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Inventaire avant liquidation

[Déception inavouable]

20 Septembre 2015 , Rédigé par Narcipat Publié dans #44 : Parcours de santé

    Si c’était vraiment la démesure de l’ambition qui me séduisait… oui, mais je me fous de celle de ce garçon, que je n’ai jamais vu, et au surplus elle semble relever, comme la mienne, du pur rêve de grandeur, que les autres seraient chargés de financer : je porte en somme sur lui l’œil que mon père a porté sur moi! Un comble… D’ailleurs, que je déplore de voir Sofi résolue à ne pas se fouler ne signifie nullement, bien loin de là, que j’aie moins de respect pour une bonne institutrice, qui investirait son lot d’intelligence dans son travail, que pour un zozo dans mon genre, pénible à lui-même et inutile aux autres. Quitte à le faire sauter quand je déverserai cette portion d’Inventaire dans un nouveau blog expressément créé pour cela – mais qui ne serait pas bien difficile à trouver, pour peu qu’on en prît la peine – il faut bien que je m’avoue à moi-même que la déception que m’a procurée ma nièce est primordialement d’ordre narcissique. Je ne me soucie guère de trahir les quelques confidences qu’elle m’a faites […] [1] et qui, même si elles ne visaient pas à vérifier ma discrétion, ne m’étaient probablement pas réservées; ce qui me gêne, c’est le ridicule des vagues espoirs que j’avais placés en elle. Aucun désir physique dans l’affaire, jamais, l’andropause ayant précédé notre courte correspondance, mais, vu le défaut de concurrence, dès lors qu’une fille se spécialisait dans les lettres, comment résister au besoin d’une disciple, et au désir de lui faire faire l’économie d’errances? J’ai même consacré à cette fiction, en prenant soin d’anticiper sur l’échec, le plus clair du dernier roman que j’ai eu la constance d’achever, et dont il faudra bien faire le compte-rendu, si je trouve celle de poursuivre le cacatalogue. Mais je suis loin d’avoir vidé dans Tueur à gags [2] les fosses de l’insanité et du ridicule, en imaginant la déconvenue d’une fille de seize ans, devant le raté auquel son enfance avait donné une dimension quasi-divine : en réalité, dans mes rêves les plus déments, je n’étais pas loin d’imaginer ma nièce, comme l’ex-élève Sophie-Charlotte des premières pages de l’Inventaire, écrivant une thèse… sur son oncle, sujet pour lequel elle disposerait de nombreux documents inédits, et ne serait pas gênée par la bibliographie antérieure! Bon, bon, Mesdames et Messieurs du jury, nous ne sommes pas tout à fait fou, il ne s’agit là que d’une de ces pensées qui, comme un pinson des arbres, prennent peur et s’envolent, à peine leur trille poussé. Matière à livre plus qu’espérance authentique, qu’on peut coucher sur le billard sans anesthésie. Ce qui en revanche souffrirait mal d’être mis en ligne [3], c’est, lui ayant envoyé pour l’anniversaire de ses quinze ans, deux chansons composées sinon à son intention, du moins en pensant à elle, N’attends pas et Résipiscence, toutes deux… mais, plus que passables à la relecture!, et n’ayant reçu en retour que ce “j’ai adoré” si facile à traduire par : “j’ai rien lu”, d’avoir imaginé, sur une base exactement nulle, qu’elle allait interpréter l’une ou l’autre, avec quelques potes instrumentistes, et m’en envoyer l’enregistrement pour mon anniversaire, deux mois plus tard! Je savais qu’elle n’en ferait rien, mais ne parvenais à m’expliquer (et à excuser) qu’ainsi l’indigence de l’accusé de réception!

