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Inventaire avant liquidation

[Confession dirigée]

25 Décembre 2016 , Rédigé par Narcipat Publié dans #55 : Méchant?

– Et narrer sur quelles bases, explique-moi un peu! Ou vois, plutôt, ce que Glouglou nous dégotte de plus couru pour préparer confesse : « 1. Est-ce que Dieu est toujours à la première place dans ma vie ou suis-je comme ces hypocrites qui mettent toujours des conditions : “Que ta Volonté soit faite... à condition qu’elle corresponde à la mienne”? » Ma foi, je ne vois pas trop le rapport avec l’hypocrisie… C’est plutôt les limites de la conscience droite qu’on sonde là! « Me suis-je confessé au moins une fois pendant l’année? Ai respecté les jeûnes indiqués par l’Eglise? Ai-je aidé l’Eglise dans ses besoins? » Oui, j’ai apporté du papier, mouarf! Monnaie, je précise.

– Je ne l’entendais pas

– Attends! « 2. Ai-je manqué de respect à Dieu : dans l’Eglise, par exemple, me suis-je mal tenu? » Ah, non, tiens. Pas en public, du moins. Un bon point pour moi! Cela dit, j’y ai volé jadis des quintaux de cartes postales qui n’avaient même pas l’excuse de la beauté, et je me souviens même d’un sacrilège assez drôle, dans une cathédrale du nord où les dévotes déposaient leurs desiderata dans de petits souliers : « Seigneur, écartez de mon fils cette mauvaise femme qui le trompe et le gruge, etc ». Réponse : Merde! Signé : Dieu, avec paraphe super-éthéré. Qui sait? La vieille en a ptêt fait un A.V.C.? Quand je déboulerai au portail de l’enfer, je serai tout surpris, si ça se trouve, de voir témoigner la veuve et l’orphelin, d’autant plus véhéments qu’ignorés.

– Tu ne crois pas si bien dire. Il va de soi que les premiers commandements sont provisoirement sans objet pour toi, mais que leur obéir, commencer par respecter des croyances que tu ne partages pas, et même une bigote qui en fait piètre usage, éviterait d’éventuels dommages aux créatures dont tu auras à répondre, tes sacrilèges les ayant rendus possibles. Pense aux dizaines de gosses que tu auras détournés de la foi, simplement parce qu’ils t’admiraient… et qui n’y seront pas revenus quand le recul t’aura confisqué ton auréole.

– Je doute d’avoir libéré de telles foules! Une poignée tout au plus, et encore n’ai-je fait qu’accompagner un mouvement inéluctable. Ils ont reconnu leur révolte, ils n’ont pas copié la mienne. En tout cas, aucun ne me l’a jamais dit. Mais qui sait, après tout? Ah bah. S’il est une chose que Dieu devrait pardonner, c’est bien qu’on ne croie pas en lui!

– « 3. Suis-je conscient que le dimanche ainsi que les jours de fête d’obligation appartiennent à Dieu? Ai-je répondu à son appel en étant présent à la messe? Me suis-je bien préparé pour recevoir la communion? » Temporarily irrelevant!

Définitively! Je ne sais de quand date ce truc, ça ne paraît pas avoir été astiqué depuis l’an mil… avant J.C.!

– L’œuvre de ton chanoine ou d’un de ses pareils, peut-être… Mais si cette obligation du sabbat est ridicule à tes yeux, c’est que tu n’as jamais ressenti quoi que ce soit d’autre que de l’ennui à la messe. L’esprit de ce sacrifice te passe au-dessus de la tête. La stricte lettre est facile à persifler, mais songe à la providence que fut l’observance du repos hebdomadaire pour les travailleurs du monde entier!

– Certes, certes… Ah! On revient sur terre… très progressivement « 4. Ai-je manqué de respect ou d’amour envers mes parents ? »

– Mieux vaudrait te demander s’il t’est arrivé d’en faire preuve.

– Quelle injustice! Moi qui vais de site en site pour leur trouver des cadeaux de Noël! Et pour papa, c’est pas facile! Faut que ce soit sucré, mou, que ça ne salisse pas, que ça ne tente pas les infirmières… et voilà qu’à trois reprises, une fois mon panier tant bien que mal rempli jusqu’à l’anse, on me fout in extremis des clauses impossibles, genre numéro de portable, ou case obligatoire à remplir, et impigeable…

– Ça t’apprendra à payer pour te dispenser d’aimer.

– Le premier seul relève du libre-arbitre. Ah! On passe aux choses sérieuses! « 5. Ai-je tué quelqu’un? » Non, mais je l’aurais fait cent fois avec le bouton du mandarin. « Ai commis ou encouragé quelqu’un à commettre un avortement? »

– Oui!

