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Inventaire avant liquidation

[Ici Quémans, 8 : Étrange défaite]

31 Décembre 2015 , Rédigé par Narcipat Publié dans #47 : Cacatalogue VI : Polyphonies

    Non, chère Lucile, l'imposture de ce petit saligaud ne m'inspire aucune indulgence! […]

    Il y a pourtant une chose que je ne saurais vous concéder, c'est son indifférence. Cette prose de crétin plaide au contraire en faveur de mon hypothèse de travail. Mêler votre fille à ses bobards, c'était effectivement une infamie. Mais il l'aimait, et il vous aimait, là-dessus je suis de plus en plus affirmatif, non seulement parce que vous êtes toutes deux suprêmement aimables, mais parce qu'on ne joue pas une pareille comédie pour rien. Examinons un instant le projet de roman qu'il allègue : à la rigueur on pourrait admettre qu'une grande entreprise littéraire piétine les plus élémentaires délicatesses : […] Seule la qualité du produit fini, étroitement liée au fond à la noblesse du projet, pourraient excuser qu'on fasse fi de la douleur d'autrui. Or le projet est ici dérisoire, ce merdeux y tient si peu qu'il y renonce presque immédiatement, et "oublie" de désabuser ses dupes! Comme vous, je n'en crois pas un mot : cette sida-story vous était réservée, nulle autre d'ailleurs ne m'en a fait état jusqu'à présent. Et ce raffinement de fourberie confirme l'importance toute spéciale que vous accordait le pendard. Était-il l'agresseur? Oui, d'après les textes que vous me soumettez. Mais vous ne me dites pas tout, et il se pourrait qu'il ait cru se venger. En plus d'un lieu la jalousie pointe le mufle, vous convenez d'ailleurs que vous la suscitiez sciemment. Qu'est-ce donc que la "nuit du 20" et "le beau Stéphane"? Je ne saurais sans exégèse, sans lire à quoi ces courriels répondaient, prendre une vue d'ensemble du champ de bataille. Mais je subodore que je ne m'étais pas trompé, et que la brève histoire de ce couple est "atrocement classique", chacun des deux partenaires s'estimant délaissé, redoutant de ne pas mériter l'autre, et s'efforçant de capter son intérêt par les moyens les plus propres à tout briser, avec cette différence que Quémans saute à pieds joints la frontière de l'inconvenance et de la vésanie. […]

    Comment s'étonner, devant des documents pareils, que votre siège soit fait? Je ne suis pas cet homme-là, ou ce gamin, mais il a scié la branche de cette affirmation même, avant ma naissance. À présent vous supposez le mal partout, les réponses sont données, l'interprétation consiste à faire, par tous les moyens, du noir avec le candide, et je vous croirais démente, sans cette visite à la cave. Vous êtes ravissante, surtout si la photo a été "choisie quelconque", et voilà que je le dis pour "en déduire les tares du caractère"! La plus ingénue, la plus désintéressée des sincérités, vous lui prêtez un double fond : je n'ai pas "donné de l'allumeuse" à votre fille, quelle folie! à sept ans! pauvre petit chou! et ne vous ai pas invitée à "éconduire un compagnon", que je vous souhaite seulement plus recommandable que Quémans. Mais j'ai confessé un émoi qui sûrement ne m'est pas réservé, et qui pourrait bien avoir poussé ce sacripant vers la porte, s'il n'avait pas rompu tout lien avec la morale. […]

