Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Inventaire avant liquidation

[Le vagabondage affectif]

2 Septembre 2016 , Rédigé par Narcipat Publié dans #52 : Nerveux

    Jappement de roquet? Non, parce que ce qui suscite l’émotion, agréable et recherchée, ou déplaisante et fuie (mais, à cette fin, trop étudiée d’avance) me paraît de première importance, et que le raccrochage in extremis du narcissisme (« Le voilà donc rejeté, de la considération des choses auxquelles il n’est pas attaché par le besoin d’objectivité, vers les autres et vers soi. ») me paraît puer l’artifice à plein nez : si je suis bien le fil, c’est parce que l’instabilité affective interdit l’objectivité au nerveux qu’il est détourné des “choses” et attiré vers les êtres, dont, comme accessoirement, lui-même. Et l’importance primordiale qu’il s’accorde est ainsi accrochée au train comme un ultime wagon : « Il cherche l’admiration, les honneurs qui le mettent en évidence, affecte souvent d’être ce qu’il voudrait être, se plaît à entretenir les autres de lui-même. » Cela parce que sa variabilité affective le porterait à fuir l’objectivité! Je l’ai dit et je le répète, ça me paraît du simple baratin coupé de toute intuition. Et la précaution que prendra plus bas l’auteur (plus haut dans ma recension) d’affirmer l’universalité du souci de soi (à peu près les seules pages vraiment senties, selon moi, de tout cet exposé) me paraît contribuer à ruiner son édifice. Un tel portrait se referme sur lui-même en marge de toute réelle humanité, ne permet pas de comprendre le type qu’il prétend reconstituer, dont le puzzle pourtant existe, mais semble “remonté”, en quelque sorte, de travers. À l’évidence j’abuse constamment de l’argument « Ah non, moi je… », mais je ne le crois pas invalide, car je me reconnais trop souvent en “nerveux” pour ne pas appartenir à un groupe qui aurait à peu près les mêmes contours, mais dont les traits distinctifs s’agenceraient tout différemment.

    Une phase constructrice qui consiste à retrouver des traits dont on a déjà constaté la présence lors de l’étape statistique me paraît sujette à tous les mirages du verbalisme, et il me semble (ayant déjà largement puisé dans cette “reconstruction” pour éviter les redites) en avoir donné quelques exemples. Je risque suréminemment de tomber dans ce travers, moi dont l’introspection n’a même pas de statistiques auxquelles se référer? Je ne crois pas; car je vis les caractéristiques dont je parle, et le lien que j’établis entre elles me les éclaire, ce qui ne peut être le cas du caractérologue touchant tous les types qu’il décrit, lui qui, à l’en croire, devrait ne relever que d’un seul d’entre eux. Il se peut qu’outre le fichu tropisme qui me porte à l’effet et à la rhétorique en l’absence même de tout témoin, et qui opère une percée à la moindre distraction, je n’échappe pas à la complaisance, ou à une complaisance inversée, ce sera au lecteur d’en juger quand il descendra des nues, mais du moins, quand je lâche une assertion bizarre, est-ce en moi que je l’ai lue.

    L’ambition de Le Senne m’est étrangère : je ne cherche qu’à me comprendre moi-même, pour me dépasser (et encore, de plus en plus mollement, l’âge me flinguant les neurones, déroutant mon attention vers des bobos, et le désir de me connaître, subordonné à celui de me faire valoir, étant fortement érodé par l’insuccès) puis, dans un second temps, à proposer aux autres une sorte de miroir comparatif. La subjectivité peut être un handicap, il est hors de doute que j’en suis affecté, mais je prétends lutter contre, infichu de dire, d’ailleurs, avec précision par quel moyen : un combiné d’intuition et de distanciation dont je crains qu’il n’échappe sans appel au dicible, tout comme mes raisons de hausser les épaules devant des phrases comme “l’honnêteté est dans les actes ce que la véracité est dans les paroles” : s’il est des gens qui se satisfont d’équations aussi raides et vaseuses à la fois, je ne suis pas de leur race d’esprits.

    Du reste, il est clair que je n’ai jamais donné sa chance à cette classification : depuis la première ligne, mon “ressenti” n’a cessé de m’insurger contre elle, contestant jusqu’à la notion d’émotivité. Non seulement ce système ne mène à rien, mais il n’explique rien : il se contente de ranger les symptômes sans trop s’interroger sur leur réalité : la “malhonnêteté”, le “défaut d’objectivité” ne sont point des faits, mais des jugements portés sur eux, avec tous les risques d’artefact qu’ils comportent. Quant aux “énigmes” qui m’avaient titillé, ne sont-elles pas toutes simples à résoudre, si l’on suppose qu’outre les questions sur les “propriétés fondamentales” on en pose nombre d’autres, et qu’après s’être étonné de voir certaines réponses, voire certains traits nullement prévus, s’agréger à tel ou tel “type de caractère”, on essaie de les intégrer comme on peut, avec force erreurs de fait et niaiseries d’interprétation découlant de l’erreur de base? Il n’empêche que la concordance est assez troublante pour me donner l’impression que c’est de moi qu’on parle là, entre bien d’autres. Je ne vais pas recopier l’intégralité de cette longue synthèse, comme je l’ai fait dans mon blog; mais il me paraît intéressant de relever au passage quelques-uns des regroupements partiels attribués à la combinaison de deux propriétés fondamentales.