– Même pas. J’ai raqué, c’est tout. Snif. La seule preuve de fécondité que j’aie jamais eue. Si toutefois j’étais bien le père…

– T’aurais été frais si elle avait accouché à 17 ans!

– Non, remarque. Et c’est surtout la petite qui en aurait vu de dures, avec  de pareils parents!

La petite ou le petit!

– Pis encore! Merci, Seigneur, pour cette non-naissance, même si je n’ai pas rempli de chefs-d’œuvre le temps libéré!

– C’est d’un manquement presque universellement reconnu que tu te félicites.

– Résolument!

– Tu peux fanfaronner. L’homme inutile par excellence, dans presque toutes les civilisations, c’est celui qui ne transmet pas la vie.

– Sauf buts supérieurs!

– Ha ha. « 6. Ai-je commis des actes impurs seul (masturbation) ou avec un autre (fornication)? »

– À la un : tous les soirs, et trois fois le jour en moyenne, jusqu’à l’andropause! À la deux : trop rarement! Non mais tu te rends compte? Même pas de mention du viol comme circonstance aggravante! Il m’est tout simplement inconcevable en la matière de rougir d’autre chose que d’avoir recouru à la veuve Paluche faute de partenaires. Quand je pense que mon unique aventure homo a initié le processus de déchristianisation!

– Presque unique.

– C’est vrai. J’oubliais l’autre. Une branlette, et subie, encore! en échange d’un trajet nocturne, jusqu’aux Eyzies, ça me revient. L’engourdissement de se laisser faire. Cerveau vide. Rien à raconter, sinon que le type semblait déçu que j’aie fini par accepter. Il faut dire que secouer d’une main le zizi des jeunes gens en conduisant de l’autre ne pouvait lui procurer qu’une jouissance cérébrale. Quant à moi, je me sentais souillé, soit, mais plus qu’indifférent à la souillure. C’était sans importance. Chantal ou Hélène m’auraient raconté en ces termes une rencontre similaire, j’en aurais fait une maladie… et ça m’aurait excité à outrance. Bref, désolé : pas sur cette voie qu’on va dépasser la banalité idéelle en revenant au sens du péché.

– « 7. Ai-je volé? Ai-je consciemment outrepassé des règles imposées par la sécurité et les services d’ordre de mon pays? »

– Les pandores avec nous! Oui et oui. Mais peu et peu. Il y a bien quelques sordidités dans le un, rayon trahison de l’hospitalité. Mais tout compte fait je ne possède pas un bouquin fauché sur mille, je veux dire à des particuliers. Les libraires ne comptent pas.

– Et les bibliothèques?

– Ça, ça date de Mathusalem. Je pourrais me repentir, à la rigueur, d’avoir soustrait quelques volumes à l’indifférence publique pour ne les consulter qu’à peine moi-même, mais j’étais si fier du procédé! Il n’y avait d’ailleurs pas de quoi. Ces abrutis avaient installé le guichet d’emprunt dans la salle de lecture, et ils se contentaient de vous refiler autant de contremarques que de volumes pour le contrôle de sortie, sans mention d’auteur, de titre ou de numéro. Il suffisait donc, en principe, de choisir des volumes présumés pas sortables, d’emporter ceux qu’on convoitait, et, pour plus de sûreté, de revenir le plus vite possible “rendre” les premiers, en les récupérant en rayons. Malgré ces belles précautions, j’aurais dû me faire pincer, une fois : je retourne à la Fac au bout de 24 heures à peine, et je ne sais quel père de l’Église avait été sorti-bis!

– Qu’est-ce que c’est petit, tout ça!

– Microscopique, comme toute ma vie, et spécialement mes ans de Fac. Mais la mesquinerie n’est pas un vice répertorié. Je ne sais si la solitude la fait ou se contente de l’accentuer, mais à Nice, où j’étais censé préparer le CAPES et l’École des Chartes, et où je ne foutais strictement rien que lisotter sur la plage au milieu des rats, je ne connaissais strictement personne que ma logeuse, que j’évitais de mon mieux.

– La mesquinerie ne figure peut-être pas formellement dans la liste des vices, mais le Christ ne cesse de la vitupérer indirectement, en commençant par la méfiance, cette rage du coup sûr qui est le pire ennemi de la foi.