    Il faut t’y faire, pauvre imbécile : jolies ou non, les minotes sont adorables de trois à treize, par là, parce qu’il suffit de s’occuper d’elles pour les séduire, et que c’est la seule chose dont on se soucie quand on les voit deux ou trois jours par an. Bon, il me plaisait de lui apprendre des choses, mais c’était du facile, comme de grimper aux arbres ou un rudiment d’escrime, et je n’en faisais pas ma préoccupation première. De quinze à dix-huit, on déchante, et ce n’est même pas le mot, mon affliction, médiocrement déchirante, se résumant à une perte de prestige, et, peut-être surtout, à la sentir justifiée. Voilà une petite famille cultivée, spirituelle, imaginative, trop “juste” pour être indifférente à l’argent, mais du moins n’en faisant en aucune façon sa visée première, ni l’aune de la valeur personnelle et de la respectabilité, ce qui déjà, ne court pas les rues : il se serait agi de qui que ce fût d’autre, je me serais rongé à l’idée que si les gosses se levaient matin pour me dire adieu, c’était pour palper un billet. Là, ça reste juste un soupçon volatil, que j’impute à ma propre méfiance pathologique. Ce n’est pas le seul, d’ailleurs : avaient-ils reçu l’injonction d’être aimables? Celle de se taire sur certains sujets? Savaient-ils quel épisode avait précédé ma nécrose? Ont-ils visité un de mes blogs? Si oui, oui, oui et oui, ils se sont montrés merveilleusement discrets, au point que l’hypothèse la plus probable me paraît la spontanéité, même si je ne peux pas espérer qu’ils me balancent en face tout ce qu’ils disent de moi entre eux. Nous avons passé deux jours qui n’eurent rien d’exceptionnel dans l’absolu, mais l’étaient pour un ermite, jusqu’aux baignades dans l’étang du coin, alors que j’aperçois la mer de ma fenêtre, et n’y ai pas trempé l’orteil deux fois en treize ans. Mention spéciale au “jeu du dictionnaire”, auquel nous consacrâmes deux soirées. En voici les règles, pour qui les ignorerait : munissez-vous de deux A4, une en hauteur, marquée (au recto) à votre nom, vierge au verso; l’autre en largeur, divisée en autant de colonnes que de participants, plus une pour le dico, un Larousse, un Robert, n’importe, qui tournera. Le meneur de jeu provisoire y choisit un mot, dont tous les joueurs doivent vraiment ignorer la signification : mentir scierait le charme. Dans la phase imaginative, donc, chacun inscrit sur sa feuille une définition de son cru, sauf celui qui se contente de recopier celle du dico. Les feuilles sont collectées, mélangées, et lues avec la plus complète impassibilité par le MJ tournant, qui les a déchiffrées au préalable, bredouillage ou rire nuisant au rédacteur : c’est la phase analytico-intuitive, lors de laquelle chacun inscrit un numéro dans la colonne correspondant à l’auteur supposé. Guetter les réactions des gens, et pis encore, ce qu’ils écrivent, c’est tricher, et passer pour “psy” à bon compte avant même la première année de fac : pigé l’allusion? Mais cette “petite” triche depuis sa tendre enfance, le gras n’y a rien changé, et au JD, faut du vice, car qui se soucie du gagnant? Il y a là une facette qui dément furieusement l’affichage d’autosatisfaction, et dont il faudrait tenir compte si je prétendais présenter de Sofi plus que des impressions. Mais revenons au jeu pour le score : chaque fois que vous avez reconnu quelqu’un, mettez-vous un point; et deux quand on vous a pris pour le dictionnaire, prime excessive accordée à la banalité, alors que ce qui reste en tête, ce sont les fantaisies les plus inattendues : ne comptez pas sur ce canal pour accroître votre savoir.

    Il y a une quarantaine d’années que je n’avais pratiqué le JD que comme MJ fixe, avec telle ou telle classe de collège décimée, au dernier jour de juin : on se passait donc de Livre de Référence, je débitais une liste plus ou moins rodée (pétase, coprolagnie, pudibonderie, etc). Est-ce que la distance irise les définitions de mes 25 ans? Je ne saurais en citer une seule, mais me les rappelle colorées, imprévues et pourtant logiques, irrésistibles : certes personne ne me prenait pour le dictionnaire, et je perdais à tout coup, mais on se marrait bien, me semble-t-il. Ce qu’en tout cas je n’ai pas rêvé, c’est à quel point, cette fois, je me suis senti le cerveau gourd, lourd, empêché : je ne trouvais rien, que des pauvretés. Alors que nièce, neveu, beauf (ma sœur, quoiqu’en vacances, m’a semblé un peu éteinte; mais l’imagination fut-elle jamais son fort?) semblaient pétiller de trouvailles, ce qui est spécialement méritoire de la part des deux mecs qui, soit en général, soit dans le domaine précis de la création verbale, affectent une grande modestie : ce qu’inventait Sylvain de plus amusant, il l’appelait “des conneries”. Bon, tout doux! Je ne me prétends pas la cervelle comparativement nécrosée, mais il est de fait que je ne brillais par aucune supériorité créative, et suivais irrésistiblement les sentiers battus, alors que tout de même, quoa! j’ somm’ écrivain! ou me le figure…

    Bref, ces deux jours furent fort agréables à vivre, n’était le déficit d’image, partant d’estime de soi : ce n’est pas une visite de tonton talentueux, de source inépuisable d’innovations que j’ai rendue là, mais celle, terne, d’un vieil homme (ma nièce a pris de moi des photos atroces, de véritable momie à peine sortie de la tombe, qui n’ont étonné personne : c’est donc ainsi que j’apparais! Soit, j’ai renoncé à plaire, mais ne me suis pas encore résigné à dégoûter, effrayer ou faire rire au premier regard) à bout de course et du rouleau, qui avait beaucoup à apprendre et peu à enseigner : très bien, si je l’avais fait exprès! J’ai toujours trop parlé, et opprimé mon monde. Mais on est très loin d’une stratégie : je continue simplement de descendre la pente, et je persiste à penser que la dégradation physique en est moins cause que treize ans d’isolement à peu près total.

 

 

[1] Mais que je fais sauter tout de même, à tout hasard!

 

[2] rebaptisé Tuteur à gags, ou La cacophonie inachevée.

 

[3] et pourtant le souffre fort bien, ne mettant que moi sur le gril.

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