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Inventaire avant liquidation

[Méfiance et décrépitude; tordre le cou à l'illusion d'une vie]

23 Décembre 2016 , Rédigé par Narcipat Publié dans #55 : Méchant?

– De toute façon, ta solution ne vaut rien. Elle ne peut plus le voir. Elle  en crèverait, ou partirait quand même; et me prendrait en haine. Elle a réglé son affaire sans aide, mais des bâtons dans les roues, ah mais non!

– Ce ne sera réglé que si on l’achève à l’hosto.

 – Ils ont fait un bel effort dans ce sens la première fois. Écoute, il a fait son temps! Ce bouquin m’a flanqué une bonne claque, c’est vrai, surtout quand on découvre que toutes ces sommes qu’était censé dilapider le vieux, il les consacrait à payer les polices d’une assurance sur sa vie… en faveur de son fils.

– Parce que tu n’en es pas sûr du tout, que ton père t’ait déshérité! Ni, s’il te hait, de n’avoir pas été l’agresseur. Ni que ta moche âme soit due à la sale sienne!

– C’est une reconstruction, nécessairement.

– Hypothétique. Face à quoi tu n’as pas un manquement matériel à lui reprocher.

– Rien de formel. Mais il n’était pas idiot.

Tu l’as déçu, voilà ce que tu ne peux lui pardonner.

– Je n’ai rien à pardonner à personne, mais en l’espèce, je pense que les germes de la déception étaient fournis, et qu’elle était plus ou moins programmée. Lui-même avait d’ailleurs déçu ses parents, sa mère en tout cas, qui portait la culotte, et qui aurait estimé coupable que la vie lui apportât d’autres satisfactions que celle de faire son devoir

– Une femme qui avait appris à lire à la moitié de son patelin, c’est autre chose qu’un bouffon qui décampait à peine avait-il planté la tente quelque part, pour éviter d’être confronté à l’anarchie dont il avait fomenté l’éclosion.

– Je dois en convenir, bien que je fuisse d’abord l’hostilité des chefs et des collègues, que mémé n’a jamais connue. Il faut croire que malgré sa plaie secrète, elle se sentait à sa place.

– Elle avait l’humilité élémentaire de ne pas se prendre pour un être exceptionnel à l’échelle planétaire ou hexagonale, et de ne se préoccuper que de faire son travail le mieux possible.

– Je pourrais répondre que moi z’aussi, les circonstances étant changées : on apprend mieux à écrire et à raisonner quand on s’intéresse à ce qu’on fait, et dès lors…

– La différence, c’est que pour toi, faire ton travail, ça s’entendait nécessairement contre les autorités instituées. Ça, tu ne le tiens pas d’elle.

– Indirectement, si, peut-être. Mais il se peut bien que, soit en vissant son aîné, soit en lui fixant des buts qu’il ne pouvait atteindre, elle n’ait pas visé consciemment à l’opprimer.

– Ni qu’elle l’ait fait. Ni lui toi.

– Tout ce que je sais, c’est que subjectivement ma reconstruction tient compte de tout le réel.

– Du peu de réel que tu connais, ou crois connaître, et cette connaissance douteuse, tu n’as pas cherché des masses à l’étoffer, ni à la recouper. Pour l’essentiel, elle consiste à t’observer toi-même, et à déduire de cette “observation” ce que les autres t’ont fait subir… autrefois.

– Je n’avais le choix qu’entre l’outrecuidance et l’avachissement, entre

– Et tu as obtenu les deux à la fois.

– De par le poids des ans et de l’insuccès, de toute façon…

– Bien avant! Et tu n’es pas si vieux. Tu as passé l’âge des découvertes, pas celui des perfectionnements. Les vidés, les exténués abondent, mais je pourrais te citer moult écrivains qui ont pondu leur meilleur vers la soixantaine. Ils au moins ceci en commun de n’avoir pas cessé de vivre et d’apprendre à quinze ans, au prétexte qu’ils étaient déjà ce qu’il y a de mieux.

– Et, le pire, sans trouver pour autant une voie originale, faute d’oublier le besoin originel d’être reconnu. Au lieu de vivre, je me suis raidi dans le vouloir-être, et dans une liberté d’emblée dépendante. Voilà l’erreur, et non je ne sais quelle “méchanceté” pour Grand Guignol.

Vivre, comme tu dis, supposait un minimum de compassion.

– Je ne vois pas pourquoi. Un prédateur vit très bien, dès lors qu’il est pleinement lui-même.

– J’en doute. Un ours blanc, peut-être? Mais même un loup ne peut être soi sans un minimum d’accord avec la meute.

– Ah! Ne me fais pas chier avec tes animaux! Je te signale en passant qu’il est impossible de trouver sur Gogol le moindre exemple de soins filiaux à des parents âgés qui seraient, par exemple, hors d’état de chasser, et que leur progéniture nourrirait. Même les sacro-saints bonobos ne veulent rien savoir d’un retour d’ascenseur : il est spécifique des humains.

– Tu prends la nature pour exemple, à présent?

