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Inventaire avant liquidation

[La vieillesse de Narcipat]

19 Novembre 2017 , Rédigé par Narcipat Publié dans #61 : Narcipat?

 

    Je suis tout à fait d’accord avec Kohut lorsqu’il est convaincu qu’on doit traiter par l’analyse les troubles narcissiques de la personnalité si c’est possible. [Voilà un accord qui mérite d’être signalé! Est-il possible d’écrire des bêtises pareilles? Mais chut : je dévalorise l’analyste pour occulter mon envie.] Même dans les cas qui fonctionnent de manière assez satisfaisante hormis quelques symptômes relativement minimes, où l’association d’une certaine intelligence, de talent, de chance et de succès fournit des satisfactions suffisantes pour compenser le vide et l’ennui sous-jacents, on gardera à l’esprit les effets dévastateurs que le narcissisme pathologique non résolu a souvent, durant la seconde moitié de la vie. Selon moi, si on peut entreprendre un traitement analytique et le réussir, l’amélioration se traduit par une résolution de leur narcissisme pathologique, le développement du narcissisme infantile et adulte normal au sein d’une relation d’objet normale et profonde, et aboutit souvent à un enrichissement spectaculaire de la vie. [Spectaculaire me paraît un adjectif spécialement mal choisi, l’enrichissement, s’il est effectif, balayant plutôt l’histrionisme, et partant la spectacularité, ou le souci qu’en a le sujet.] À l’opposé, le narcissisme pathologique a des conséquences pronostiques au long cours très fâcheuses, même dans le cas de patients assez jeunes, dont l’adaptation en surface est excellente, qui ont peu conscience de leur maladie et de leur souffrance. [Sauf clair indice du contraire, une souffrance dont on a peu conscience demeure selon moi une souffrance faible, voir inexistante. La supposer relève de l’obédience à un dogme. Mais on voit bien, n’est-ce pas, de quoi il veut parler? Moins d’une souffrance que d’une carence. Mutatis mutandis, qui n’a jamais bouffé que des sandwiches au pain ne souffre pas du manque de jambon, ni la mal baisée à vie de ne point connaître l’orgasme, ni l’ignare ès sentiments objectaux de l’univers froid et stérile dans lequel il végète… sauf que bien sûr on leur en parle, et que souvent ils ont eu un aperçu de ces richesses dont ils sont exclus… qu’elles soient ou non réelles pour qui que ce soit.] Si nous considérons que, dans le cadre d’une vie ordinaire, la plupart des satisfactions narcissiques surviennent dans l’adolescence et au début de l’âge adulte [Voilà qui est fort discutable! Et pleinement vrai, tout au plus, pour les beaux mecs et les jolies nanas], que, même si des triomphes ou des satisfactions narcissiques sont encore obtenus à l’âge adulte, l’individu devra finalement faire face aux conflits fondamentaux du vieillissement, des maladies chroniques, de limitations physiques ou psychiques, et par dessus tout, aux séparations, aux pertes et à la solitude [Peut-on vraiment additionner au reste ces derniers maux, contre lesquels le narcipat est, précisément, mieux cuirassé que les autres? [Oui, au sens le plus trivial, où la solitude aggrave l’effet des infirmités, et où la prétendue cuirasse risque de partir en charpie. Il ne serait pas si gênant d’invoquer, comme mon père, un travail, si, par intermittence ou dans un coin clivé de cervelle, on ne le savait “du chapeau” : ce cri du désespoir, je l’entends encore, d’autant mieux sans doute que mon présent “travail”, en dépit de son volume et de sa tenue, a bien des chances d’être aussi fantasmatique que la manipulation de timbres pisseux.]], alors nous pouvons conclure que la confrontation finale du soi grandiose à la nature fragile, limitée et transitoire de la vie humaine est inévitable. [Mais quand elle a lieu très tôt, je prétends qu’il est possible de bâtir une autre forteresse sur cette confrontation même. Pour qui n’a jamais été heureux, ou seulement fugitivement et par erreur, une fin de vie de même métal n’a rien de si effrayant. Après tout, il n’est que d’accoutumer le soi grandiose à changer d’alimentation. Tout peut lui faire ventre, même une “chronique des dégradations”. Quant aux maux physiques, patet exitus. [Sénèque, De providentia, 6 : « L’issue s’offre à tous yeux », ou « la porte de sortie est ouverte » (c’est Dieu, ou la Nature, qui parle). L’issue de secours n’est pas si ouverte que cela, on l’a vu, pour le gamin douillet et craintif qui garde ici l’anonymat. La nécessité demeure, à un moment ou un autre, d’épargner aux autres la façon de ma mort, mais ledit moment sera rude. Quant ce qui précède, c’est un exemple caractéristique de contrôle aux dépens de la vie. L’agrément des relhum et l’horreur de la solitude absolue (même non-culpabilisée, et sans prolongement dans l’au-delà) sont censurés.]]

