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Inventaire avant liquidation

[Ici Quémans, 17 : Une impasse]

9 Janvier 2016 , Rédigé par Narcipat Publié dans #47 : Cacatalogue VI : Polyphonies

Comme on pouvait s’y attendre, les positions ne manquent pas de se raidir un peu :

 

    Tu ne poussais ni les dos ni les reins, mais LES FESSES, sans objection des poussées, je m'empresse de le dire : si nous traînions, c'était un peu pour ça. Mais ou tu es de mauvaise foi, ou tu reconstruis tes souvenirs à partir d'un sens qui t'arrange. Nathalie ne nous a pas dit nettement que tu l'avais sautée, mais on vous a quand même laissés ensemble un soir qu'elle avait picolé plus que de raison, et j'aurais du mal à avaler qu'il ne se soit rien passé. Je n'ai jamais prétendu que tu lui refilais les sujets d'avance, ou lui mettais de bonnes notes pour payer ses prestations sexuelles, ta probité est hors de cause, et cette fille était brillante ; je l'ai revue récemment, chômeuse et bien éteinte, mais il y a dix ans encore, on lui prêtait tous les avenirs. Du reste je pourrais en citer d'autres, et je trouve tout naturel que, travaillant trop en effet, et t'y donnant à fond, tu n'aies “connu” que tes élèves, mettons les ANCIENNES si tu y tiens à ce point – anciennes dès les vacances, au top de la dernière sonnerie de juin ! Les deux mains, de toute façon, ça dépasse largement mon dixième, mon cinquième, et même mon tiers ! D'ailleurs, ces petits calculs sont ridicules, et je maintiens qu'il y a plus de richesse dans un seul partenaire qu'on explore dans les coins, un vrai complice avec qui l'on pratique l'échange des faiblesses et le partage des intérêts, que dans mille coups qu'on peut réciter d'avance dès le troisième. Bien entendu, les passants n'en sont pas dépouillés de tout attrait, et la monogamie ne tord pas le cou au désir de plaire, mais le plaisir des amourettes ne compense pas le chagrin qu'elles donnent à l'encorné, le danger des représailles et de la rupture, de sorte qu'on apprend à s'abstenir pour son propre bien. Evidemment, je ne te citerai pas d'exemple de ce qu'on apprend, c'est ineffable ou trop intime ; et merde, la vie n'est pas un roman d'apprentissage ! Tu es encore plus prof dans ta cabane que lorsque tu étais payé pour l'être ! Tu fais systématiquement passer la connaissance avant le bonheur, ce qui me semble le pire moyen d'apprendre du vraiment neuf : je te vois bien, au sein des délices de Capoue, grommeler : « Connu ! Connu ! » et partir en chier au pôle Nord, juste parce que c'est inédit ! Le mois dernier, l'EAI (Eat Art Institute) a donné une série de dîners au même prix : plus de 2000 inscriptions pour la reproduction d'un banquet au Rocher de Cancale vers 1830, et, pour la « gamelle du prisonnier », trois : tu n'en étais pas, par hasard, de ces trois-là ? Je t'y vois. Je suis sûre que tu bouffes des clous dans ton ermitage. Moi, j'ai assez jeûné pour apprécier sans remords le navarin d'agneau ou le homard Thermidor.