    Le vagabondage affectif semble procéder tout naturellement de l’association É P, et notre auteur le tient pour une “résultante caractéristique du caractère donné” : « Par le vagabondage affectif, le nerveux réalise le complexe du Juif errant. Verlaine, nerveux large, appelait Rimbaud, nerveux étroit, “l’homme aux semelles de vent” : il voulait signifier par là la disposition invariable de Rimbaud à la fugue, son impuissance à se fixer en aucun lieu. [Cet “impuissance” érigeant se fixer en norme ou en devoir.] Peut-on limiter le vagabondage à cette manifestation visible? Ce serait refuser de pénétrer dans l’esprit d’où elle est issue. Le vagabondage du corps ne peut être que la manifestation du vagabondage de l’âme [Nullement : on peut être obligé de bouger, pour raison économique ou autre.] et c’est l’ensemble des sentiments, des goûts, des affections d’un homme qui est emporté par le besoin de changement quand celui-ci est, de par la constitution nerveuse, la disposition maîtresse de son esprit. Le nerveux vagabonde d’un lieu à l’autre parce qu’il vagabonde d’une sensation, d’un sentiment, d’un goût, d’une amitié, d’un amour aux autres. » Je ne dis pas que ce soit faux; mais d’abord que cette extension analogique n’est pas établie, et ensuite qu’on occulte encore et toujours ce paramètre : la part tenue par autrui et surtout son regard dans le goût de la vadrouille. L’attrait du neuf joue, c’est sûr; mais si j’en juge par moi, on change surtout de crémerie parce qu’en un lieu donné on s’est mis à dos le cheptel humain, ou qu’on a simplement épuisé avec lui ses réserves de séduction, et qu’on veut recommencer à zéro avec des gens vierges, qu’on n’a pas encore indisposés ou lassés. Il est infiniment moins grave de les connaître par cœur que d’être trop connu d’eux, ou qu’ils se l’imaginent. Après vingt ou trente déménagements, je n’ai plus bougé de mon actuel gourbi pourtant médiocrement attrayant depuis presque quinze ans : pourquoi? Parce que  les rel. hum. s’y limitent à l’A.G. de copro, une fois l’an, et les problèmes de voisinage à quasi-rien, aucune liaison ne s’étant esquissée, une fois sorti du conseil syndical. Ce qu’on voudrait renouveler, bien avant les objets, c’est soi, et à défaut de soi, son public. D’autre part, l’expression vagabondage affectif ne prend pas en compte un élément qui me semble essentiel, à savoir que le changement doit parêtre ascensionnel. En un sens, il l’est toujours, tant qu’on n’a pas sombré dans le gâtisme, puisque ce qu’on a vécu subsistant à l’état d’expérience, toute nouveauté doit enrichir; n’empêche que, matériellement ou par le spectacle qu’on donne, rien n’est plus pénible pour certains que l’impression de rétrograder vers une étape antérieure, de supporter une baisse de salaire, un boulot moins captivant, ou de vivre avec un veau, quand on a partagé la couche d’une nénette sublime, bref de ne pas pouvoir se représenter hui ou demain comme en progrès. Rien ne m’endeuille l’âme comme de revenir à une étape dépassée, comme d’être nommé, par exemple (c’est arrivé) dans un patelin distant d’à peine trente bornes d’un où j’avais déjà officié. Ailleurs et demain exercent une indéniable attirance tant qu’ils ne se sont pas métamorphosés en pitoyables hic et nunc. Mais c’est que l’inconnu qu’on y loge est présumé meilleur que le présent et le passé. Sans ce paramètre, le changement ne me séduit guère, et si une carrière de Don Juan avait été dans mes cordes, je n’aurais su la concevoir qu’au pourchas de l’Unique. Comment la suivante me séduirait-elle, si je ne parviens pas à la trouver, en quelque manière, mieux que celle qui précède? Ce principe vaut éminemment pour les ouvrages de l’esprit, et fait une tragédie de la dégradation des facultés, ou d’avoir vidé son sac. S’il existe vraiment des gens capables de jouir de leur reste, ou nous ne sommes pas faits du même bois, ou la vie a encore beaucoup à m’apprendre. « Son bonheur s’exprime par la devise “Carpe diem”. Ce qu’il veut c’est un présent intense et au mieux ravissant; quand il l’obtient il n’a pas besoin d’autre chose. » Désolé, il me semble pourtant être, de nature, aussi primaire qu’on peut l’être; mais je ne puis perdre le souvenir du passé ni le souci du spectacle que je donne au point de trouver intense un présent qui le serait moins que certain laps du passé.

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article