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Inventaire avant liquidation

[Ici Quémans, 9 : Ingénuité ou perversité? Le coup décisif]

1 Janvier 2016 , Rédigé par Narcipat Publié dans #47 : Cacatalogue VI : Polyphonies

D'Alain Quémans, cranevide@yahoo.fr, à Lucile, luciole@hotmail. com : Ce n'est PAS un combat, vendredi 22 juillet 2005, 12h16

 

    Ma chérie, ma chérie, cette jalousie était réelle, et très probablement torturante, je n'en veux pour signe que sa résurrection à la lecture de vos lignes. Je sais que la tolérance est à la mode, mais tel que je suis hic et nunc, je n'admettrais jamais que la femme que j'aime passe la nuit dans le lit d'un autre, ex ou non-ex, et vous pouvez être sûre qu'elle trouverait le nid vide en rentrant. Peu me chaut d'être trompé par une compagne à laquelle ne me lierait que la concupiscence ou la complicité banale des stratégies de couple, mais l'amour tel que je le conçois implique la possessivité, et pour le coup j'en appelle aux gros bataillons des gens normaux. Cet "amour" qui se proposerait le bonheur de l'être chéri quand il se passe de nous, nous méprise et nous bafoue, je jurerais qu'il n'existe tout simplement pas, que le mot ne renvoie alors qu'à un sentiment tiède, émoussé par la routine. Tout de bon, trouveriez-vous normal et flatteur qu'un amant vous eût absoute de cet écart, d'autant qu'il n'a pas tenu à vous qu'il se bornât au partage des draps, et que c'est le désir qui blesse, non la consommation? Quémans vous en avait fait voir bien d'autres, rétorquez-vous, mais lui prétend vous avoir été fidèle, et vous n'apportez aucune preuve du contraire. Ses absences, ses petits voyages, pouvaient être motivés par un inavouable qui ne vous lésait en rien. Après tout, ce qu'il a confié à Scrève sur l'origine de ses moyens d'existence reste sujet à caution, et pourrait laisser dans l'ombre des revenus délictueux. Je saurais faire un vase au tour, ne vous en déplaise, mais figurez-vous que j'ai découvert hier, nécessité pressant, que je savais aussi crocheter une serrure! D'ailleurs, qu'il ne vous ait pas été aussi fidèle qu'il l'affirme n'impliquerait en rien qu'il fît bon marché de VOTRE fidélité, l'amour en va ainsi, trompe qui peut, quelle importance? mais le trompeur ne supporte pas d'être trompé. Notez bien que je ne prétends pas excuser par là l'imposture; mais le départ, lui, me paraît pleinement expliqué, et le mot de la seule énigme qui subsiste, celle du délai entre le 20 mars et le 1er avril, tient probablement dans l'orgueil de cacher sa plaie et de feindre l'indifférence. […] Nul doute : Quémans a voulu se venger, et rendre efficace sa vengeance en la coupant au mieux de l'offense, à quoi il n'est pas parvenu tout à fait, puisque le ressentiment perçait, et que moi qui ne sais rien je l'ai lu entre, et même dans, les lignes. Cette fois, il est bien inutile de chercher des "coulisses" imaginaires, car je vous accuse ouvertement, non certes d'une vilenie, mais d'une grave erreur, du reste assez commune. Que la jalousie serve aux sentiments de pierre de touche, et les ravive, soit; mais elle ne ramène pas les gens, pas même ceux chez qui le bonheur prévaut contre l'orgueil, parce qu'elle empoisonne le bonheur même. Vous avez brisé le vôtre de vos mains, permettez-moi de vous le dire, et si c'est ce que vous supportez le plus mal d'entendre, c'est que vous le savez déjà. Quémans était pourri de défauts, n'y revenons pas. Mais il vous aimait passionnément, et sans doute étiez-vous d'un abord trop revêche pour qu'il pût vous le déclarer en forme, malgré le désir que vous en aviez : vous avez pris un amoureux taiseux pour un indifférent, et en vous fondant sur cette vision erronée, vous avez commis une gaffe monumentale. "Je le ferais encore, si j'avais à le faire", oui, je reprendrais la porte, et sans vous "cuisiner" : à cet égard je suis bien resté le même, et bien que je ne désire que votre bonheur, la sincérité m'oblige à vous dire que cette "hypothèse de travail" qui vous ronge est plus solide que jamais! 

