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Inventaire avant liquidation

[« Où ça nous mène, “méchant”? Qu’est-ce que ça permet de comprendre? »]

19 Décembre 2016 , Rédigé par Narcipat Publié dans #55 : Méchant?

– De toute façon, je préférerais le réserver aux êtres qui connaîtraient leur bienfaiteur, donc qui me paieraient en ce monde.

— Toujours ce “remerciement”, que Charles avait ajouté aux biens et services, pour réduire toutes relations humaines aux lois du marché!

— Et c’était sans doute le plus altruiste des êtres, un athée qui, s’interrogeant sur le suicide d’un collègue, et sa légitimité, ne se préoccupait que de l’impact sur les proches et la collectivité! Comme si quiconque choisit authentiquement le néant allait s’inquiéter, en se tranchant les veines, pour des autres qui mourront avec lui!

– Décevant. J’avais cru comprendre que tu t’étais distancié de cet a priori.

– Tout au plus par prudence, dans l’éventualité d’une rétribution post mortem.

– L’égoïsme reste monolithique et infissuré.

– En cas de mort, certes!

– Voilà le handicap majeur de l’absence de progéniture.

– Bah! Regarde mon père. Cinq lardons ne lui facilitent pas le passage, apparemment. Il est toujours seul au monde, plus que jamais depuis qu’il a conscience de sa déchéance et n’ose plus se montrer; et l’après lui n’existe pas. Rien que de chercher quoi lui offrir à Noël me supplicie, alors que j’aime donner, quand ça rend heureux, qu’on ne le cache pas, et qu’on ne le prend pas comme un dû. Et pas seulement aux enfants! J’ai mille fois laissé ma place à une caisse de supermarché

– Mettons quelques dizaines.

– Je n’ai pas compté. Mais qu’une mégère exige de passer, les piquants se hérissent illico.

– On ne va pas classer méchanceté une banalité pareille. On ne sait d’ailleurs pas encore si le concept est fonctionnel.

– Ni s’il mérite ce nom. C’est une simple étiquette de la psy du sens commun.

– Tu m’avoueras que la révolte, l’inquiétude, et même la paranoïa, ne sont pas mieux loties, du moins sous ta plume et jusqu’à l’heure. Du reste la méchanceté, selon moi, est liée à la révolte contre un pouvoir tenu pour mauvais avant toute épreuve. Tu ne délinques pas des masses, et ne fais guère de mal, parce que ton désir des choses va de faible à nul, et que tu es un dégonflé, mais du temps où tu cogitais un peu sur tes pratiques éducatives, n’avais-tu pas saisi que la prétendue libération de gamins de quinze ans ne les menait, s’ils te suivaient, qu’à une tabula rasa horriblement morne, avec la mort au bout du chemin?

– Par moments, il m’a semblé comprendre ça, mais c’est seulement dans la mesure où leur éducation n’avait été faite jusque là que d’interdits et de mensonges.

– Mais tu ne faisais que détruire! Ça sonne bête à dire, mais tu ne mettais rien à la place!

– J’essayais de mettre la lucidité, la réflexion, le travail, mais je reconnais que j’étais plus efficace comme démolisseur de mythes que comme bâtisseur.

– Lucidité pour quoi faire? Travail dans quel but? Ton travail, ils en faisaient aussi bon marché que des serinettes d’outre-cloison.

– Meilleur, souvent, les serinettes s’appuyant de sanctions. Mais je leur dispensais un peu de joie, dans un cadre où elle était rare, et même si tout le détail s’est envolé, au moins auront-ils retenu que joie et boulot ne sont pas incompatibles.

– Un peu léger, en échange de ces interdits qui leur tenaient l’échine droite.

– Ils n’avaient pas besoin de moi pour s’en émanciper, c’était dans l’air du temps. Et j’aurais souhaité promouvoir une morale positive, visant à l’épanouissement concomitant du groupe et de l’individu, au lieu de la mutilation de celui-ci par celui-là.

– L’as-tu prêché, ça?

– Je n’ai rien prêché du tout.

– Mais enfin, toi-même, si tu n’as guère enfreint les lois, en est-il une seule que tu respecterais, avec l’assurance de l’impunité?

