déclenché par une perte narcissique dans le cadre des personnalités narcissiques où la dévalorisation défensive, l’envie primitive, et la panique devant la réactivation du sentiment d’appauvrissement, compliquent ensuite la perte et l’échec narcissique. Ceci devient particulièrement évident dans l’incapacité du patient narcissique à se faire à l’idée de vieillir, à accepter le fait qu’une génération plus jeune possède maintenant un grand nombre de ces satisfactions auparavant chères de beauté, de richesse, de puissance et en particulier de créativité. [Foutaises superficielles : ce qu’ils possèdent, et dont le vieillard, a fortiori le moribond, est démuni, c’est l’avenir. Il me reste dix ou quinze ans à vivre à tout casser, ils vont passer très vite [Comme c’était vrai! Au moins pour la moitié d’entre eux… L’entrée en scène des maux physiques et la mort du père ont pourtant donné quelque pointes et creux au biogramme.], et comme je n’ai rien fait du laps équivalent qui précède, le principe de réalité tire dès à présent un constat d’échec; or je n’en vis pas moins d’avenir, et n’ai d’autre espérance que de brandir ce flambeau jusqu’à mon dernier souffle! Comme disait Wilde (encore un narcipat?), the tragedy of old age is that we are still young. Y a-t-il des “soi-vieillards” hors de la littérature? [Je ne le sais toujours pas, mais je présume qu’oui. Quelle que soit la théorie juste (et à supposer, d’abord, qu’il y en ait une), le peter-panisme est évidemment lié à l’hypertrophie du moi; il s’aggrave de n’avoir personne à qui passer le flambeau. Mais de quelle utilité m’eussent été “quelques ingrats éparpillés dans l’hexagone”?] Être capable de jouir de la vie dans un processus entraînant une identification croissante au bonheur et aux réussites des autres personnes dépasse de manière tragique les possibilités des personnalités narcissiques. Par conséquent, un traitement qui peut changer de façon radicale le narcissisme pathologique peut révéler ses ultimes effets sur toute l’étendue de la vie qui reste au patient. [Ce qui me coince depuis le début, dans cette conception kernbergienne de la guérison ou de la normalisation, c’est qu’au lieu de décaper la vérité, il semble préconiser une couche de mensonge supplémentaire. [Au surplus, elle s’assortit d’une vulnérabilisation, qui risque de s’avérer le seul profit d’une cure. Je serais drôlement avancé, d’avoir “restauré des capacités au deuil et à la dépression”!] Malgré moi, et de façon assez sotte peut-être, je me dis : mais on n’en a rien à cirer, du “bonheur et de la réussite des autres”! Cette identification croissante relève de l’autosuggestion! Arriver à se prolonger psychiquement ès-“Frères humains, qui après nous vivez”, ça va dans le sens du confort, mais à l’opposé de la lucidité. Un peu comme de croire en un au-delà et un Dieu d'Amour dont rien n’atteste l’existence, que des témoignages débiles ou truqués [Comme je serais plus heureux, d’en être resté à ces certitudes!], mais qui nous aident à endurer la mort des êtres chers et la nôtre à venir, parce qu’on survivra et les reverra. C’est ce que j’appelle mon optimisme indécrottable, mussé sous le pessimisme apparent : pour moi, il n’est de guérison que par la vérité. Le reste, emplâtres. Mais l’exemple de la mort m’aide à relativiser cette “vérité” narcissique : de même que la mort n’est rien, et la peur d’icelle peur du rien, donc de rien, cette évidence de notre isolement et de notre totale indifférence, au fond, au sort des autres, quels qu’ils soient, pour être universelle, peut-être, n’en est pas moins relativisable : les Bouddhistes ne nous répètent-ils pas tous les jours que « le moi est une illusion »? Et si je décèle une surprotection de l’ego chez tous ces gens qui s’en prétendent libérés, n’est-ce pas avec une lorgnette déformante? Après tout, si j’avais une petite fille, et s’il ne me restait qu’un rein, ne serais-je pas immensément heureux de pouvoir me tuer pour le lui léguer? Pas sûr du tout, à dire vrai; mais n’oublions pas que c’est un scélérat qui parle.]

 

    L’étude clinique des personnalités narcissiques montre que la relation de l’individu à lui-même, à son monde environnant humain et inanimé, dépend du développement des relations d’objet internalisées normales ou pathologiques. La perte du monde d’objet interne [sic], aimant et aimé provoque la perte de la signification de soi et du monde. La dépression psychotique représente, de diverses manières, l’étape terrifiante d’une prise de conscience de la perte d’amour et de signification contre quoi les personnalités narcissiques doivent se défendre. Une dispersion affective schizoïde ou une réorganisation paranoïde – non nécessairement psychotique – du monde constitue l’alternative qui protège ces patients contre le néant de la dépression, mais au prix d’une déshumanisation et d’un vide supplémentaire. Par conséquent, et en dépit du nombre limité de patients que nous pouvons aider et de la longueur des analyses que nécessitent ces cas, cela vaut la peine d’investir beaucoup d’efforts dans le traitement de ce qui en surface paraît être, de façon trompeuse, une personne presque “normale”.

 

    [Fin de la 2ème partie. L’intérêt revenait (pour moi) et j’espère beaucoup de la suivante, Narcissisme normal et pathologique. Il y en a d’ailleurs une 4ème, fort courte, L’expérience subjective du vide. Une fois débarrassé de cette chiante relation avec l’analyste, pourquoi ne pas poursuivre l’expérience jusqu’au bout? Je crois qu’elle n’est pas inutile, et que le bonhomme Kernberg, bien qu’outrageusement chahuté [J’ai fait pire depuis, et pourtant le texte d’Oriane est loin de distiller un tel ennui : peut-être ne l’en critiqué-je qu’avec plus d’ardeur.], m’a au moins convaincu qu’il y avait là-derrière une ardente soif d’amour, et d’amour peut-être de la bonne sorte, pas cette couronne que j’ai posée toute ma vie sur la tête des “plus belles de la classe”, en espérant que son éclat rejaillît un jour ou l’autre sur moi. Il ne me semble toujours pas aller à la racine – je veux dire le non-être-sujet de narcipat, que Kernberg, trop prisonnier de ses dogmes freudiens ou kleiniens, a manqué. Mais cet amour-là, extérieur au self grandiose (bien que partiellement gâté par lui) ne me restitue-t-il pas la dignité de sujet? Mec normal en vue! Très loin devant? Peut-être tout proche… [Qui sait? Mais à condition de s’y être pris autrement!]]

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