    Voyez-vous, même démoralisé par ces messages d'après-rupture, je ne parviens pas à voir en sombre le ménage à trois que nous formions avec "Cruchette", et les traits de complicité que vous évoquez, relatifs à des peccadilles puériles, ne font que me charmer. Comme vous me la faites regretter, cette petite! En faisiez-vous donc un plat, que nous eussions "bouffé toutes les glaces", même avec crise de foie à la clef? Étiez-vous une "gardienne de la loi" si sévère, ou bien plutôt amusée? Il y a en vous une aptitude spontanée au sourire que vous auriez grand tort de combattre, pour vous camper dans une posture de plaignante, alors même que votre adversaire plaide coupable, et serait trop heureux d'en passer par toutes les réparations  que vous exigeriez. Quémans était infantile, entendu. Mais laissez-vous donc aller à un peu plus de gaminerie vous-même, c'est dans ces moments d'abandon que vous séduisez le plus. Ce que vous appelez absurde duo vous amuse : eh bien, amusez-vous! À quels "rêts" vous prendrais-je? Je ne demande que des mots. Si j'écris un roman, nous l'écrivons ensemble, et mon plaisir ne le cède en rien au vôtre, même s'il a un arrière-goût amer, du fait de ma situation matérielle (on commence à en avoir marre de me nourrir ici, et je risque de me retrouver sous peu à la rue!), du sentiment d'avoir tout gâché sans raison décelable, et de celui, tout neuf ou prolongeant le passé à mon insu, qui me porte vers vous. Attention! Je ne me renie pas! Je ne vous rencontrerai jamais, les jeux sont faits et mal, la catastrophe est déjà écrite. Mais de là le déboire, justement. […] Seigneur! Comme j'aimerais remonter ces deux ans et demi, les rejouer, en ne jouant plus, vivre, tout tranquillement, avec vous, vous faire confiance, et ne pas redouter votre mépris! Rester gamin peut-être, et par là plus vrai, car tous les adultes, pour ce que j'en perçois, sont plus ou moins des imposteurs, mais justement, sans parer ma gaminerie de pièces rapportées! Enfin, je paie pour mes erreurs, c'est justice; et si j'étais seul à payer, je ne m'en affligerais pas tant. 

    

De Lucile, luciole@hotmail.com, à Alain Quémans, cranevide@yahoo. fr : Désarmement unilatéral, jeudi 21 juillet 2005, 22h13

 

    J'ai gardé d'une enfance très gaie cette “aptitude au sourire” qui, bien qu'étrillée par la vie, saisit toutes les occasions de s'épanouir. Je te parais bonnet de nuit, mais tu comprends mes raisons, et si tu me voyais lire tes lettres, tu ne penserais pas que je me “campe dans une attitude de plaignante”. Je me suis particulièrement régalée de ce que tu dis de Scrève […]

