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Inventaire avant liquidation

[Constat d’échec attendu]

10 Septembre 2016 , Rédigé par Narcipat Publié dans #52 : Nerveux

    Et en voilà assez, en voilà trop : la dérive quantitative de la fin surtout se ressent de la copie intégrale qu’elle recycle. Mais toute cette tartine est évidemment mal conçue : il aurait fallu, pour se donner les moyens de bien faire, et sans garantie d’y parvenir, commencer par adhérer, ou feindre d’adhérer, au système de Le Senne, au lieu de balancer mes objections de but en blanc, et de laisser affleurer à chaque pas des explications différentes. Bah, c’est fait, et ne mérite pas d’être, une fois de plus, refondu. D’ailleurs, je ne suis pas si réfractaire aux propriétés innées que je le souhaiterais : même si l’objet des émotions me semble devoir prévaloir, et de beaucoup, dans la description d’une personnalité, sur leur intensité, cette dernière fait tout de même tourner la machine, et pourrait être responsable en elle-même du drame que s’est mitonné mon je en devenir, sur la base d’un “rejet”, d’un “délaissement” auquel sont confrontés tous les mômes, et dont ils se remettent fort bien; certes, j’ai la ressource du souvenir inconscient de mon horrible naissance pour expliquer (vaguement) une sensibilité immodérée qui n’aurait trouvé ensuite aucun exutoire objectal, ou de décevants, et se serait repliée sur le soi et/ou la haine : je ne suis pas obligé d’avaliser le botteur intra-utérin décrit par ma mère; quoi qu’il en soit, qu’importe? Non seulement cette intensité, étouffée le plus souvent, considérablement réduite par la raréfaction des agressions extérieures et une certaine discipline adoucie par l’habitude, permet une lecture des faits, mais elle peut les avoir précédés et, sinon créés de toutes pièces, si fortement accentués qu’ils n’auraient pas été perçus sans elle. 

    Même si mon temps de réaction s’allonge avec l’âge et la solitude (quelle nostalgie, au souvenir de ces parties de ping-pong contre trente élèves, dont dix éveillés!), si la tête de linotte s’embarrasse de prétentions à une pensée plus ruminante sans doute que systématique, et si le défaut de rechange bloquait jadis des années la guérison de mes amours, la primarité, elle aussi, semble bien relever du factuel : un élan m’emporte, résistible mais pressant, et se dissipe aussi vite qu’il est venu… Le vagabondage est réduit, il est vrai, à sa plus immédiate expression, puisque je ne bouge pas du nid, n’ai plus personne de qui m’éprendre, et rame depuis cinq ans vers le même port. Mais les “coups de cœur” n’en subsistent pas moins, surgissant du bleu et donnant licence à des soliloques enflammés, qui rivalisent entre eux d’extravagance, qu’ils récrivent tel événement du passé ou se greffent sur les rares bagatelles fournies par le présent : hier, le besoin m’emporte de quêter des photos de classe sur Trombi.com, pour revoir le minois de Claire; je rédige douze lignes d’annonce… et finis par m’inscrire sous un pseudo, effrayé par le ridicule; une heure plus tard, je respire d’avoir fait la part de ce feu de paille, car le pseudo refuse de s'effacer, et mon vrai nom aurait fait de même. Ce matin, c’est la consultation des horaires de trains qu’on m’a facturée, sans prévenir, cinq euros pour trois minutes : à peu de chose près la durée de l’effervescence de la veille, elle gratuite, mais je m’avise tout à coup qu’une si courte durée convient on ne peut mieux à pareille bêtise, simple preuve supplémentaire d’émotivité… Je m’apprêtais à citer la rapide éclipse de Dieu (alors que cette fois il y va du tout) à l’appui de ma versatilité, mais ces crises de l’athéisme ne sont-elles pas des plus communes, et n’est-ce pas l’ordinaire de les enterrer ainsi? Quant à oublier, à peine le cul levé de ma chaise, ce que je partais faire, ce serait plutôt à mettre au compte de la sénilité. Il est ma foi possible qu’avec le temps j’aie fini par modifier mon “retentissement” sur des points mineurs, mais l’inaptitude à la méditation, voire à la simple relaxation, elle, perdure. Cela dit, est-ce que la discontinuité, la primauté du présent, n’ont pas, comme le griffonnage compulsif, largement pour secret la peur de se voir en face, ou, si l’on poursuit une entreprise jusqu’au bout, d’y échouer? La succession des emballements fugaces n’est-elle pas simplement un bruit que fait la psychè pour se masquer son vide?