– Il y a Nulla dies sine pagina, qui est impérative au moins 350 jours par an, même si, souvent, c’est plutôt manière de dire…

– Belle éthique! Qu’en ferais-tu donc, autrement, des dies? En user de la sorte relève de la routine, de l’avarice et de la connerie, puisque tu ferais mieux d’apprendre ce

– Oké! Oké! C’est tout de même une règle que je m’impose, alors que l’impunité serait assurée si je m’en tenais quitte. J’essaie aussi d’écrire le mieux possible, et d’éviter de mentir.

– Ici, s’entend.

– Ça va sans dire. Quant à la loi de me faire respecter, je lui donne du mou, depuis quelque temps

– Sauf avec les faibles.

– Minute. Mon neveu est un adolescent qui m’intéresse, en dépit de son sexe, tant par ses multiples objets de curiosité que par les ressemblances qu’il présente avec mézigue; car c’est un narcisse dont l’ego, malgré le contrepoids du réel, est un vrai zeppelin, et qui, si je le laissais faire, me donnerait des leçons à tire-larigot sur ce que je connais le mieux, chose contre quoi j’ai tort de déchaîner mon ire, mais raison en revanche de le mettre en garde, pour son bien.

– Pour son bien, si l’on oublie les formules qui ne peuvent que blesser son amour propre et le pousser au rejet.

– Je crois au contraire qu’il va se piquer de les englober : on verra bien.

– C’est avec ce genre d’On verra bien qu’on finit par vivre dans un cimetière.

Higher or death! Ou une relation évolue, vers la transparence ou au moins la réponse à tout, ou elle ne mérite pas de se prolonger. Est-ce un impératif moral ou un trait de caractère, je ne saurais le dire…

– Dans les faits, en tout cas, c’est un tueur avéré, puisque toutes les relations en périssent, sans aucune exception, les seules qui durent étant ce que tu appelles mondaines, celles où l’on ne se pique pas ou plus de tout dire. Mais quant à moi, je parlais de règles communes, auxquelles obéir, tu le reconnais comme un autre, rend le monde vivable. Il n’est pas folichon de s’exposer à être tué à tous les coins de rues, ni trompé chaque fois qu’on demande un renseignement.

– On se répète, là.

– Parce qu’on a pris trente-six chemins de traverse avant que j’aie pu mettre ma thèse sur pattes. Tu n’es pas seulement révolté contre la réglementation de tel ou tel dieu local, qui exigerait qu’on pénètre dans son temple du pied droit ou du pied gauche, mais contre le principe kantien qui régit toute morale : tu mets ton cas à part.

– Mais je m’en cache, comme tout le monde, assassins compris.

– Comme les assassins, nul doute. C’est sur le gros des masses que je ne suis pas d’accord, même si les voleurs, les menteurs, les traîtres, sont en nombre croissant, ce qui n’est d’ailleurs pas prouvé. Quoi qu’il en soit, nul n’a prétendu que le peuple de Dieu pullulerait. Même ses élus, Yahwé leur trouvait la nuque raide, et a plus d’une fois médité de les exterminer.

– Ne me prends pas ce con pour modèle! Plus j’avance dans le Pentateuque

– en en sautant beaucoup!

– Les prescriptions cultuelles au poil de chèvre près! Les définitions matérielles de la pureté et de l’impureté! C’est incaricaturable! Ce dieu est une merde, je ne sais plus qui a dit ça…

– Le lardon de Winston Churchill, d’après Dawkins.

– Il est jaloux, mesquin, vindicatif, il tue pour un rien les types les mieux intentionnés, argue sans cesse de son bon plaisir… Le simple fait de tenir pour saint un pareil recueil de sottises et d’abominations, et leur prétendu inspirateur, suffit à disqualifier une religion! Elle a plus de trois mille ans d’âge, et assurément, elle fait encore plus!

– Tu exagères. Les dieux anthropomorphes d’Homère, cette Aphrodite qu’un Diomède peut blesser de sa lance… « ὁ δὲ Κύπριν ἐπώιχετο νηλέϊ χαλκῶι, γιγνώσκων ὅ τ᾽ ἄναλκις ἔην θεός », tu te souviens?

– Oui… en français. L’épisode est au moins vivant et agréable à lire, ce qu’on ne saurait dire des litanies interminables du Lévitique et des Nombres. Je me demande comment, au prix de quelles exégèses, il pourrait exister un juif pieux, à notre époque, qui ne soit pas d’abord un crétin! « Et si la vérité était triste? » disait Renan. Mais il y aurait encore plus triste que l’absence d’au-delà : ce serait que ces conneries racornies, momifiées, fussent vraies!