[…] Tu vas encore bondir, tant pis ; te laisser aller aux facilités de l'ironie et de la parodie, ne te gêne pas! Mais tu affaiblis ta position, car tu sais bien que je ne réclame ni recettes de cuisine ni listes de grandes marques – ni descriptions, d'ailleurs, que je saute comme tout le monde, mais seulement de l'observation, de la particularisation et de la crédibilité. En quoi tes femmes sont-elles invraisemblables ? Eh bien, d'abord, elles sont trop cohérentes, et toc ! Tu ne laisses pas sa chance au primesaut, au caprice, aux humeurs contrastées, qui sont à mon avis plus authentiques que cette soi-disant logique que les mecs tiennent à lancer comme des grappins de leurs actes à leurs opinions, quand ils ne vont pas jusqu'à conformer à toute force leurs actes à l'image toujours fausse qu'ils se font d'eux-mêmes. Jamais une femme ne s'interdira tel ou tel plaisir pour avoir décidé qu'il n'est pas son type, ou pas son genre, comme je vois des mecs le faire tous les jours. Elle se piquerait plutôt de n'avoir aucune idée préconçue d'elle-même, et de revendiquer le droit du lendemain à renier la veille ! Voire même le droit d'être dans son tort, la sensation, le désir fugitif passant avant ces notions de « justice » toujours trop raides et trop étroites. Tu parles de « sexe léger et changeant », du point de vue du sexe lourd et prévisible, mais tu ne sais pas le montrer, parce que seules les idées t'intéressent, et qu'elles ne supportent pas la contradiction interne. Il se peut que je fasse dans une heure ce que je me serai démontré nuisible à l'instant, parce que j'en aurai envie, et dans envie, il y a vie

    Le sens n'est pas l'outil, mais l'ultime produit de l'observation. Chez toi, et chez trop d'hommes, il l'entrave. Je ne suis pas surprise que ça te sécurise d'appeler un amoureux Eraste. Peu importe, bien entendu, sauf que je sais qu'il ne s'appelle pas ainsi, que c'est un type, et pas un être : je préfère, moi, qu'il se nomme Del Dongo ou Leurtillois, justement parce qu'il n'y a pas de raison, et que je peux en attendre la vie, j'y reviens toujours. A quoi sent-on qu'un passage de roman est autobiographique ? A ce qu'on ne sait pas à quoi s'en tenir, à ce que les autres, et même le narrateur, demeurent des livres fermés, ou à peine entr'ouverts, et surtout à ce que les actes ne prouvent rien, ne découlent pas d'une idée préconçue du sens – quel qu'il soit ! Celui que j'attends ne jouit d'aucun privilège, bien au contraire. J'observe avec mes préjugés, certes, mais ce qui compte à mes yeux, c'est qu'ils soient prêts à céder quand les faits les infirment.

    Et je suis heureuse, ne t'en déplaise, d'illustrer immédiatement mon propos par une rétractation au sujet d'Alain, notre cobaye coopté : oui, mon cher, vous aviez partiellement RAISON, c'est bien une liste de femmes (aux 4/7èmes, du moins, les autres restant muets) qu'il avait établie ; et j'ai été nigaude d'affirmer le contraire, car, d'évidence, il l'a dressée sur des critères plus économiques que sensuels, le toit et la pâtée constituant les buts, et le lit le moyen. J'aurais dû le deviner, car en 2002, il avait tenté le coup chez moi avant de se rabattre sur Lucile, qui est plus belle que moi, mais moins friquée. Mais laissons l'explication qui donne raison à l'erreur, et ne retenons que l'erreur ! […]

    Tu vois bien qu'on peut respecter la différence sans entériner toutes les frimes : comme d'hab', tes alternatives sont trop rigides, trop systématiques. Il y a une dialectique du savoir provisoire et de l'observation dont on ne peut se débarrasser qu'en refusant d'observer. Mais les faits sont têtus, comme on dit, et les exclure, c'est t'exclure toi-même. […]