    Simple question. Puis-je au moins refuser catégoriquement qu’il soit assigné à chaque homme un degré congénital d’activité? Certes, je me sens foncièrement flemmard “de nature”, et mes huit, ou dix, ou douze heures de “travail” quotidiennes ont tout d’une réaction volontaire ou surmoïque contre un tuf de paresse. En scribouillant, j’ai l’impression de revendiquer une sorte de droit de vivre, et de m’occuper à tout prix, dans le but énoncé trois lignes plus haut, de ne pas voir en face le néant des sensations, des sentiments, de l’intelligence, de la créativité, l’absence de consciences contenantes et réfléchissantes, sans lesquelles je me barre en sucette : bref, le néant d’un soi sans noyau, et délaissé de tous. Même l’inactivité de loisir par excellence, la lecture de vautrement, semble désertée par le désir quand je n’ai pas de tâche à fuir, tâche elle-même subordonnée au devoir d’être par le percipi, et réduite à un fantôme, quand je ne fais, comme ces temps-ci, que traduire, copier, gloser et rapetasser, au surplus en accordant à mon œil, qui me cuit, d’assommantes plages de repos qui ne décrochent pas une idée, et que je changerais volontiers contre des conversations avec ma voisine! Bien sûr, il est problématique de porter toute fainéantise au compte de l’inhibition, imputable elle-même au défaut d’estime-de-soi, ou plutôt à l’hiatus entre ce qu’on ambitionnerait, et ce qu’on craint, de parêtre : l’autosatisfaction replète, peut-on imaginer, à moins de motivation altruiste, n’aurait que faire d’agir, n’ayant rien à prouver, ni à se prouver. Mais je présume que nous sommes des flopées à œuvrer sans douleur quand portés par le désir ou l’illusion de plaire, de toucher, d’être utiles, en dernière analyse d’être, et à y perdre tout goût quand s’estompe la confiance en soi et en autrui. Alors, actifs ou inactifs? Est-ce que ça signifie quelque chose? L’inertie n’est-elle pas notre fond originel à tous? Et s’il y a des fœtus remuants, peut-on sans rire les qualifier d'actifs