    Mais la désolation que m'inspire ce gâchis se double d'une angoisse d'origine plus scabreuse, et dont il me faut bien faire état, quoiqu'heureusement elle ait des fondations moins solides. "Je la laissais les yeux fermés sous ta surveillance"… Je ne peux pas lire cette ligne sans un frémissement, votre confiance en Quémans n'étant pas justifiée par les faits que vous rapportez, et me paraissant mal placée, d'après le témoignage de la fille dont je vous parlais, trop bête pour n'être pas fiable, et celui de mes attirances actuelles, quasiment converties en phobie, et peut-être héritées de mon ex-ego. Ce type, ne bossant pas, avait tout son temps libre, et en passait beaucoup, si j'ai bien compris, seul avec Primevère. Que vous n'ayez rien remarqué d'équivoque ne suffit pas à me rasséréner : allez donc savoir de l'extérieur, quand un homme savonne une gamine dans son bain, où s'arrête le service, où commence le plaisir, et quand il cesse d'être innocent! S…, bien jeune elle-même à l'époque, relate que Quémans trouvait tout naturel de tomber "amoureux" de fillettes ; elle ajoute il est vrai qu'il aurait préféré mourir à les souiller, ce que je veux croire ; mais on sait bien que "souiller" n'est qu'un nom donné par les tiers, et qualifiant ce que la vie présente souvent aux intéressés sous des couleurs plus chatoyantes. Il faut être la plus égoïste des ordures pour violer une impubère, et la perpétration d'un tel crime n'entre pas dans le puzzle qui peu à peu se compose (du moins l'espéré-je, car il y aurait là une explication effarante de l'amnésie) mais j'aimerais être sûr que Quémans s'est interdit des attouchements qu'il savait désirés, que les câlins sont restés dans les bornes d'une tendresse permise ; et sûr que, chez vous, protester d'une confiance sans faille ne relève pas de la méthode Coué. Allons jusqu'au bout : cette fameuse "nuit du 20", où vous n'avez pas craint, pour satisfaire une lubie, de laisser votre enfant entre les mains d'un "gamin pervers", affirmeriez-vous sous serment qu'ils ne l'ont pas passée dans le même lit? Oh, à des mignardises sans conséquence! mais de nature peut-être à les troubler tous deux. Je ne vous le cacherai pas : il y a une scène de ce genre, dans mon stock de souvenirs, et si elle reste inattribuée, elle n'en est pas plus floue pour cela : terriblement concrète, au contraire, et saturée de volupté indicible. Or je ne vois pas de quel livre elle sortirait, et quant à un film, inutile même de se casser la tête : il n'aurait pas reçu de visa d'exploitation.

    Je vous le répète : je ne VEUX pas y croire, et le dépit amoureux me semble une explication meilleure du départ comme de la mystification puérile qui a suivi. N'empêche qu'une cause n'exclut pas l'autre, et qu'elles pourraient se renforcer ; que j'ai plutôt minimisé la perturbation provoquée l'autre jour par le visage de Primevère, et que vous vouliez croire feinte en vue de je ne sais quelle culpabilisation ; que mes regards, quand je me promène, sont attirés par les femmes-enfants et les enfançonnes pas vraiment femmes, sur lesquelles j'exerce une attirance que les plus obtus décèlent, et qui procède probablement de l'intérêt inhabituel dont elles se sentent l'objet ; et que je m'empresse de regarder ailleurs, ce qui me semble plus significatif encore. Tel est l'état de la question. Scrève, à qui j'expose mes doutes en gros, s'empresse de me répondre que rien n'est plus naturel, que tous les hommes en sont là, et que lui-même… suivent deux pages tassées sur ce sujet, le seul qui l'inspire. Sans doute n'aviez-vous pas tort, après tout, de le trouver louche ; mais je m'étonne que votre suspicion m'épargne – ou me l'explique trop bien. Non qu'il y ait du danger effectif, du moins dans les rues ; mais dans l'intimité d'un foyer, soumis à une pression quotidienne, serais-je capable de respecter des règles dont les gosses se fichent pas mal, et qui ne prennent leur sens que de la comédie sociale et du regard d'autrui?

