Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Inventaire avant liquidation

[Allo Maman Bobo?]

21 Août 2015 , Rédigé par Narcipat Publié dans #44 : Parcours de santé

    Je devais être dans un état audiblement lamentable le 18, puisque… Mais ici, précisons : que la plainte, et le besoin de percipi toujours frustré, soient le fond de l’affaire, cela ne fait guère de doute : mes misères oculaires, quoiqu’effectives, se seraient trouvées bien allégées par un seul être pour y compatir, et si possible les trouver plus graves que moi, histoire que je pusse en rabattre; mais voilà bien un fond auquel je me serais gardé de laisser libre essor si, primo, j’avais eu toute ma tête; et, secundo, si cette crisette n’avait coïncidé avec le changement de “live box” exigé par Orange, et que je remettais à plus tard depuis un mois, ne me fiant pas du tout à mes aptitudes techniques, et craignant comme la peste que rien ne marchât plus après ma tentative d’installation : quelle mouche piquait ces gens qui vous collent double tarif, d’imposer des dérangements à des clients que l’inertie seule leur conserve? Je ne m’étais pas flingué pour ça, mais cette angoissante corvée figurait tout de même dans la liste. C’est donc la vieille boîte que j’avais débranchée, avec le reste, pour n’être pas perturbé dans mon trépas, et elle que je remis en service, en émergeant des vapes. Mais, son imminente obsolescence étant annoncée, comment savoir si le téléphone fonctionnait encore? Je n’ai pas appelé au secours. Je le dirais, si je l’avais fait : j’ai confessé plus humiliant, et n’en ai pas fini. Mais là, non. J’étais un peu désemparé d’avoir à revivre sans qu’aucune donnée fût modifiée, mais je me sentais inattendument frais et dispos après cette cure de roupillon, et nullement désireux de claironner un flop ridicule : à 15, 20, 25, passe; mais on ne se rate pas à 65 ans; en tout cas, on s’en tait – à moins de miracle marrant, genre dauphin qui vous ramène au port sur son dos. Il n’est d’ailleurs pas insoutenable que la pire des vésanies soit, justement, l’incapacité d’appeler à l’aide. Reste que je me suis borné à composer le seul numéro que j’aie jamais eu durablement en tête, celui de mes vieux, qui n’a pas changé depuis trente ans, et, constatant que ça sonnait, à raccrocher sans laisser de message, et à n’y plus penser. Mais ma mère, elle, y pensa, un coup de fil de mézigue, événement exceptionnel, impliquant à l’ordinaire du précis; et quand elle réussit à me joindre, je lui parus d’une imprécision si singulière qu’elle sonna illico le tocsin chez ma frangine, avec qui elle est en liaison journalière. Loin de moi d’en faire une prouesse, mais notons tout de même que depuis l’enfance je tiens ma mère pour une andouille dont les opinions n’ont aucune importance, qui ne connaît pas la vie, ne comprend rien aux gens, et n’a pas une idée personnelle; qui, à la différence de mon père, n’est pas fermée au neuf, a su acquérir des rudiments de techniques, se tient au courant, mais dont la créativité se rassure dans le déjà-fait. Elle n’a pas attendu 90 et quelque pour radoter insupportablement : quand je la laisse parler, je sens ma cervelle couler comme d’un robinet, et ce qui me paraît plus patent encore que sa bêtise, c’est son narcissisme, sa profonde indifférence aux autres et incuriosité pour tout objet : je lui offre “un des dix plus beaux disques au monde” (la Sonate pour arpeggione interprétée par Rostropovitch et Britten), et, douze ans plus tard, je le repère dans ses rayons, toujours sous cellophane. Simple exemple : selon moi, elle se fout de tout, les intérêts qu’elle professe relèvent du semblant. (En somme, j’ai de qui tenir!) Or voilà que… je ne sais combien de temps a pu durer cet échange, dont j’ai tout oublié, à quel point je mâchouillais mes mots, qui sait? braillais, peut-être, sanglotais?? En tout cas, elle en a tiré des conclusions, sinon idoines, du moins perspicaces, et je jurerais que tout en choisissant ou feignant d’ignorer ce dont elle n’a pas reçu communication officielle, en se leurrant de “trou noir” et autres calembredaines, elle s’est fait une petite idée du pot-aux-roses. Très possible que cette buse-là aussi, je l’aie, au moins en partie, inventée.