– Et qui pis est, cette condamnation-là, je sens que ma conscience l’avalise. Il n’est peut-être rien que je haïsse davantage en moi, pas même la bêtise ou l’ignorance, que ce défaut complet d’héroïsme, d’enthousiasme, de générosité, que ce soit dans le bien ou dans le mal. Moi qui chiffre et voudrais conserver mon moindre rogaton, qui peut-être répugne à changer pour éviter la dévalorisation de l’accompli, je bave des ronds de chapeau devant un Malcolm de Chazal qui se pointait, dit-on, aux presses où l’on imprimait un de ses bouquins, et lançait : « Arrêtez tout, j’ai mieux! »

– Celle-là aussi, tu l'as déjà racontée.

– Pas, en tout cas, au chapitre péchés; mais j'ai dû dire aussi kekpart que j’en viens à admirer les drogués, les irréfléchis, les dilapidateurs, ceux qui ne savent pas compter, ne voient que le plaisir immédiat, les gens qui se sont ruinés pour une femme ou une idée. J’ai engagé et perdu ma fin de vie sur un coup de tête, c’est vrai, mais le repli narcissique est aux antipodes de l’héroïsme. Et s’y entêter, surtout.

– Il ne tient qu’à toi.

– Les actes, à la rigueur. Mais ils ne me donneraient aucune joie. Ils seraient faux.

– Finissons-en avec cette momerie : « 8. Ai-je menti? Ai-je arrangé les choses à ma manière? Ai-je caché la vérité? »

– Mentir m’est une seconde nature, n’y revenons pas. Ne pas cacher la vérité qui déplaît en est une autre, la même peut-être… Bien entendu, j’ai pas mal bourré le mou par intérêt. Mais c’est juste une gougoutte dans la baignoire moussante du mensonge de pure frime, qui tôt ou tard ne te vaut d’autre réputation que celle… de menteur. La difficulté résidant pour nous, hâbleurs évolués et à peu près crédibles, dans la gestion des stocks : les bobards s’envolent, la vérité reste, et les recoupements deviennent aisés pour l’auditeur. Remarque, j’avais pour collègue à Maurice un Tartarin presque aussi chargé que l’original, un vieux clown feignasse qui passait un cours sur deux à raconter ses vies imaginaires, et devant qui mes meilleures élèves s’extasiaient. Ça douche, et guérit de certains excès.

– « 9. Ai-je souillé mon imagination et mon cœur avec des pensées impures? Ai-je regardé des images obscènes? »

– Même après andropause, dans un état de quasi-impuissance, avec rétro-éjacs d’intensité quasi-nulle, ce qui pour le coup s’appelle bien pécher par malice! La bêtise et la fausseté des photos fautrices d’érection me font bien vaguement rosir, ainsi que le temps que j’y perds… Mais ce péché n’est pas récupérable.

 – « Ai-je laissé grandir en moi de la jalousie pour les biens des autres? »

– J’adore la formulation! Tu ne convoiteras point! Seulement, si l’on donne suite, c’est du vol; et tel quel, ça reste un sentiment involontaire, donc non punissable. D’où la cote mal taillée… Oui, j’ai laissé grandir en moi la jalousie, sous forme de revendication sociale. Mais en général, c’est plutôt par le déni que j’ai traité le problème du bien des autres : en le tenant pour inexistant ou immérité.

– Bref, tu n’as trouvé qu’une occasion de plus de rouler les mécaniques.

– Je reconnais que ce document est encore plus caricatural que notre vieille liste catholique, avec ses adverbes finals et peu finauds, que je devais savoir aussi bien que mes tables, mais qui s’est volatilisée au défaut d’usage. Il doit être facile de trouver mieux. Mais sans triompher de l’objection majeure, à savoir que le remords et le repentir me sont à peu près inconnus. Des regrets, à la rigueur, je pourrais en avoir, de l’orientation que j’ai prise, à dix, à six, à deux ans, plus tôt encore peut-être, et de l’impasse où elle m’a mené; et ce que je regretterais, en me raisonnant, c’est moins le bonheur potentiel que l’enseignement qu’il aurait pu me dispenser. Tout ce que j’aurais pu acquérir si je ne m’étais pas raidi dans une supériorité fantasmatique, et dans le refus des importations. Je ne suis pas sûr que j’aurais pu changer de cap, puisque je n’y réussis toujours pas. Mais si je tiens ma vie pour une foirade lamentable, c’est pour cela, et non pour le mal que j’ai pu faire aux autres, dont je me brosse le nombril. Même quand je me dis que Dieu, s’il existe, va me châtier durement, je ne trouve en moi que l’attrition, le désir de me garer, moi, des conséquences, mais pas ombre d’horreur pour mes méfaits en soi, à moins qu’ils ne s’assortissent de connerie, ce qui, à dire vrai, est à peu près toujours le cas, puisque je n’ai jamais cru aux souffrances que j’infligeais.

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