 

    Il est dramatique de voir combien le déni de cette réalité lointaine [et même présente!] peut être intense chez les personnalités narcissiques qui sous l’influence du soi grandiose et pathologique sont inconsciemment (et parfois consciemment) convaincus de leur éternelle jeunesse, beauté, pouvoir, richesse, et de la possibilité infinie d’admiration, de sécurité, et de confirmation de tout cela. Pour eux, accepter que s’effondre l’illusion du sentiment de grandeur signifie accepter la conscience dangereuse et persistante du soi dévalorisé, le soi primitif affamé, vide, isolé, entouré d’un monde d’objets dangereux, sadiquement frustrants et revanchards. L’expérience la plus effrayante que les personnalités narcissiques doivent éviter et à laquelle finalement elles ont à faire face, est peut-être celle d’un monde environnant vide d’amour et de contact humain, un monde d’objets déshumanisés, dans lequel les objets, animés comme inanimés, ont perdu leurs qualités antérieures de satisfaction magique.

    [Un tableau à la brosse, voire à la truelle, mais ne nous le cachons pas, assez ressemblant… avec cette nuance toutefois qu’il peint les narcipats à qui l’adolescence et les débuts de l’âge mûr ont apporté une ration nourricière de satisfactions, lesquels ne sont pas nécessairement majoritaires, et dont, quoi qu’il en soit, je ne suis pas. Que ce père Kernberg est bourge et formaliste par moments! Nizan : « J’avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c’est le plus bel âge de la vie. » A fortiori pour un narcipat inhibé! J’ai déjà cité cette réplique faussement spontanée, qui, vers mes 25 ans, lors de cet unique et bref séjour en hosto psy, avait impressionné mon petit interne : « J’ai toujours pensé au suicide – sauf cas de bonheur, évidemment! » Je visais à l’effet, et pourtant, pure vérité : je n’ai jamais connu le bien-être que dans une reconnaissance via l’amour ou l’admiration; or elles furent plus rares et fugitives encore à l’adolescence qu’à l’heure actuelle, et, croyez-moi, ce n’est pas peu dire (encore que ça semble changer depuis que, maître occulte de la Tour, je suis en passe, après lui avoir collé une présidente, de la doter d’un gardien! Un champ d’action des plus minables, et un cheptel humain peu gratifiant, je l’accorde à mon unique lectrice.  [Sylvia semper.] Mais jamais mes décisions n’avaient eu un tel impact sur des gens réels, et j’en ressens la révolution. À suivre… [Crash! Gardons ça en guise d’entraînement au contrôle… de l’incontrôlable.]) Je doute d’avoir jamais été aimé d'une fille que je pusse aimer, à part un pourcentage variable de mes élèves, qui n’étaient pas des supports bien solides, et le malheur, c’est que la simple apparence de l’amour partagé ne tardait pas à produire ce composé, aussi banal que contradictoire, d’ennui et de crainte d’être plaqué. Drogue à accoutumance : en deux ou trois prises, le plaisir laisse place au manque. Mes bonheurs les plus durables, je les ai puisés dans l’enseignement, dans le bain de ferveur de certaines classes à prédominance fillettine, et pendant la courte année déchirée de tempêtes où je crus en un avenir avec Hélène, c’est-à-dire à quarante ans révolus. Les installations que je me suis construites ici, aux approches de la soixantaine, mixte de devoir quotidien gris et d’avenir radieux (par l’auto-cure, le chef-d’œuvre ou la fusion des deux) sont ce que j’ai connu, et de beaucoup, de plus habitable, bien qu’il fût très clair qu’elles étaient fondées sur le renoncement à toute relation humaine, et que la perspective de les habiter jusqu’à la mort, et peut-être au-delà, me terrifie. Bien banalement donc, sous l’égide du déconnogramme, je me suis réfugié dans l’euphorie tiédasse du travail, de la “perlaboration” solitaire, et du devoir accompli, soit que j’aie mesquinement chié du carac, soit que j’aie ajouté, comme disait Toulemonde, un fétu au patrimoine de l’humanité – ou cru l’ajouter, à la faveur de mon ignorance. L’angoisse ne me quittant pas que tout cela est zéro pour les autres, et qu’ils ont probablement raison. Mais je n’ai pas mieux à quoi comparer le présent, dans ma vie (l’amour d’Hélène s’étant révélé une mystification, et les élèves que je croyais former étant devenues des connasses très ordinaires) d’enfant, d’ado, de jeune homme, et d’homme encore jeune, sinon le potentiel que j’aurais gâché, toujours hypothétique. À cet égard, je suis mieux protégé de la dépression qu’une magni nominis umbra confrontée aux vestiges d’une carrière. Je me suis toujours trouvé laid, ou j’ai fait