    À ma frangine, en revanche, je ne cachai pas la cause de mon accès d’Alzheimer, quand elle parvint à me joindre; sans me demander mon avis, en pleine semaine ouvrée, elle n’avait songé qu’à consulter les horaires, déposer un congé-express, pour se pointer le surlendemain. 600 bornes à vol d’avion, c’est-à-dire mille par le train : tout de même pas de la tarlelette. Elle n’en a que 300 jusque chez ses parents, et celles-là, elle les parcourt, aller-retour, au moins une fois par mois, seule, les motivations restant obscures. Whatever love means, j’écarte résolument l’hypothèse qu’elle aime cette vieille carne et ce vieux salaud, qui ne peuvent que l’exaspérer à proportion du nombre et de la longueur des visites. Est-ce que que la pitié pour des êtres désarmés transcende l’exaspération? Bien voir que si mon père n’a plus de dents, il mord tant qu’il peut avec ses gencives, et les seuls qu’il puisse encore blesser sont ses rejetons, qu’il a marqués pour la vie : l’éviter relève d’une hygiène élémentaire. Alors quoi? Son fric, avec l’excuse que c’est pour les gosses? Quoique plutôt méfiant de nature, je n’arrive pas à voir ma petite sœur en captatrice de testament, et il n’est tas d’or au monde, selon moi, qui puisse payer une corvée pareille, qu’elle reconnaît elle-même rasoir et décervelante au possible. Aucune récompense posthume à attendre, ça va de soi : Geneviève est plus athée que moi; du reste, si je conserve une chambre de derrière, c’est surtout parce que je me sais coupable, okazoù. Si je faisais le bien, et n’étais pas voué à l’enfer en cas d’au-delà, je ne penserais pas une minute à Dieu. Il est vrai que ce savoir et cette culpabilité étant assez fantasmatiques, elle peut les avoir puisés aux mêmes sources que moi (sans compter celle que j’aurais pu constituer moi-même). Le rôle moteur de l’auto-dépréciation, sur fond d’exigence démesurée, paraît indiscutable, et la Voie du Caritatif, même si l’ingratitude des bénéficiaires est la règle (et le signe, répéterai-je même, de la charité réussie) présente au moins cette sécurité qui est refusée au gribuyi-do : il existe des besoins, et on les comble; une demande, même tacite, à quoi l’on répond. Alors que, bon ou mauvais, j’écris dans le vide. Ma main au feu, du reste, que mes tristes errements ont contribué à détourner ma frangine d’une “vocation” partagée, ou plutôt imitée. Je n’ai lu d’elle qu’une chansonnette qu’elle avait glissée comme par mégarde dans je ne sais plus quelle liasse de quoi, et pour laquelle j’avais proposé, sans la moindre posture de maîtrise, quelques corrections : ce que j’aimerais qu’on fît pour moi, et qu’on ne fait jamais. En réponse à quoi, la bougresse, bonasse d’apparence, mais d’un orgueil qui ne cède sans doute pas un pouce au mien, ne m’a plus montré une ligne, bien que j’aie eu, par la bande, des indices de production plus abondante, et publiée siouplaît, notamment dans le domaine policier, à laquelle semble avoir succédé, depuis le choix, in extremis, de la marmaille, la crampe totale ou l’agraphie délibérée, voire militante : les courriels de Geneviève sont rares, et quand l’un d’eux compte plus de vingt mots, ça fait date.

    Je ne prétends pas cerner ma sœur plus que quiconque, par la méthode projective, et la perspective me gêne aux entournures, de coller, dans deux ou trois mois, ce pseudo-topo dans mon blog, dont je lui ai refilé l’adresse, sur demande réitérée [1]. Je pourrai caviarder, soit, et ce garde-ment m’est nécessaire pour essayer d’y voir clair dans un phénomène inouï, qui a déjà six mois de durée. Je n’arrive pas à voir cette nana plus empathique que moi-même, parce que rien ne m’oblige à croire à l’empathie, et d’autre part parce qu’elle se goure autant que moi dans ses prévisions : je la revois m’annoncer, il y a deux ou trois ans, un cancer paternel, avec exit rapide : la sagacité faite tronche, compagne ordinaire du faux. Qu’elle ait, de par le frotti-frotta, plus d’accointance avec le réel, plus d’intelligence des choses et des gens, nul doute, mais de là à faire d’elle un oracle, il y a de la marge. Connaissance et sentiment, certes, ne vont pas nécessairement l’amble; mais, en réservant ce qui touche les gosses, chair de sa chair qui échappe à ma prise, j’oserais presque affirmer que son dévouement pour les malades, les exclus, les paumés, bien antérieur à l’engagement maternel, et jadis poussé parfois jusqu’à la quasi-démence, procède non de quelque amour objectal desdits humains, mais du bon vieux narcissisme familial, et du besoin de réhabilitation issu des traitements parentaux, sinon fraternel(s) : ah, c’est la lie de l’humanité! On verra bien, quand Je me serai occupée d’eux! Du reste, s’il y avait une lie-de-l’hum, quoi donc empêcherait que j’en sois? Cela dit, l’explication colle mal au dévouement actuel pour deux vieillards dont il n’y a rien à espérer, et à qui l’on ne pourrait faire de plus beau cadeau qu’une euthanasie-surprise. Une revanche? C’est mince. Les seuls congés qu’elle puisse s’autoriser? C’est vache… pour le quotidien. Faut-il aller chercher plus loin que l’incontestable existence d’un besoin, d’une demande, à laquelle il est difficile de résister, surtout quand, en y répondant, on s’est créé l’obligation d’y répondre encore et jusqu’au bout? Je présume plus gratifiant, même si la reconnaissance des narcisses est de mauvais aloi, d’être une fois par mois celle qui sait et qui sauve, que de gaver des gosses qu’on a surentraînés à s’estimer tout dû. Mes parents ont assez de pognon pour s’offrir des bons-soins stipendiés, et vivent dans un cocon médical : s’ils se pressent un peu, ils n’auront pas assez duré pour voir sombrer la sécu. Mais la visite mensuelle, le coup de turlu quotidien (rien que d’y penser, je couperais plutôt les fils!) font grand bien à ma mère, un bien qu’au moins elle reconnaît, même si elle le dit mal; et plus encore peut-être (la visite, s’entend) à mon père, qui se veut ours, et n’en a pas les reins. Ah ah ah! C’est de qui, que tu causes, là?

 

 

 

[1] C’est la raison majeure pour laquelle j’ai opéré depuis un transfert, de pure forme, pourrait-on dire, mais qui me dispense au moins d’avoir l’air d’attendre un accusé de réception – des critiques et des éloges. À ce jour, Inventairanthume n’a aucun lecteur, et il n’en aura peut-être jamais. La liberté… du tiroir, mais avec un très léger frisson supplémentaire quand le propos contrevient à la loi. [2]

 

[2] (avril 2017) Depuis, je n'ai pu me tenir de glisser un lien sur Narcipat, l'Inventaire n'en est guère plus lu, mais j'écris de nouveau sous surveillance, et la Vérité, est-il besoin de le dire, n'y gagne pas.

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article