    De veritate, je suis d'accord sur le fond : il faut s'évertuer à la chercher, tout en la sachant éternellement provisoire, donc plurielle de fait, et en se gardant d'imposer son point de vue. Mais, moins totalitaire que toi, quand je touche le mur, je ne tiens pas à m'y bosseler le crâne, et m'efforce d'accorder à la version de l'autre la même dignité qu'à la mienne. Je ne refuse aucun dialogue, mais quand il est bloqué, je ne conclus pas que le corniaud d'en face est buté. Et je ne considère pas mes goûts comme universels en droit. Ce qui me plaît peut plaire à un être humain, mais ne doit pas plaire à tous, ça m'angoisserait plutôt. Ce que je crois… vrai, c'est qu'effectivement ton besoin d'emprise est un besoin d'aval, et que l'expansion du moi trahit sa faiblesse : d'aimer ci ou ça tout seul, dans ton coin, ne te suffit pas, il faut qu'on t'approuve, même si l'on a seize ans et des opinions sans poids ni durée. Tu ne faisais pas la pute, pas sur l'essentiel, en tout cas moins que tu ne le prétends toi-même! Et tu ne cherchais pas à nous manipuler, comme l'ont répété les sots. Au contraire tu tenais à ce que notre avis fût doté d'une valeur, pour te la conférer. Moi, ça ne me fait ni chaud ni froid qu'un disque qui me charme ne récolte que des bâillements : je me suffis. Et, anorexique, je me suffisais de même, s'il faut y revenir une dernière fois : c'est TON besoin d'aval que tu projettes chez les autres.

 

    Tenir la gageure jusqu’au bout se serait avéré par trop fastidieux : il était inévitable qu’on s’achoppât à des raideurs. 

 

    1) Je poussais LES DOS, avec assez grande envie de malaxer les fesses pour m'en souvenir si ç'avait eu lieu. Et pas ombre de mobile pour mentir. Cette divergence n'est rien, si l'on veut; mais elle me cause une véritable angoisse, car je vois bien que tu es aussi de bonne foi, et qu'il ne se trouvera nulle instance pour trancher. Alors, acculés à la “vérité plurielle”? Mettons, par galanterie. N'empêche que je suis SÛR de ma version. Tu vas t'esclaffer, mais la “fragilité du témoignage” ne me concerne pas : chaque fois, je dis bien CHAQUE FOIS, que j'ai connu un débat de ce genre, et que j'étais sûr de mon fait, les documents, quand il y en avait, m'ont donné raison. Probable qu'un beau jour ma paluche se sera aventurée inconsciemment en dessous de ta ceinture, que vous en aurez piapiaté entre nénettes, en aurez fait un opéra, qui se sera substitué au réel dans ta mémoire, ployable à tous les vents de l'intérêt narcissique, comme les autres, sauf la mienne, qui n'offre aucune prise à l'autosuggestion. Ris! Ris tout ton saoul! C'est comme ça. […] Ta vérité te suffit. La mienne ne me suffit pas, il faut qu'on l'avalise, et c'est pourquoi elle colle au réel, n'y gagnant d'ailleurs que de s'éloigner du but. J'entends l'aval des autres tels qu'ils sont, c'est-à-dire incapables d'objectivité. […]

    5) D'accord, je fais trop “systématiquement passer la connaissance avant le bonheur”. Mais que cela te “semble le pire moyen d'apprendre du vraiment neuf”, alors là! Encore une “semblance” un tantinet intéressée! Voir 1. Ton navarin d'agneau, prétends-tu donc me faire croire que tu l'“approfondis” en en reprenant à tous les repas? Proclame la suprématie du bien-être, je ne te chicanerai pas. Mais de grâce, n'aie pas le culot de faire passer le savoir par la brèche. On n'apprend rien sans un minimum de volupté, c'était et reste un article de mon credo; mais on prend très communément son pied sans rien apprendre. […]

