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Inventaire avant liquidation

[Esquisse de synthèse, et regimbements]

1 Septembre 2016 , Rédigé par Narcipat Publié dans #52 : Nerveux

    « Un caractère est une unité : rassemblons ces données dans une intuition systématique. Si la caractérologie est une connaissance légitime, elle doit permettre, d’une part, au moyen de faits constatés et, autant que possible, mesurés, de dégager par induction les traits constitutifs d’un caractère; mais, d’autre part, de déduire, à partir de ces traits, c’est-à-dire des éléments de la formule de ce caractère, des propriétés qui se trouveront coïncider avec les propriétés constatées. On établit la réalité empirique d’un caractère par la description statistique ou biographique; mais on doit le comprendre par construction, comme on comprend la formation d’une sphère par la rotation d’une demi-circonférence autour de son diamètre. Voyons s’il en est ainsi chez les nerveux.

    Le nerveux est un primaire, il est émotif, il est inactif. Isolément et en concourant ces propriétés doivent produire et expliquer les modes de sa conduite et plus intimement de sa sensibilité. – En tant que primaire, à cause de l’émotivité qui accroît la puissance des excitations successives qu’il subit et par un effet de l’inactivité qui contribue à le rendre passif par rapport à ces excitations, il doit être le plus primaire des primaires et par suite c’est chez lui que les corrélations de la primarité doivent atteindre à leurs maxima, positifs ou négatifs. Il tend donc vers une condition limite dans laquelle il naîtrait et mourrait avec l’instant. Comme les instants changent, il change. Quand le désir le pousse au travail, il se met à travailler; mais qu’un autre sentiment, éveillé par une autre excitation, intervienne, il cesse ce travail. Très émotif il doit réagir à l’événement; mais cette réaction qui commence et finit avec l’émotion et que contrarie l’inactivité est impulsive. Aussi, à cause de ces variations, son humeur ne peut être égale; ni ses sympathies constantes. Il peut souffrir vivement; il doit se consoler assez vite. Ses souvenirs que la secondarité n’a pas reliés dans des systèmes se renouvellent par les usages qu’il en fait et il change d’occupations. Cette inconstance peut-elle être douce? L’émotivité doit la rendre violente et cette intensité, [sic passim pour la ponctuation, qui me paraît souvent aberrante chez Le Senne – ce qui signifie au minimum que mon système diffère, mais la cohérence du sien me paraît introuvable] se manifester par la force de la voix et la fréquence du rire.

    C’est une loi importante de tout caractère que nous commençons par faire de ce que notre nature nous dessine [sic : une coquille, peut-être; mais ce n’est pas certain, en dépit de la bizarrerie grammaticale; car l’auteur ne prétend pas que le caractère trace un destin] à faire, l’idéal de notre vie. [Très intéressant. Mais dans cette optique, les inactifs devraient prôner la paresse, alors que presque tous ceux qu’on nous cite l’ont combattue. J’inclinerais plutôt à croire que l’idéal du moi se situe à l’opposé des aptitudes naturelles, s’il en est] Si nous appelons soi l’idéal que le moi se fait de lui-même [Pas mon cas : j’appelle, sauf erreur, soi le moi tel que le perçoit le sujet] le soi est d’abord conçu et cherché dans le prolongement du moi. Surémotif, vivant par l’émotivité successive le nerveux doit vivre pour l’émotivité et son renouvellement : doit lui être essentiel le besoin d’émotions. Il doit vouloir le changement, chercher les divertissements, sortir de chez lui, fuir la solitude.

    En tout caractère les puissances majeures doivent se payer par des impuissances majeures. Il suffit de renverser ses aptitudes pour dégager ses inaptitudes que la statistique confirme. Ce que la variabilité affective rend le plus difficile, c’est l’objectivité dans la pensée et l’action. Il doit être presque impossible aux nerveux de se livrer aux travaux imposés, qui ne peuvent correspondre qu’exceptionnellement à ses désirs propres et actuels. Il doit les ajourner ou, s’il s’y engage, les quitter bientôt, découragé. Les grands plans encouragent son imagination, mais comme leur exécution comporte toujours des péripéties pénibles, il doit s’en désintéresser vite. Aussi la persévérance lui manque pour continuer, de même que la discipline de la secondarité pour écarter les tentations, la dépense, supporter les maladies avec patience.