– Juste pour dire que c’est contre elle qu’on nous a concocté toutes ces lois, quand une relative abondance les permettait, à une époque où les grands-parents en vie étaient rares, ne se couchaient que pour mourir, et où le cerveau n’avait pas le temps de se déliter. À présent que les arrière-arrière deviennent tout ce qu’il y a de commun…

– À l’abattoir, c’est ça?

– Pas sans consentement! En un sens, ce serait, j’ose le dire, plus humain. Mais à qui appartiendrait la décision? Inacceptable. Ce que je préconiserais, c’est que le suicide style Lafargue devienne institutionnel, comme dans l’île de Céa ou chez les Eskimos.

– Pure connerie. Personne n’a envie de mourir.

– Et personne n’y serait obligé. Mais on faciliterait le départ à ceux qui trouvent la vie pesante. Ils pourraient rassembler une dernière fois leurs proches, à supposer qu’ils en aient… et éviter la souffrance et l’absurdité d’une postface comme celle de mon père, ou bientôt la mienne…

– Pétochard comme tu l’es, évidemment, ça t’arrangerait, si tu deviens aveugle, qu’on mette des méthodes douces à ta disposition… jusqu’au moment de faire face! Enfin, tout ce blablabla ou rien… Je te rappelle qu’il ne s’agit pas encore de ta mort, ici, mais d’un homme jeté aux ordures, alors qu’il a cinq enfants en état de marche, et auquel tu n’es même pas fichu de téléphoner

– Téléphoner quoi? Même quand il articulait encore, « J’ te pass’ ta mère! » était devenu son seul message! S’il en est un, rien qu’un, qui ait mérité son sort… Écoute, c’est comme ça : tant qu’on ne me montrera pas l’enfer éternel, là, béant devant moi, je refuse de me l’offrir ici, inutilement, pour le peu qu’il reste de mon tout probable. Que dis-je? Pour ce tout soi-même, le passé n’étant rien. Car, fini tant qu’on voudra, c’est un tout qu’on parie, dans l’espoir d’en décrocher un autre, infini mais imaginaire. Lâcher tout pour obtenir tout! Piètre spéculation. Du reste, je ne vois pas pourquoi je battrais ma coulpe pour un comportement qui est celui de deux sur trois de mes compatriotes, fraction qui monte probablement à 99% dans le cas d’un enquiquineur ingérable comme mon père, qui déconne à pleins tubes, n’en fait qu’à sa tête, et veut être obéi! Si ma frangine a choisi l’abnégation, et le croire relève déjà de la foi, c’est son affaire.

– Pauvre type! Pauvre, pauvre type! Toi, tu vas t’accrocher jusqu’au bout à cette branche prétendument noble de la création, alors que tu ne fais plus que ressasser et rapetasser! Ton sujet unique, ton précieux ego, n’a jamais intéressé personne, et en plus, tu l’as épuisé depuis une éternité. Or chaque fois que tu en es sorti, tu as écrit faux, tu le sais bien.

– Ça me loge en bonne compagnie.

Nombreuse, tout au plus. Tu es un imitateur, un démarqueur, de la sous-espèce de ceux qui flétrissent tout ce qu’ils touchent, par envie, et parce qu’ils ne sentent, donc ne comprennent rien. L’empathie, mon pauvre vieux, n’est pas une vertu facultative, quand on prétend créer.

– Tu prétendais que je l’éprouvais, il n’y a pas trois pages…

Quand un autre te l’offre sur un plateau. Mais tout ce que tu fais est froid, mort-né, et à présent que tu commences à t’en rendre compte, même ce peu de virtuosité d’ancien combattant que tu avais réussi à acquérir à force de sudation a sombré! Tu t’accroches à l’épave d’un rêve cinquante ou soixantenaire, au lieu de mettre à profit les années qui te restent pour faire enfin un peu de bien. Tu n’y aurais déjà guère de mérite, puisque tu n’as plus rien à dire, même à tes propres yeux!

– Mais précisément! C’est ça qui est intéressant, ou pourrait l’être : le nouveau qui pourrait surgir de cet apparent néant, si seulement on me foutait un peu la paix!

– Et quoi donc la trouble, ta paix? C’est toi qui ne cesses de papillonner! Tu prétends tout sacrifier à ton trâvâil, ou toi-disant tel, mais une fois éliminés les besoins des autres, tout t’est bon pour le fuir, le boulot en question.

– Plains-toi! Pour une fois que je me contrôle mes infos!

– Passerait encore. Mais tes vagabondages dépassent de beaucoup les limites dudit contrôle! Te voir tout interrompre pour sauter sur le moindre pourriel publicitaire! Tiens! Tu ferais pitié si tu n’étais une telle ordure! On ne peut même pas imaginer un fada à qui soit plus amplement prouvée l’inanité de ses errements, et chaque jour qui passe t’y enfonce davantage! C’est un échec, c’est l’erreur d’une vie entière, tu le reconnais toi-même et t’y obstines! Tu prétends vouloir changer, et l’occasion n’est jamais la bonne! Tu n’essaies même pas, ce qui s’appelle essayer! Combien de temps a-t-elle duré, l’expérience de charité verbale sur Toile à laquelle tu étais censé te mettre en revenant de Dun, mmm? Dix minutes?