    7) Les femmes : rigolons! Volà ce que m'écrit un vieux pote, qui se pique de bien les connaître : “Tu ne m'excites pas, mais TU ES UNE FEMME, tu as un psychisme de femme”… Sur mon psychisme, il est d'ailleurs d'accord avec toi, et assez  pertinent, je trouve : confer ultra. Mais ces différences-là, tu sais, ces portraits-types à large spectre… Les Femmes… les Françaisles Juifs… Pour moi, foutaises. Sexistes, dans ce cas précis. Il y a deux féminismes, un qui répudie toute différence, l'autre qui la revendique : le second accuse le premier de se conformer au modèle masculin, et le premier, auquel tu ne t'étonneras pas de me voir adhérer, taxe le second… de décalquer l'idéologie du mâle dominateur, le constat d'une différence constituant un premier pas en direction du jugement de valeur. Naturellement tu l'inverses, en cela fort peu originale : point n'est besoin de gratter beaucoup, quand on est entre soi, pour entendre ici : “Les femmes sont connes”, et là : “Les hommes sont cons.” Moi je pense que vous avez tou(te)s raison, arf. Non que je nie ce girouettisme dont tu fais l'éloge, ni cette revendication du “droit au tort”, si commode pour dire et faire n'importe quoi; mais je les crois effet de l'irresponsabilité, donc appelés à disparaître une fois le pouvoir conquis. Il n'y a pas plus monolithique qu'une chef. Très bien, assurément, de n'être pas prisonnière d'une idée préconçue de soi; mais l'instabilité risque fort d'être une idée préconçue comme une autre, dès lors qu'elle est émise et que vous vous en targuez. Moi, tu vois, les personnes présentes étant exceptées d'office, je serais plutôt frappé par votre verbalisme et votre grégarisme et votre suivisme : “meilleures élèves” que les mecs, certes, à l'école des singes et des perroquets, qui ne se pose pas de questions et écrabouille la créativité. Fort respectueuses des personnes en place et des valeurs instituées. Mais branchées direct sur la Vie, allons donc! Le verre dépoli des mots s'interpose.

8) Le sens est l'outil de l'observation et son produit. Et tu ne dis pas autre chose, avec ta “dialectique du savoir provisoire et de l'observation”. Nous nous crêpons le chignon, et nous sommes d'accord. La difficulté est justement d'user de l'outil sans modifier, à la Procuste, ce qu'on observe, et en acceptant de le voir modifié par ce qu'on observe. Pourquoi tiens-tu donc à ce que j'exclue les faits? J'observe sans discontinuer, mais moi-même de préférence, faute de confiance en ce que montre de lui cher Autrui. Je crois le comprendre mieux en l'écoutant moins. Mais je t'écoute beaucoup plus que tu ne l'imagines.

    Je contresignerais intégralement les indices d'authenticité que tu énumères. Mais note qu'il n'est pas surhumain de les muer en recettes, de saupoudrer un bouquin d'ignorance, d'incohérence et de non-sens, pour "faire vivant", puisque c'est le sens que tu donnes au non-sens. D'autre part, s'il est mauvais, quand on se penche sur sa vie, d'y avoir mis de l'ordre par avance, c'est une facilité de se contenter du souk. Ce qui m'intéresse, moi, c'est de chercher la signification de l'apparente insignifiance, avec une lucidité – ou un masochisme – aussi intransigeant que possible. Raison pour quoi j'accueille avec ferveur les annihilateurs, pourvu qu'ils soient pénétrants. Figure-toi que c'est ma fête, ces temps-ci. J'ai en tout et pour tout DEUX correspondants (trois depuis peu : voir plus bas) et voilà qu'en termes presque identiques, comme s'ils s'étaient concertés, tous deux, dans la foulée, stigmatisent le “besoin d'aval” qui, à les lire, ferait de mézig un inapte à vivre; pour toi, “l'expansion du moi trahit sa faiblesse”, et je crois que tu cosignerais cette pelletée de terre de mon “vieux pote” J.J. : “tu ne vis pas, parce que tu ne jouis pas”. Le pire, c'est que je vous donne raison! Mais en cherchant des poux, rétorsivement, à la prétendue autosuffisance de votre jouissance, à cette plénitude que vous opposez à mon défaut d'être, légèrement aveugles que je vous trouve au souci de votre image, et à l'acharnement avec lequel vous cherchez une position dominante. Serait-ce le refus de l'analyse introspective qui vous constitue vivants?

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