    Le voilà donc rejeté, de la considération des choses auxquelles il n’est pas attaché par le besoin d’objectivité, vers les autres et vers soi. La vanité manifeste à la fois sa faiblesse et sa complaisance pour lui-même. Il cherche l’admiration, les honneurs qui le mettent en évidence, affecte souvent d’être ce qu’il voudrait être, se plaît à entretenir les autres de lui-même. Enfin, quelques documents de l’enquête statistique annoncent ce que les documents biographiques montreront de manière éclatante, les dispositions du nerveux pour l’art et la littérature. Il ment pour embellir, il embellit les autres en les complimentant. »

    Comme résumé de l’activité littéraire… mais reprenons au début, car cette “intuition systématique” (plaisant oxymore!) passe mal, sans doute parce que l’intuition-tout-court (sans doute grippée de théories déjà formées) ne la ratifie pas. À première vue, je ne saurais qu’applaudir à cette tentative de “reconstruction” – si elle ne me paraissait, à tort ou à raison, reposer sur un paralogisme : dire que le nerveux, et l’auteur y insiste, doit être tout ce qu’a relevé l’enquête, en vertu des trois “propriétés fondamentales”, c’est leur donner, ce me semble, un statut causal, alors qu’elles ne sont que des lignes de force destinées à rendre intelligibles et maniables les faits observés. Qu’ici ou là on relève ce qu’on peut lire comme traits de primarité, d’émotivité ou d’inactivité, que leur présence même soit écrasante, ne signifie nullement qu’au début existaient ces trois “propriétés”, qui auraient ensuite produit telle ou telle conséquence. On ne “recherche pas des émotions nouvelles”, on n’a pas “besoin de divertissementsparce qu’on est “primaire”, la primarité consiste en une collection de traits comme celui-là, c’est d’eux qu’à tort ou à raison on la dégage, et prétendre les en inférer me paraît (si je domine la peur de péter plus haut que mon cul) tautologique, comme si, mutatis mutandis, on commençait par induire l’avarice d’Un Tel du fait qu’il porte des vêtements râpés et n’a jamais d’argent sur lui quand sonne l’heure de régler les soucoupes, pour ensuite déduire (cot cot cot prévisible) lesdits faits de son avarice. La causalité est peut-être toujours “une superstition”, comme disait Bertrand Russell, mais distinguer une cause d’une conséquence me semble supposer au moins l’antériorité de la première. Et non seulement les chiffres “écrasants” ne sont pas une surprise, puisque c’est à partir d’eux qu’on a préalablement défini le “nerveux”, mais en outre, j’y reviens, ils ne sont pas si écrasants que ça, puisqu’il y a des nerveux solitaires, casaniers, radins, et dont la vie entière est vouée à une entreprise, alors que certains flegmatiques sont baladeurs et larges de paume. Si tel caractère doit être ainsi, pourquoi donc ne l’est-il pas toujours?

    Il me gêne un peu d’autre part que du fait de son émotinactivité, le nerveux devienne “le plus primaire des primaires”, donc que les propriétés fondamentales ne soient pas vraiment autonomes, et qu’elles se renforcent, au lieu de produire du neuf en se combinant : on est enclin à se demander si l’une ne découle pas de l’autre, ou carrément si le principe explicatif des deux ne serait pas ailleurs. Ce premier crayon m’instille l’impression pénible, que la suite (dont j’ai déjà fait “remonter” moult extraits pour commenter les chiffres) confirmera, d’un tour de passe-passe en extériorité, notamment avec cette puissance fondatrice accordée à l’émotion, indépendamment de ce qui la provoque. Il est évident qu’aucun homme, par ses actions et ses représentations, ne poursuit, comme le voulait Freud, l’objectif de réduire la quantité d’excitation, se donnant le cadavre pour idéal, et je reconnais pour ma part qu’une vie vierge d’émotions intenses ne me paraît pas valoir la peine d’être vécue; mais ce que déplore surtout ma vieillesse, c’est d’être devenue incapable d’en susciter chez les autres, donc d’agréables pour moi. Du temps d’aimer, on ne me fera pas croire que je regrette l’attente et les déceptions qui composaient 90% de sa trame! L’impécuniosité, la tutelle judiciaire ont suscité à Baudelaire pas mal d’excitations dont il se serait volontiers exempté, tout comme je me passe avec plaisir de tant et tant de baffes dans la gueule égrenées au fil du temps, et des tempêtes internes qu’elles ont déclenchées. Quand je me vois, interdit de suicide par une religion embrassée à mon corps défendant, descendre une à une, à l’instar de mon père, toutes les marches de la décrépitude, je ne me frotte pas précisément les mains à l’idée du désarroi, de l’épouvante et des humiliations qu’elle me procurera! Personne, “nerveux” ou pas, n’opte pour le malheur pour éviter l’ennui, même si certains, d’accord, s’embringuent plus volontiers que d’autres dans des situations où les chances de bonheur sont faibles. Il est vrai que, constatant une propension à m’inquiéter pour des riens, je me suis souvent laissé aller à soupçonner chez moi un besoin inconscient d’angoisse; mais, à moins qu’une maso-couche profonde ne s’en délecte, c’était une sottise : ce n’est pas d’angoisse que je suis avide, mais de contrôle, visant originairement à l’atténuation, voire à la suppression de l’émotion pénible, et c’est cette recherche immodérée du contrôle qui suscite aussi bien la méfiance permanente et les crises récurrentes d’anxiété (provoquées, certes, mais bien souvent si peu!) que les diverses formes de retrait préventif qui ont trouvé leur achèvement dans la solitude presque totale. 

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