    Qu’elles me paraissent plus ou moins réelles, je n’accepte pas de faire de ces trois propriétés fondamentales les critères basiques d’une différenciation individuelle, à moins qu’en fin de compte le caractère ne constitue qu’un élément très mineur de la personnalité, infiniment moins important que le déchirement entre le besoin et la peur d’être qui a gouverné ma vie et a fini par l’enterrer. Ajouter comme accessoirement une propriété supplémentaire – égocentrisme/allocentrisme, par exemple, ou simplement estime de soi (car plus elle est chancelante, plus on fait appel au verdict d’autrui pour la restaurer, ou s’en protège, pour ne pas la ruiner complètement), ne suffirait pas à me satisfaire, d’autant qu’il serait soutenable que ce doute, ses souffrances et (quand il fait trêve) les joies corrélées, ne font rage que chez les émotifs-inactifs. Et cependant, comment ne pas reconnaître, si l’on purge ce portrait du nerveux de sa morale racornie, qu’il chausse à merveille celui que j’aurais pu être, voire , si je ne m’étais pas systématiquement ingénié à prendre le contre-pied de mes cartes? Vivacité des sentiments, besoin d’émotions, vagabondage affectif, impulsivité, mensonge, immoralité, insurrection, vanité, dyscolisme, goût de l’horrible, du défendu et du négatif… Concepts mous, superficiels, traits niaisement expliqués à mon gré, mais je parviendrais, je crois, à rassembler toute la bande, même ce défaut d’objectivité bâti selon moi de bric et de broc, et que pourtant je vois sans cesse à l’œuvre dans mes jugements intuitifs, pour la plupart démentis par les faits, lesquels m’opposent (quand je parviens à en prendre connaissance) trop souvent la grisaille d’un moindre-sens. Les discordances éclatantes relèvent d’impossibilités physiques, d’inhibitions (le dérèglement sexuel, ne m’aurait-il pas enchanté de pouvoir m’y livrer?), plus souvent peut-être d’un raidissement dans le déni-de-soi : cet érémitisme dont je ne suis pas fier, en percevant bien la trame de fuite et d’autoprotection, et que j’ai peut-être choisi pour éviter de subir le délaissement, mais où je me targue pourtant d’avoir trouvé un certaine paix, laquelle témoignerait à la fois d’une autosuffisance rare et de l’inutilité de tous ces autres qui ne veulent pas de moi, cet érémitisme qui répugne au nerveux, étais-je fait pour lui, ou bien plutôt, vu mon don de la vive repartie, pour “briller dans les salons”, où je n’ai, de ma vie, mis les pieds? Ai-je connu, ces treize ans, plus grand bonheur que de me bourrer la gueule avec trois has been plutôt ternes, ou de discutailler avec mon petit frangin sur 700 km de route et cinq jours de corvée-parents? À défaut de salons, j’ai joui, comme prof, d’un certain succès, disons, sans présumer de mon utilité, n’étant pas certain d’avoir enseigné quoi que ce soit à qui que ce soit : déplacer mon effort vers des écrits qui n’ont jamais eu l’heur d’intéresser personne, et que je ne lirais sans doute pas moi-même si je ne les avais perpétrés, écrits de longue haleine, au surplus, alors que j’ai le souffle court… Soit, soit. Mais à supposer que je me sois évertué à faire le contraire, ou peu s’en faut, de ce pour quoi j’étais né, le défaut d’objectivité suffit-il à rendre compte d’un pareil comportement? M’être fixé des buts qui excluaient presque toutes relations avec mes semblables, et probablement impliquaient l’échec, résulte d’un dérangement qu’on ne peut déduire des P. F., ni de leurs associations les plus ingénieuses ou les plus tiraillées, ni même des réactions du moi contre une nature jugée misérable ou perverse. D’ailleurs, dès qu’on relie un trait à l’autre, qu’on subordonne la focalisation sur soi à la recherche d’émotions, par exemple, ou qu’on me peint le goût du négatif comme destiné à combattre l’inactivité, je tire l’échelle : la prétendue objectivité devient du bavardage vide, et je me crois en droit d’en appeler à l’intuition introspective pour dénoncer ce qui manque là comme dans les étiologies officielles de l’anorexie, de la dépression, de tant et tant de névroses : l’appréciation de l’impact escompté, de l’appel que constitue une conduite, donc la place centrale de ce qui est attendu d’autrui, même dans une vie comme la mienne, où autrui brille par son absence concrète. L’extrême maigreur, l’effondrement, le “pessimisme” et même la solitude sont aussi des spectacles, du moins potentiels, et je crois qu’on se condamne à ne rien comprendre à certains hommes si l’on s’obstine à étudier leurs “traits de caractère” indépendamment de l’effet recherché, même quand leur spontanéité semble entière. De toute façon, É n-A P n’introduit qu’une particularisation insuffisante : je ne tiens pas à aller jusqu’à la pathologie, mais je suis quand même plus rare qu’un huitième de la population, et tout le monde l’est, je suppose, bien qu’une de mes tares consiste justement à si mal distinguer “les gens” les uns des autres. Il y a des distances folles entre Poe et Dostoïevsky, entre Mozart et Chopin, entre tout ce beau monde et un raté comme moi, même si nous sommes tous nerveux, ce dont il n’est pas encore établi que ça forme sens, explique grand-chose, ou ait la moindre importance.

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