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Inventaire avant liquidation

[To die or not to die]

19 Août 2015 , Rédigé par Narcipat Publié dans #44 : Parcours de santé

    Il aurait fallu être maboul pour se figurer la suite comme ascensionnelle, mais enfin j’y voyais encore assez pour lire, écrire et cogiter, même si le produit était dépitant; la brusque tombée d’un définitif rideau de ténèbres était très improbable; la douleur, ridicule au regard d’une simple rage de dents; bref, j’avais descendu une marche, mais je pouvais en attendre quelques autres encore pour plier bagage. Ce qui m’irritait le plus, sans doute, et y persiste, c’est de dépendre d’un mal capricieux et prévisible seulement en partie : l’œil me pétait par temps clair, c’était noté, je regrettais le soleil, et surtout les aubes, mais je m’étais fait à fermer les persiennes dès que la couverture nuageuse se fissurait, et j’avais renoncé à des sorties d’agrément qui ne m’en procuraient plus; au lever, j’allumais d’abord une veilleuse, puis une lampe un peu plus forte, etc, mais le paysage ne se laisse pas résumer en termes si simples, et avec le même comportement, je pouvais passer 24 heures sur matelas de nuages ou sur planche à clous, lire les Baskerville corps douze ou pas les quatorze, et le plus exaspérant, c’était cette incapacité à prévoir de quoi serait faite l’heure, voire la minute à venir : ce n’est pas un homme, une femme, une caste, une institution, cette fois, qui me mettait le pied sur la tête, mais mon corps qui jouait les tyrans fantasques : cette sujétion-là, je la supportais plus patiemment, mais à elle on ne peut claquer la porte au nez.

    La prolixité de mon journal et de mon blog d’octobre-novembre, et l’écho qu’on y oit de lectures abondantes, pourrait jeter l’ombre d’un doute sur mes raisons d’en finir : j’en suis à me demander si la fraction de mes jours dilapidée à brasser du vent noir justifiait bien une telle désespérance : non seulement cette dégradation se ramenait à une question d’emploi du temps, mais il se peut que seules quelques heures quotidiennes (comme c’est actuellement le cas) échappassent à mon contrôle. Au surplus j’étais bien conscient de fausser les données : comme mon journal le dit et répète, tourner bêtement la molette d’un archaïque et minuscule radio-réveil dans l’obscurité ne rendait pas justice à l’outil, lequel, une fois maîtrisé (car j’étais tombé parfois sur des chaînes confidentielles et des émissions étonnantes) pouvait me dispenser autant de plaisir et plus de savoir, un plaisir différent et un savoir plus utile, que la lecture de vautrement : par une espèce de veulerie de malade, voire d’agonisant, j’avais repris le “journal littéraire” de Léautaud, pour comble aux années quarante, qui, jamais revues ni corrigées, s’enlisent dans le radotage et l’hypocondrie : tas pour tas de fumier, j’admettais fort bien qu’avec un tuner correct, en m’enquérant des programmes, etc, j’avais chance de trouver plus de réponses et de questions nouvelles qu’en pelletant dans ce fatras septuagénaire – qui avait néanmoins la vertu de me rendre sinon le goût d’écrire, du moins une relative autostima, ne fût-ce que de me trouver meilleur qu’un vieillard bouché à l’émeri et confit en une admiration de soi dont il n’était même pas conscient : pour cause de décès imminent, j’avais interrompu le Catalogue raisonné, (le ca n’était pas encore redoublé) mais non sans l’avoir vu virer à une autosatisfaction dont il ne s’est guère départi depuis : La mort est mon berger confirmait l’impression donnée par Du plomb plein les urnes : un petit polar puéril, soit, un “club des cinq sauce mystique” un peu trop dur à lire pour le peu de moelle qu’il recelait, mais tout de même pas mal bâti et torché. Il me semblait n’avoir que décliné depuis, mais en étais-je bien sûr? Ça mériterait examen, si je ne me tuais pas.

    Mentionnons enfin pour mémoire, au registre raisons de vivre, que je ne suis pas aveugle aux contradictions et à l’insanité d’un mode d’existence qu’il me semble souvent subir, après l’avoir plus ou moins choisi. À part une consœur ni trop horrible ni trop cacographe, avec culture et idéal communs, échange de lectures et de corrections, une bobonne au foyer se révélerait sans doute rapidement cauchemardesque (et réciproquement!). Il n’en tombe pas moins sous le sens qu’un minimum de relhum aurait pu colmater à merveille les trous de mon planning… ainsi que d’autres béances moins avouables, car “Robinson urbain”, c’est tout de même un peu vite claironné, et, en dépit de mon entraînement, un mois sans exister pour personne, sans un courrier, sans un bonjour, demeure plutôt pénible – sans compter qu’une cervelle se désagrège, quand elle ne se frotte pas activement à d’autres. Mais qu’y faire? J’ai le sentiment de plus en plus net ou de déranger (version flatteuse) ou d’être un objet de rebut, en tout cas qu’on ne veut pas de moi. Même si je me piquais de “faire un effort”, je ne saurais en quel sens, et je crois qu’il ne me vaudrait que des baffes.