– C’est ce que semble nous souffler le Linceul, sans compter quelques faits troublants.

– Ça signifierait que moi, ma raison, mon bon sens, sont faux de pied en cap? Je le répète, même au risque de la géhenne, je ne peux pas me reconstruire sur de pareilles boues. Et cette fois, c’est bien ma conscience, en somme, qui me l’interdit. En revanche, l’espèce d’instinct qui me sort du rang mérite d’être combattu.

– Il se peut qu’on aille vers un monde de plus en plus canaille, donc de plus en plus fliqué : il sera fait de gens de ton espèce, inaptes à piger qu’ils sont chacun unus multorum.

– C’est ça que tu appelles méchanceté?

– Pas seulement, car il s’y joint le refus d’obéir à qui ou quoi que ce soit, et un certain plaisir à infliger des souffrances.

– Tout ça parce que je me suis vendu au diable? On se demande pour quel salaire.

– Un salaire illusoire, la liberté de méfaire, qui a fait flop, parce que tu n’es, de nature, nullement un conquérant, mais un faquin. Cela dit, je serais enclin, dans ton cas, à voir le diable comme une fascination gratuite du mal en soi, et de la destinée solitaire qui s’ensuit. Au fond, comme le péché originel, que nos ancêtres entendaient peut-être mieux que nous, quand ils tenaient le jeune âge pour négligeable. Si tu veux bien y consacrer quelques millions de neurones en CDD, en faisant taire la séduction qu’exerce sur toi la présumée innocence des enfants

– Je ne l’entends pas comme une bonté naturelle, mais comme une transparence, du moins avant l’âge de la frime. Ce qui m’émeut, c’est l’aptitude visible au bonheur et à la découverte, associée à la confiance. Mais si ma propre enfance fut jamais telle, c’est avant mes premiers souvenirs. Et celle des autres, je n’en ai eu que des visions fugitives et sans garantie : on ne m’a jamais confié un  gosse plus de deux ou trois heures sans surveillance, et on a eu raison.

– Les petits chats aussi sont adorables. Mais si l’homme commence à l’intériorisation de la loi, à la responsabilité, à l’acceptation de son unicité comme égale à toute autre, l’enfant n’est pas un homme, et toi qui n’as jamais grandi, tu n’en es pas un non plus, pas davantage que les criminels, les P-D G, les politiciens et leurs pareils.

Scum and dregs… 

– Sauf que la scum ne serait que dregs déguisées.

– Et les deux un simple prolongement d’enfance? Quand je pense à Ratzinger, qui a biffé les limbes pour accueillir tous les bébés au paradis…

– Une célébrité aussi immature que la plupart des autres, peut-être…

– Pas la moindre envie de rayer nul tout ce qui me procure un peu de joie en ce monde, ainsi qu’à des milliers d’hommes normaux, pour donner l’entrant à une éluc fumeuse; je ne lui trouve qu’une vertu, au stade de rabâchage vide où nous pataugeons, ce serait de permettre une transition vers Peter Pan, sur quoi l’on dispose au moins d’un texte à commenter.

– On a pu te qualifier de nerveux, d’inquiet, de parano, et tu en as tiré excuse pour étudier, ô que superficiellement, ces “caractères”. Personne t’a-t-il jamais traité de Peter Pan?

– T’as vu les gens que j’ai connus? Leur nombre, l’intérêt qu’ils m’accordaient, leur culture psy? Moi-même je n’ai découvert le bouquin que tardivement, et c’est de moi que l’identification procède

– Alors qu’ils sont des palanquées à t’avoir traité de méchant. Même le Noble Homme Pilorre de Mirebeau, entre 70 et 75, t’a défini par le besoin d’emmerder les autres, que tu aurais fini par retourner contre toi.

– Tu me cites là une autorité.

– Tu te soucies bien de l’opinion du public, non? Or, en tous temps, ce ne fut qu’un cri.

– Pas celui de mes élèves, qui m’ont connu mieux que personne.

– Tu les divertissais, ils ne t’aimaient pas. Il y en a au moins un qui te l’a balancé en pleine poire, et M***, qui grouillait d’anciens élèves dont pas un n’est venu te voir, a fait office de vérification.

– Hélas, c’est bien vrai. Peut-être n’ont-ils retenu, au mieux, que l’image d’un dreambreaker qui les cassait. Mais pourquoi leur donner raison? Où ça nous mène, méchant? Qu’est-ce que ça permet de comprendre?

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