    Ce n'est pas pour cela que je préfère me priver d'un revoir, puisque vous ne me proposez pas la cohabitation ; ni pour tenir une promesse toute fraîche, puisque vous m'en déliez ; mais pour éviter de souffrir et de faire souffrir. Je m'aperçois que je tiens moins à mon passé qu'à la paix et à l'innocuité, même bâties sur l'oubli. Nous nous sommes assez déchirés l'un l'autre pour être prudents. […]

    Je me relis, et hésite à appuyer sur send, car il crève les yeux que vous vous sentirez agressée par ce courriel, et qu'il apportera plus d'eau que tous les précédents au moulin de ce qu'il faut bien appeler votre paranoïa. Du moins constaterez-vous que lorsque j'accuse, c'est sans targe ; mais j'aimerais tant que vous vous persuadiez que mon but n'est pas une culpabilisation stérile ; que, pour vous avoir menti autrefois, je me sens tenu plus qu'un autre à vous dire toute la vérité, non celle qui "démolit", mais celle qui libère : si vous voyez des accusations partout, c'est que vous êtes minée par la culpabilité. On ne peut ni s'extasier de vos lettres et de votre visage, ni remarquer au passage que vous avez un psy, ni vous plaindre ni vous aimer sans que vous cherchiez, et trouviez, naturellement, le ver dans le fruit, parce que vous l'attendez, parce qu'il est en vous. Ne pourrions-nous parvenir à nous parler l'un à l'autre comme nous nous parlerions à nous-mêmes, sans nous préoccuper de savoir lequel prend le pas, en examinant seulement la validité et l'utilité du propos? Il ne saurait être question entre nous d'équilibre des torts, puisque Quémans, ses courriels en font foi, avait passé les bornes de la bienséance et de la raison ; mais remarquez bien que pas un instant je n'ai révoqué en doute les informations que vous me donnez sur lui, j'ai tout misé sur leur véracité, alors qu'après tout, simple hypothèse d'école, vous pourriez inventer ses mensonges, et même supposer ses courriers ; c'est votre interprétation seule que je conteste, non pour prendre barre, mais pour y voir clair. Vous me reprochez de le maltraiter à l'excès (dans l'espoir retors de vous voir prendre sa défense!!!) ; mais pardonnez-moi, depuis que je vous lis, qu'est-ce qu'il ramasse! et moi du même coup, puisque vous restez convaincue que je joue la comédie, que je me souviens de tout, et ne fais qu'un avec lui. Si vous corbeillez vos lettres, moi je les conserve, ne serait-ce que pour leur valeur intrinsèque, et les tiens à votre disposition si vous désirez les relire. Or vous ne fournissez qu'une version, et la jeune écervelée S… a gardé un souvenir émerveillé d'une idylle inexplicable et probablement unilatérale : jamais je n'ai songé à vous jeter son point de vue dans les jambes! Et face à tel déferlement de blâme, accueilli avec gratitude, le reproche que je vous fais pèse bien peu, de vous peindre systématiquement le rose en noir, et d'avoir commis une fatale erreur de tactique ou de stratégie. Je ne vous demande pas de dire amen, mais de ne pas me prêter d'avance les pires intentions, et de discuter ad rem en laissant de côté l'instruction d'un procès, et si possible, toute notion de faute. Du reste, quand je m'interroge, dans l'épouvante, sur d'éventuelles tendances pédophiles, convenez que l'accusé principal, c'est moi-même, et que je serais bien le dernier à pouvoir vous faire un crime d'y avoir été aveugle.

    Croyez que le soussigné malade est sensible au ridicule, dans sa situation, d'ambitionner un rôle thérapeutique. Mais qui peut se vanter d'être bien portant, et surtout de se connaître? Comme aurait dit Tchou, "Qui cède le haut du pavé s'élargit le chemin", et je vous l'ai cédé – définitivement. Mais il aurait pu ajouter : "Si l'eau fraîche étanche ta soif, qu'importe qu'elle vienne d'une aiguière d'or ou d'un vase de terre?" Méprisez le vase, mais ne vous refusez pas d'y boire!

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