    Ce n’était pas grand-chose, d’amputer ma journée de quelques heures, de renoncer à me balader au soleil, et même à ouvrir mes volets, encore qu’on l’ait saumâtre d’avoir jeté son dévolu sur une crèche de plain-pied avec le ciel, et de n’en point profiter. Mais ce rétrécissement-là laissait présager pire, et venait en couronner quelques autres : l’andropause prématurée qu’avait provoquée ce médoc pour la prostate, dont je pouvais me passer, peut-être, mais au prix du billard, ou du moins de ne pas m’éloigner des vécés; les acouphènes de plus en plus assourdissants; les capacités masticatoires, comme j’ai dit, fortement entamées, et menacées dans leur dernier carré; la “mise à pied”, en mars, lorsque la MAIF m’avait volé ma bagnole : j’avais de quoi m’en offrir une autre, certes, mais pas le cœur d’affronter avec du coûteux l’éventualité très plausible de déprédations immédiates et d’un incendie dans la quinzaine qui suivrait l’achat; ajoutons la chasse d’eau détraquée, la chaîne stéréo naze, la douche qui a cessé de gougoutter, l’ordi qui fait des bruits horribles, et dont je ne saurai pas transférer les trésors sur l’à-venir, le frigo qui passe sans préavis du Pôle Nord à la débâcle (les œufs du dégel ne sont pas un régal, les pommes non plus), la machine à laver dont il faut tourner le bouton à la main – ces deux derniers bien difficiles à remplacer avec un monte-charge HS depuis deux ou trois ans. Je me fais marrer moi-même, croyez-le, avec mon accumulation hétéroclite : nul doute que si je m’étais senti tant soit peu titillé par l’inspiration, elle aurait balayé ce bric-à-brac. Mais claquer tout de suite n’était pas de nature à me donner des idées.

    Enfin, ça, si, ç’aurait pu. Ça l’a fait, ce me semble, quelques hivers. où l’instinct de survie devait à tout prix trouver un mobile pour passer le cap des frimas. Avais-je épuisé mon sac à piètres malices? Le problème, rappelons-le, ne se posait pas ainsi, l’épuisement de la créa n’y jouait qu’un rôle d’appoint. Quant à ce fichu instinct de survie, peut-être se serait-il trouvé réduit à peu, si j’avais “serré les dents sous les dents du cancer”; reste que j’aimerais bien savoir de quoi il pouvait être pétri, dès lors que la vie n’avait plus rien à m’apporter, et venait de faire un pas si décisif dans le sens du délabrement : on a beau n’avoir pas bougé depuis douze ans, c’est une sale date, que tout voyage vous soit désormais pénible. Qu’est-ce qui me retenait de ce côté de la surface? « Il faut laisser apparte, et C.D., et bouquins »? En lâcher dix sur treize mille, d’accord, ça m’aurait agacé l’avarice; mais tous, et moi du même coup, pour être bu par un trou noir où je n’aurais pas la possibilité de les regretter? Aucun sens. Et de n’avoir pas donné ma mesure? De n’avoir pas trouvé la clef du coffre? Pareil : pondre un chef-d’œuvre in extremis ne ferait pas le tibia plus beau à mes ossements, et en cela je suis plus conséquent qu’un Léautaud qui ressasse à longueur de journal que le souci de la postérité est duperie, et n’en fait pas moins sa grande affaire de la publication (posthume) dudit journal, du sort de ses chien-chats-guenon, du coin de cimetière où reposera sa dépouille, et sous quelle forme! Mais laissons ce corniaud : s’il est utile à lire, c’est qu’il aide à mesurer de quel aveuglement peut s’accompagner la conviction de lucidité, de quel grégarisme l’illusion d’indépendance. Sauf qu’il est si caricatural qu’il suffit de bien peu pour se croire sur la rive.

    Détruire mes ours avant de claquer? Absurde, pas plus les merdes que ceux que j’estime réussis. Tester? Absurde : si je laissais quelques lignes d’instructions, ce serait seulement en prévision du cas où je me raterais. Très bien. Seulement, cela même n’était-il pas comédie? Tout est vicié de percipi chez moi, et il se pourrait que ma belle logique du néant constitue le legs même que je m’imagine quelque part faire à une “postérité” réduite aux doigts d’une main mutilée; que je me fixe, quasiment, le devoir d’être plus athée que personne? Ça peut paraître étrange sous ma plume, mais je crois que ma sérénité serait moins fragile à l’article de la mort, si je laissais derrière moi quelqu’un que j’aime, et dont le bonheur m’importe : est-ce concevable d’un gars pour qui aimer ne signifie guère que chercher par qui s’aimer? Il me semble qu’oui, que la pensée d’un être qui me prolongerait, en se souvenant de moi, ne m’est pas indifférente, qu’elle résiste en quelque façon à l'évidence que ce pauvre être mourrait avec moi. Il y a quelques mois, mon banquier, après m’avoir tancé de laisser mon pognon sur des livrets improductifs, et rasé un quart d’heure avec ses placements à la noix, m’a révélé qu’à partir de 70 berges les sommes versées sur une assurance-vie devenaient lourdement imposables pour leurs bénéficiaires, et je ne sais pourquoi cette info-là a percé ma cuirasse… sans se traduire en actes, soit, parce que je ne sais qui en faire profiter; mais au premier minois qui me fait un sourire… à la première lettre qui ne soit pas exclusivement autocentrée… Et alors, Ducon? Qu’est-ce que ça change? C’est la vie, non la mort, que ça t’allégerait! Et tout ce que tu prétends faire en ce moment même, c’est accrocher une carotte aux gentillesses dont tu serais l’objet!  L’être cher, la famille, la patrie, la grande cause ne sont que des leurres pour l’individualiste, tout meurt à sa mort, et, quand on est individualiste depuis soixante berges, quand c’est devenu une seconde nature (si l’on veut bien admettre que ce ne soit pas la première et la seule) la métamorphose exigerait un miracle : la mort ne se peut regarder fixement, et si l’euthanasie (préventive) est sans doute plus supportable que la peine capitale, c’est parce qu’on choisit son heure, ne subit pas la loi d’un autre… et qu’on peut programmer l’évitement, ne fût-il que mental.

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