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Inventaire avant liquidation

[Deuil et dépression, seuls profits de l’analyse? Un retour à l’“exploitation”]

29 Octobre 2017 , Rédigé par Narcipat Publié dans #61 : Narcipat?

 

    Un dernier mot de technique. Il est probable qu’on ne devrait pas traiter en même temps un grand nombre de ces patients parce qu’ils provoquent de vives tensions chez l’analyste et lui demandent beaucoup. Il est utile en outre de garder à l’esprit que ces patients nécessitent des traitements analytiques plus longs afin de pénétrer la structure pathologique de la personnalité qui est activée dans le transfert.

 

    Certains cliniciens ont jadis pensé que ces patients ne développaient pas de transfert et qu’ils gardaient toujours un “non investissement narcissique” à l’égard de l’analyste qui empêchait tout travail analytique. Ces patients développent en réalité un transfert très intense que j’ai décrit ci-dessus; ce qui en surface semble être une distance et un non investissement est un processus actif sous-jacent, de dévalorisation, de dépréciation, et de détérioration. La résolution de cette résistance transférentielle provoque typiquement l’apparition d’idées paranoïdes intenses, de suspicion, de haine et d’envie. Finalement, après des mois, voire des années de traitement, un sentiment de culpabilité et de dépression peut apparaître chez le patient; une prise de conscience de son agressivité envers l’analyste peut se transformer en culpabilité et en sollicitude plus humaine pour la personne de l’analyste, associée à une meilleure tolérance aux sentiments de culpabilité et de dépression en général. C’est, dans le traitement de ces patients, un moment crucial qui représente en même temps un facteur essentiel de pronostic. Les patients qui tolèrent en partie un sentiment de culpabilité ou de dépression dès le début du traitement ont de meilleurs résultats que ceux qui ne peuvent pas du tout tolérer ces sentiments. Cette remarque nous conduit à notre point suivant : le problème du pronostic de l’analyse de ces patients.

    [Pour l’heure, c’est la bouteille à encre. Nul doute que la dépendance ne m’inspire une immense épouvante; mais il me semble aussi la rechercher, dans la mesure où elle entraîne l’irresponsabilité. Y a-t-il plus, au fond, dans cette contradiction, que le désir éperdu d’un papa, mais le refus d’un qui soit, comme le mien, un imbécile rejetant? Si je n’ai pas essayé d’une psychanalyse, c’est d’abord, certes, que je n’en avais pas les moyens financiers. Mais c’est aussi parce que, dans la foule des psychanalystes, je n’étais pas sûr de tomber sur quelqu’un d’intelligent,  d’accessible au doute, et surtout à qui j’eusse envie de parler. J’aurais probablement éliminé tous les hommes au préalable, puis les vieilles… pour élire une fillette fraîche émoulue de la fac, à qui dicter mon auto-analyse, et plus si affinités? Ne caricaturons pas, mais il y a de ça. En fait, j’aurais surtout cherché une spectatrice (et une lectrice), comme la petite Julie qui, ne souffrant pas particulièrement, mais se trouvant pittoresque et fascinante, m’écrivait jadis : « Je ferais peut-être un bon sujet pour une psychanalyse », et qui avait au moins l’excuse de ses seize ans. Je ressens pourtant comme une aspiration à me mettre entre les mains d’un Sage, mais persuadé d’avance qu’il ne serait pas si sage que ça, et résolu à grignoter de mon mieux sa self-estime… à moins qu’il ne fasse ses preuves! Car si j’attaque les figures d’autorité, c’est surtout pour les éprouver, ou, peut-être, en prendre plein la tronche.

    « Après des mois, voire des années de traitement, un sentiment de culpabilité et de dépression peut apparaître chez le patient »… encore Kernberg est-il spécialement optimiste! Ce qui me paraît ressortir de sa prose, c’est que les premiers fruits à espérer d’une improbable réussite du traitement seraient le deuil et la dépression. Chouette cadeau! Je ne dis pas que, quand la vie ne nous a refilé que des gifles, et ne peut que nous en réserver de pires désormais, le self grandiose soit très habitable, ni qu’il soit souhaitable, ou simplement possible, de s’y barricader, en renonçant définitivement à un aval réel. Mais qu’au point où j’en suis, la moins mauvaise des solutions est de persévérer dans mon labeur solitaire : je doute fort, en effet, que le deuil et la dépression m’ouvriraient la voie des sensations et sentiments objectaux, lesquels sont peut-être refoulés, comme Kernberg semble le penser (« dénier la réalité de leur propre vie affective »), mais, au point où j’en suis de mes fouilles, me semblent plutôt irrémédiablement absents ou adultérés. Il se peut que nous ne parlions pas de la même chose, et que ce dont j’estime une tare majeure d’être privé n’existe pas en ce monde. Reste que ces sentiments d’intérêt réel et non-narcissique pour les autres, qui sont peut-être pure chimère, ce sont eux qu’en dernière analyse j’espère à mon endroit, et voilà bien le nœud gordien. Bébé-objet veut une maman-sujet pour advenir à l’être. Mais voyant les autres, et non sans raison, à son image et ressemblance, il se doute qu’il ne l’aura pas gratis. Alors il prêche d’exemple, se déguisant en maman pour eux, afin qu’ils l’avalisent au moins comme telle. Et comme ils n’ont pas demandé ses caresses, et pourraient les repousser, ce qui aggraverait son cas, il leur file des gnons, qui se passent de demande, et surtout de satisfecit.]