comme si : à présent que je le suis devenu pour de bon, je n’ai pas perdu grand-chose. Il se peut que je refoule l’importance que j’attacherais à la richesse, reste que j’ai de quoi vivre à ne rien faire, que ça me suffit, qu’au cours des six ou huit ans de coopé où j’ai gagné de quoi combler trois fois mes besoins, je n’ai eu d’autre objectif (l’intermède Hélène excepté) que d’amasser assez pour me retirer dans un ermitage et voir enfin ce que j’avais dans le bide, et que je l’ai fait : fâcheux qu’il y eût si peu, mais le dernier mot n’est pas dit. [Et même à présent qu'il semble l'être dans le sens du ratage intégral, est-ce si grave d'avoir conquis, en m'évertuant en vain sur un mauvais sentier, le droit au repos? Laissons mon corps décider du jour, en restant vigilant : gare si je manque la dernière bretelle du raccourci!] Très possible que je refoule une vision de moi-même comme ruine, mais “jeunesse, beauté, pouvoir, richesse” ne sont pas les valeurs, conscientes du moins, sur lesquelles s’est replié mon self grandiose à l’aurore de l'existence; et en lucidité, je ne suis peut-être pas arrivé bien loin; mais plus loin qu’avant, et plus loin aussi, me semble-t-il, que la plupart des autres. Je n’écrirai sans doute jamais de grand livre, car il y manque cette mystérieuse qualité qu’est l’intérêt objectal, ou simplement la vie; outre quoi, je me figure avoir la concision pour fief, et je bavarde de plus en plus; du moins connais-je ma langue mieux que jamais : bref, tout en sachant que tout cela est de la merde, que je m’en fous complètement, que le sourire d’une fille même pas jolie fait pâlir (mais peut-être du simple fait de sa rareté) non seulement mes écritures mais celles des autres, et des meilleurs (je n’arrive même plus à lire ces temps-ci, tout me tombe des mains), et que sur le fond de mes “sublimes recherches” le plus banal des pots avec trois collègues blettes un peu amicales m’emporte au septième ciel (mais ça se complique du fait que mes propos avinés d’alors se nourrissaient desdites recherches) il est de fait que je suis un peu mieux protégé de l’effondrement vulgaire évoqué par Kernberg qu’un gars dont le jeune âge aurait été étayé d’ovations. L’admiration, la sécurité, la reconnaissance n’ont jamais été mon lot que par brefs éclairs : j’ai toujours été acculé à spéculer sur l’avenir, et la “grandeur” y est intégralement logée depuis longtemps. Le “soi primitif affamé, vide, isolé”, c’est celui dont je repars tous les matins, avec lequel je me collette à longueur de jour, et qui reprend tout son empire à la faveur de la nuit, de ma nuit, qui dure, sans somnifères, de sept à dix ces temps derniers. Il n’est pas peuplé “d’objets dangereux, sadiquement frustrants et revanchards”, car mon problème et celui de mes pareils n’est pas qu’on nous agresse, qu’on nous en veuille ou nous ait dans le collimateur, mais qu’on ne nous reconnaisse aucun droit à l’existence, à moins de nous confiner dans des emplois subalternes : nous ne sommes pas l’objet de vos fantasmatiques attaques, Herr Kernberg! Gaminerie! Elles nous feraient honneur, car qui cherche à nous anéantir, ipso facto, nous confère l’être. Nous n’existons pas, nous ne sommes rien, à quoi nous avons réagi en étant tout, mais sans y croire, la faculté de croire n’appartenant pas à un non-étant, à un objet privé de regard fondateur. Et bien sûr, la question se pose, quand on nous accorde un autre rôle que de balayer les chiottes ou de garder le chat, de savoir si nous sommes encore capables de nous contenter d’un peu d’amour, d’amitié, d’approbation, d’admiration et de confiance, ou condamnés sans appel à demander toujours plus – donc à nous rendre insupportables et à nous casser le tarin. Votre « expérience la plus effrayante que les personnalités narcissiques doivent éviter et à laquelle finalement elles ont à faire face […] celle d’un monde environnant vide d’amour et de contact humain » me fait un peu marrer, dans la mesure où c’est celle qu’on évite par l’enfermement, le retrait, la dévalorisation d’autrui, et qu’il n’y a pas de raison pour ne pas repousser indéfiniment l’échéance du vide, en se donnant tous les jours un objectif nouveau, et en évitant l’irruption d’un sentiment ou d’un désir authentique, dont le grand vent jetterait bas nos petites constructions. Mourir seul ne sera pas baisant; mais mourir pour nul n’est nanan. Et l’on peut toujours espérer qu’on sera trop diminué pour réaliser, ou qu’on aura assez bobo pour souhaiter surtout que ça cesse.]

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