    Tu N'ETAIS PAS jaloux ! Tu as joué la jalousie comme le reste. Et je ne t'ai jamais trompé, quoique tu le méritasses. Stéphane, moins “beau” que toi, était un ex redevenu copain, avec qui il m'arrivait de prendre un verre ou de dîner, rarement, et d'ordinaire en ta compagnie. Evidemment ça t'agaçait un peu que nous partagions des souvenirs (rien de géant) qui t'échappaient : je te l'ai dit et répété, tu voulais tout contrôler, et il est exact que tu m'as cuisinée à ce sujet sans succès : le passé ne te regardait pas, le présent était innocent, et je n'étais pas mécontente de te suggérer que j'avais, moi aussi, des coulisses où tu n'étais pas admis. Tu prenais un peu trop tes aises, en disparaissant une nuit ou trois jours sans explications ! C'est ce qui s'est passé à la mi-mars, et j'ai voulu, pour une fois, me VENGER – de sorte qu'un soir, ce fameux soir du 20 (mars), tout à fait délibérément, j'ai téléphoné que j'allais au concert avec Stéphane, puis que, le dernier métro étant parti, je passerais la nuit chez lui – ce que j'ai fait, dans son lit, mais sans consommation. Non sans vague désir pourtant, et s'il m'avait fait des avances un peu plus vigoureuses… mais enfin il ne s'est rien passé, ce que tu n'as pas consenti à croire. Tu ne m'as pas fait de scène, ce n'était pas ton genre, mais tu es resté rêveur, voire boudeur, et ton nouveau départ, définitif celui-là, pourrait être lié à cette histoire inexistante. Bref, je devais, moi, tout accepter avec le sourire, mais quand je rends quelques sous de monnaie, même pour la frime, on casse ! A mon avis, tu as sauté sur la première occasion de me culpabiliser, et l'on voit très bien comment ça marche dans tes mails (les miens, désolée, je ne les ai pas gardés, je ne fais pas un tel cas de ma prose). Quand on lit sous ta plume : “je ne t'accuse de rien”, on peut être sûre que les “faits”, vrais ou faux, parlent d'eux-mêmes et se chargent du réquisitoire. Je ne t'accuse de rien, mais “c'est dommage que les femmes manquent d'allure dans l'épreuve” – manière de dire que comme connasse mesquine et querelleuse, je ne suis même pas originale ! Est-ce que me déclarer : “vous êtes belle et intelligente, or seule, donc probablement emmerdeuse”, ce n'est pas accuser ? Est-ce qu'appeler à la rescousse tous mes autres échecs, et notamment celui de mon mariage, est-ce que remarquer au passage que j'ai un psy, donc que ma caboche fait crouic, ce n'est pas, sous couleur de sollicitude, encore et toujours accuser ? Même dans ta dernière, où tu te montres implacable pour “Quémans” (c'est commode !) le traitant de “petit saligaud”, de “crétin”, d'“infâme”, de “pendard”, de “sale coco” et de “sacripant”, au point que j'ai envie de le DEFENDRE, est-ce que tu n'en profites pas pour glisser en contrebande “la suspicion la plus paranoïaque”, même si elle est “justifiée” ? Est-ce qu'en te fustigeant toi-même, tu ne cherches pas, encore et toujours, à me mettre dans mon tort ? Et par dessus tout, en essayant inlassablement de me convaincre que les crasses que tu m'as faites, et jusqu'à l'abandon de Primevère, à qui tu n'as pas envoyé une carte en deux ans (j'ai failli lui en écrire moi-même, au début) avaient l'AMOUR pour principe, amour que ton “nouveau moi” sentirait vaguement ressusciter ? Tu ne demandes que des mots, dis-tu, mais “une femme aussi sensible que moi” peut-elle se contenter de mots écrits ? Tu le sais bien, tu le sens bien, que je me prends à ce jeu de c…, et que la nostalgie que tu exhibes, c'est celle que je ressens ? Non, “Quémans” n'était pas un “crétin”, ni même un “sale coco”, mais c'était un gamin pervers, et tu l'es resté. C'est vrai que vous me faisiez rire, Primevère et toi, avec vos mines de conspirateurs et vos idioties sans gravité, et que je n'ai pas ri beaucoup depuis, ni avant. C'est vrai que je la laissais les yeux fermés sous ta surveillance, alors qu'à l'égard des brutes qui nous entourent, point n'est besoin de me prêcher la vigilance. C'est vrai que je ne t'en voulais pas tant que ça de mentir à jet continu, que j'appréciais ta fantaisie inépuisable, et que notre petit ménage était assez heureux. Maintenant que tu me l'as fait dire, tu pourrais faire un geste à ton tour, enlever ce masque ingénieux, mais pas crédible, et qui suffit seul à me révéler que tu n'as pas évolué, que tu restes et resteras un farfadet manipulateur, qui ne m'aime pas, qui n'aime et n'a jamais aimé personne. L'imposture, je pourrais te la pardonner, et même la trouver marrante, mais pas le jeu cruel de ton “hypothèse de travail”, qui suppose que nous ayons manqué tous deux, à force de nous méfier de nous-mêmes, une vraie histoire d'amour. Là tu me démolis vraiment, tous tes arguments portent, j'ai beau savoir que je ne peux, ne dois pas y croire, quelque chose en moi le désire désespérément – pour revaloriser le passé, et non embellir le présent ! J'ai dit que je ne voulais pas revivre avec toi, faire courir à Primevère l'aléa d'un troisième abandon, et je m'y tiendrai. Mais je ne suis pas fragile au point de refuser de te voir et de t'entendre. Je t'ai proposé de l'argent ; s'il t'embarrasse de l'accepter, dis-toi que tes “quatre rogatons”, que je n'ai bien sûr pas vendus, financeraient largement un Cayenne-Paris. Renseignements pris, le prix des vols n'est pas excessif sur Corsair. Je pourrais prendre moi-même le billet et te l'envoyer, mais il faudrait être sûre que tu es bien à Cayenne, et il ne te coûterait guère de mentir sur ce point-là aussi ! Ce que dicte le simple bon sens, de toute façon, c'est que l'électrochoc ne se produira pas en des lieux où tu n'as ni passé ni attaches ! et que t'acharner à végéter là-bas ne plaide pas en faveur de ta bonne foi. De là à se demander si tu n'y es pas benoîtement pacsé, et ne te sers pas de moi pour colorer tes loisirs, comme tu as pu faire avec d'autres, “de notre temps”… Hélas, tout est possible dès qu'on ment, et comme tu dis, tout est facile.

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