– À peu près. Là je confesse une sclérose résultant, un, de l’état de mon dos, de mon bide, et surtout de ma vue, qui ne me permet plus d’endurer douze heures d’écran, voire seulement huit ou dix; or, me promener de new blog en new blog, ça suppose de lire beaucoup, pour louer à bon escient, je ne vais tout de même pas me contenter de mettre des “Super!” ou “Remarquable!” à tout le monde

– Dieu garde!

– En tout cas, ça me désobligerait si j’en étais le destinataire; et comme expéditeur, ce serait escamoter l’objectif de l’opération, c’est-à-dire la tentative de voir comme l’autre, de chercher en quoi il a raison. Or lire esquinte plus l’œil qu’écrire. Secundo, le déconno me chausse des bottes de plomb. Créditer une activité aussi paresseuse d’un point les trois quarts d’heure, comme la créa elle-même, serait incitatif, certes, mais fallacieux

– Ça vaudrait pourtant mieux que de te remettre à des trados qui ne reçoivent pas une visite, et ne valent pas plus cher que les automatiques.

– Là tu pousses pépé dans les bégonias. Tout ce qui est excessif est sans portée. J’ai comblé des trous, et je compte bien y persister. Que ces comblements passent inaperçus, je le mets à charge du public et du système

– en te réjouissant in petto que l'œuvre d'autrui soit encore moins visitée que la tienne…

– C’est vrai que le délaissement semble moins signifier la merde quand il s’agit de Chomsky, de Rushkoff ou d’Hightower. À moins que je n’aie le même goût de chiottes comme lecteur que comme écrivain.

– Ou que tu ne traduises comme un pied! Mais laissons. Je crois que cette réification de soi via le déconnogramme, si elle n’est pas responsable de tes pires tares, en est révélatrice, et contribue fortement à les pérenniser. Rien n’est plus crasseux que cette manière de tout noter et de tout prévoir, qui tue tout ce qu’elle touche, et dans l’œuf ce qu’elle ne touche pas. Tu es bien conscient que rien de ce que tu chiffres n’a la moindre valeur, que c’est devenu de la triche de A à Z, et la plus conne des triches, celle qui ne dupe que son auteur!

– Tout est exact, sauf quelques décimales.

– Mais cette exactitude est sans vérité, puisque tes chiffres déguisent le temps perdu en production ou en apprentissage illusoires.

– Pas complètement.

– Si. D’une part, tu ne fais que te répéter. De l’autre, tu ne lis que des âneries, qu’au surplus tu oublies en moins d’un mois. Et tu t’acharnes sans relâche à prévoir, alors que les surprises ne se sont jamais enchaînées plus dru aux surprises.

– J’essaie d’être vigilant, mais il faut reconnaître que j’avance à tâtons. J’ignore à peu près tout du monde qui m’entoure, des outils dont je m’efforce d’user, notamment mon nouvel ordi, et enfin de mon corps, qui se pique continuellement de déconner du côté où je ne l’attendais pas…

– Sans aller jusqu’à affirmer que Dieu t’avertit, on peut quand même se demander si tu ne pourrais pas, tant qu’il en est temps, te convertir à des règles de vie plus adaptées à ta décrépitude que ce contrôle à tous crins dont tu n’as pas les moyens!

– Tu crois qu’Inch Allah, ça va mieux marcher? Prendre les choses comme elles viennent n’implique pas de traverser sans regarder, ni de rester au milieu des clous quand une bagnole te fonce dessus!

– Mais prévoir tout sauf l’essentiel, et toujours faux! On dirait que le spectacle de ton père ne t’est d’aucun enseignement. Tu marches sur ses traces, pourtant, et à pas de géant!

– On le dirait, oui.

– À quoi rime cette culture de la méfiance quand on ne peut plus se fier à soi-même?

– Je n’en suis pas encore au point où ma survie dépendrait d’autrui. Mais le déclin pourrait bien être entamé, en effet, sur des points que j’ai la faiblesse de n’estimer pas si mineurs. Quand je me fais fort de corriger, par exemple, des textes vieux de quatre ou cinq ans, je ne peux me défendre de penser à Proust moribond rayant d’un trait de plume le tiers d’Albertine disparue

– Oh! Seigneur! On ne va pas encore et toujours en revenir à tes foutus écrits! Laisse-les donc en l’état, et ne nous emmerde pas! Je te parle de choses sérieuses!

– Et qu’est-il donc de sérieux, qui n’y pourrait prendre place? Qui ne soit fait pour cela?

– Fait pour quoi? Pour aboutir à un laid livre? Ne vois-tu donc pas que même si la création était encore possible, elle est complètement bloquée par cette rage du contrôle? À cet aspect-là du message du Christ, tu es sourd comme au reste! Ne te préoccupe pas du lendemain

– Oui, oui, mon père céleste y pourvoira! Dommage qu’il se soit mis aux abonnés absents…

– C’est lui qui cherche la communication. Et toi qui ne veux pas décrocher.

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