 

         Marquons une pause dans cette copie de bovidé, pour revenir à la question de l’exploitation, obsédante, dirait-on. Mais pourquoi non, puisque les voix autorisées sont unanimes, et que c’est le seul trait narcipathologique que je ne reconnaisse pas, alors que mon amour-propre n’aurait rien à y redire? Je serais enchanté d’exploiter cher Autrui, ou plutôt de me reconnaître profiteur, prendre plus que sa part constituant une forme reconnue de supériorité. Ce serait flatteur, mais faux. Quelques exemples récents.

    Falaq, qui ne m’avait donné signe de vie depuis la fin mai, me bigophone pour parler à “un prof” (sic : vachement gratifiant!) de la répugnance de son gosse pour l’école : dès qu’on l’y laisserait, il hurlerait sans discontinuer, et elle s’interroge : la maternelle est-elle bien indispensable? Elle fera plus de mal que de bien, si la socialisation échoue… Bon, réponds-je, mais essayons d’abord de cerner le problème. Ce gamin, d’évidence, est terrifié par l’abandon possible, même s’il en joue un peu. Il faut donc supposer le paramètre d’une sensibilité particulièrement affûtée, « qui remarque des choses qui t’échappent » (je joue à coup sûr, ça flatte la maman), qui est peut-être innée (mais oui! le papa est comme ça!) mais a dû être considérablement renforcée par des traumatismes… Pas dur : elle n’en voulait pas, et a caressé l’idée du suicide pendant toute sa grossesse. Bon. Mais cette perfusion intra-utérine d’anxiété ne me suffit pas. Il a sans doute ses raisons pour s’être senti particulièrement rejeté lors de la naissance d’un frère, deux ans plus tard… Dans le mille : c’est que pendant sa seconde grossesse elle l’a mis à la garderie, sur conseil pressant de ses beaux-parents. « Ne cherche plus! » Et d’entrer, à base de projection pure, dans le détail probable d’un morpion que je n’ai jamais vu. Je simplifie un dialogue qui a duré plus d’une heure, et ne me félicite pas d’être tombé juste (bien que leur psy, apparemment, n’ait dit, lui, que des conneries) attendu l’extrême banalité du cas. En fin de compte, je donne à Falaq le conseil qu’elle voulait entendre : « Garde-le encore un an, par nounou interposée, puisqu’il la tolère et que tu retournes au boulot; faites le maximum pour le rassurer, mais expliquez-lui bien que le CP, il n’y coupera pas, sauf à s’exclure de l’humanité », etc. Il se peut que mon intervention s’avère, au bout du conte, nocive, errare humanum est, mais pour le moment j’ai rasséréné la mère sans concession au mensonge, et contribué, si peu que ce soit, à procurer à l’enfant un an de sécurité. Or je me fous des deux comme de ma première barboteuse, et n’ai rien à désirer de Falaq, ni gâterie charnelle, ni thune, ni tuyau, rien! sinon un aval en tant que psy intuitif pertinent, qui est d’ailleurs la dernière chose à quoi elle songe, ne se préoccupant que de son lardon, et, à travers lui, d’elle-même et de sa culpabilité (qu’elle rejette avec violence sur sa belle-doche). Je lui raconte que j’ai peut-être (j’ai même corsé à sans doute) attrapé le SIDA, c’est à peine si elle fait semblant de s’intéresser, et il manque un paquet d’étages au renvoi d’ascenseur. Or, c’est dans une sorte d’euphorie que je raccroche, parce que j’ai compté. J’ai eu l’air de savoir, et la possibilité m’a été donnée de faire un peu de bien, que, si bizarre que ça paraisse, je préfère au mal (que je préfère, lui, à un impact nul). Exploiteur? Qu’on me dise en quoi! [On a déjà lu, notamment ici sqq, une mise en perspective de ce passage autosatisfait.]

    Trois jours plus tôt, coup de fil d’Aude. [Cet exemple d’altruisme était, lui, entièrement imaginaire, Aude elle-même, l’adolescente qui est censée m’avoir refilé le SIDA, étant un personnage de fiction. Quant au n°3, celui des corrections acceptées par Céline, je l’ai conté ultérieurement, mais consigné plus haut. Conclusion provisoire :] pour en revenir aux trois anecdotes du moment, il me semble que mon grand souci n’est pas d’exploiter les autres, mais bien au contraire de trouver quelqu’un pour m’exploiter, moi! N’importe qui? Il s’agit tout de même de trois jeunes femmes… pas canon-canon, mais dotées de la seule valeur qui me touche immédiatement… [Le sujet était très loin d’être clos, puisqu’il ne l’est pas encore. Revenons au sieur Kernberg.]

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