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Inventaire avant liquidation

[Révolte et Mal; L’enfer, « envers de la divinisation »]

8 Décembre 2016 , Rédigé par Narcipat Publié dans #55 : Méchant?

– Pitié! On croirait un matou enrhumé! Tu considères Iago comme représentatif de l’humanité?

– Des trois quarts d’icelle, mettons, quand il n’y a ni Dieu ni police pour la gêner. Je ne sais s’il en a toujours été ainsi, mais actuellement, la morale, “tripale” comprise, n’est qu’une comédie sociale. Quand on met en regard les discours des gens et ce que leurs biographes déterrent de leur vie privée… ce que j’ai deviné de la vie de mes élèves, quand elles étaient mignonnes, en lisant leurs prétendus romans… Et toi, tu me fais un opéra d’avoir simplement dit « moi z’aussi » quatre ou cinq fois en soixante ans!

– Ton universalité de l’inceste, c’est du pur pipeau! Sur la base de quoi? Quatre, cinq cas? Dix?  Onze avec Rétif? Pendant qu’on y est, je suppose que pour un lecteur de polars le genre humain passe son temps à s’entretuer?

– Il y a une infinité de disparitions inexpliquées, et de coins où rien n’est plus simple que de cacher un cadavre. L’un dans l’autre… Mais le meurtre, comme dirait l’autre, c’est à part. Faut avoir envie! Et qu’aucune répugnance proprement physique ne s’interpose… Cela dit, l’envie vient assez vite, quand on s’essuie les pieds sur vous… Il y en a quelques-uns que j’aurais hachés menu sans autre état d’âme qu’une entière jubilation, et je me félicite de n’avoir jamais disposé des armes ad hoc.

– Je crois que tu ne cesses de projeter sur les autres ta colère, ta révolte, et ton immoralisme, précédé par l’immoralité. D’abord, la plupart des gens ne vivent pas seuls comme toi, ce qui leur offre, certes, des occasions de méfaire, mais leur impose aussi un contrôle permanent

– Je ne dis rien d’autre.

– Un contrôle qu’ils intériorisent très vite.  « Si Dieu n’existe pas, tout est permis », c’est une phrase de gamin, ou, disons, d’ado.

– Écoute, je me souviens encore de la séance de catchem’ où cette illumination m’est venue. On m’y avait plus ou moins traîné, j’avais seize ans

– Mais tu avais choisi la méchanceté bien plus tôt : quand tu t’es rendu compte que Claire, dont l’apparition t’avait réconcilié avec le monde, ne voudrait jamais de toi, que tu n’oserais rien lui demander, et n’aurais su quoi, de toute façon.

– Si je n’avais pas sauté cette foutue onzième…

– La faute à ton frangin, encore? Lui en avait deux, d’ans d’avance! Ça n’a pas empêché un développement sexuel et affectif normal!

– Il avait une gueule d’ange. Un peu mièvre, soit…

– Quelles que soient les causes, elles étaient surmontables. Mais tu as choisi la rancune, la sécession, la mégalomanie interne, et de faire payer ton enfance malheureuse à tout venant alors qu’elle n’était même pas finie, et, de ce train, ne finira qu’à la tombe. Tu ne t’es servi de ta langue et de ta plume, comme ton père, que pour blesser

– Comparaison flatteuse. Au moins n’ai-je pas blessé mes enfants. Et comme eux seuls eussent été vulnérables…

– Tu t’es débarrassé de Dieu, qui ne t’avait pourtant guère empêché de faire tout le mal possible, et tu t’es empressé de théoriser l’immoralisme, moins pour le traduire en actes que pour te faire détester encore plus.

– C’est un “pour” intentionnel? Le masochisme serait donc à la racine de mes conduites?

– Il me paraît plus simple, au moins à titre de conjecture, d’y mettre le diable.

– Diable!

– La seule joie que tu t’es trouvée, du moins à t’entendre, c’est dans la révolte. la résistance, la dissidence, et voilà de quoi tu t’es fait une morale. La seule qui t’ait enthousiasmé, ce qui risque fort de n’être pas le mot propre, étymologiquement parlant. N’es-tu pas frappé par ceci : Lucifer est d’abord un révolté, un être qui n’accepte pas l’amour de Dieu, ne se soumet pas à sa sagesse, dresse contre lui école contre école, raisons contre raison…

– Si Lucifer, cette vieille fripe, trouve autant de bonheur à s’opposer à Dieu que j’en ai éprouvé moi-même à pourfendre les petits chefs menteurs, tricheurs, mafieux, imbus de leur pouvoir, qui voulaient me mettre le pied sur la tête, et s’en prenaient bien souvent aux élèves pour cela, alors l’enfer ne m’effraie plus tant : il deviendrait cousin de celui de Shaw, où le diable déclare tranquillement qu’il ne pouvait pas supporter le paradis : « I simply left it and organized this place. » My place serait organized sur des principes différents, je ne suis pas si friand des apparences, mais

– C’est simplement une fable amusante.

– C’est la fable de l’enfer sans son aspect punitif. La peine du dam, mais sans solitude entière. Et pas de peine du sens, qui, elle, ne peut être comprise que comme un châtiment. Si l’enfer est ce que s’inflige le damné à lui-même, pourquoi pas celui-là? Il me botterait tout à fait. Et j’ajoute que Dieu se déconsidère lui-même en faisant intervenir la douleur, comme s’il craignait que la thèse du diable ne rafle un large consensus.

– Te voilà encore reparti à écrire les dogmes, alors que l’article un consisterait à t’y soumettre.

– Même si c’était à sûres enseignes, je ne le peux pas. Si j’existe authentiquement en quelque façon, c’est dans ce refus. Rien à faire

– Tu sens bien, pourtant, que l’espèce de vie que tu t’es ménagée, qui ne sert à rien ni à personne, et dont l’égoïsme est de plus en plus mesquin, n’est qu’un pis-aller.

Égoïsme au sens large : je ne demande qu’à me rendre utile, à aimer et à être aimé.

– Mais les occasions, étrangement, ne sont jamais les bonnes.

– Les gens sont orgueilleux, narcissiques, désinvoltes, irritants au possible…

– Comme toi.

– Je ne suis pas désinvolte. Tout au plus puis-je faire semblant.

– Tu as quand même été touché, ne fût-ce qu’un soir, par l’essentiel de l’essentiel, tel que le présente le père Varillon.

– Dieu n’est qu’amour, oui.

– « “L’amour n’est pas un attribut de Dieu parmi les autres attributs, mais les attributs de Dieu sont les attributs de l’amour.” L’amour est tout-puissant, sage, beau, infini »…

– Dieu est pauvre, dépendant, humble… Il n’empêche que la présence de réfractaires limite un peu la toute-puissance, et que les tortillages par lesquels Varillon s’efforce d’annexer l’enfer à l’amour sont un véritable prodige de jésuitisme.

– Je ne crois pas

– Non mais relis-moi ça! Là, tiens : « L’envers de la divinisation : l’enfer »

– Si tu y tiens… « Le malaise, pour ne pas dire la gêne, des chrétiens devant ce que le catéchisme désigne sous le nom d’enfer est si grand que, pratiquement, on a cessé d’en parler, sauf rarissime exception. Le silence vaut peut-être mieux que des explications qui prolongeraient de vieux malentendus tenaces. On fait bien de se taire, si l’on n’est pas capable de faire comprendre que la négation pure et simple de l’enfer conduit en définitive, sinon à une négation de Dieu et de l’homme, du moins à une mutilation de Dieu, de l’homme et de l’amour.

    J’avance ici quelque chose qui, au premier abord, est un paradoxe violent. Mais précisément, il faut affronter ce paradoxe qu’est l’étroite liaison de l’amour et de l’enfer. Si l’on avait le temps de développer de façon détaillée ce paradoxe, on pourrait montrer que l’éventualité de la damnation – je dis l’éventualité et non sa réalité, car il nous est impossible d’affirmer que la damnation est une réalité – est nécessaire pour comprendre :

- le mystère de notre vocation à être éternellement des Vivants de la Vie divine (il est évident qu’en dehors du mystère de notre divinisation, l’éventualité d’une damnation est absurde);

- le sérieux ou la gravité de l’amour (qu’il s’agisse de l’amour de Dieu pour nous ou de l’amour qu’il nous donne d’avoir pour lui);

- la dimension absolue des actes que pose notre liberté dans le temps, donc du temps lui-même qui nous est donné pour les poser;

- la vraie nature de l’espérance et en quoi elle est liée, tout en étant distincte, aux multiples espoirs humains. De telle sorte qu’une méditation sur l’enfer doit déboucher sur un hymne à l’espérance. »

– Voilà le programme tracé!

– « L’enfer dans la Bible »

– Laisse tomber ce passage! C’est juste une tranche de ratiocination brumeuse comme quoi l’Ancien Testament n’avait qu’une notion vague des Enfers, le shéol, un séjour des ombres, sous terre : le Christ, en y descendant, nous en aurait délivrés. Comme s’il ne fallait pas que son père consubstantiel nous y eût d’abord condamnés! Reprends là où ça me touche! Aux croix! L’enfer et la solitude absolue

– « Le drame de nos existences c’est que, tout au fond, au plus intime de soi, l’homme est seul. Mais il ne peut pas supporter la solitude, alors il la dissimule, il la masque. Car s’il est seul, il n’est pas fait pour être seul. Comme Dieu lui-même, qui est Trinité, communauté de trois Personnes, l’homme est un être-avec. Si vous biffez avec, il vous faut presque biffer être. Devoir être-avec l’autre ou les autres, et être seul, c’est la contradiction. Et quand la contradiction est vécue, c’est alors l’angoisse. C’est l’angoisse de la solitude, toujours relative, de cette vie qui, seule, peut nous donner une vague idée de ce qu’est la solitude de la mort. »

– Remarque bien que cette élucubration ne s’appuie sur aucun texte, et n’a pas d’Imprimatur, mais qu’elle m’interpelle, parce qu’effectivement, quoiqu’ayant mi-choisi l’érémitisme, je ne m’en contente pas plus que des relations plus ou moins mondaines que j’ai eues avec quelques êtres par le passé, et conserve, très espacées, avec actuellement deux ou trois d’entre eux. J’ai cessé d’aspirer au “rêve étrange et pénétrant” d’“une femme inconnue qui m’aime et me comprend”, bref, à un retour au jardin d’Éden de la toute petite enfance

– Pas certain du tout : c’est tout de même bien proche de l’espérance de divinisation dont cause Varillon.

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