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Inventaire avant liquidation

[Mon verre n'est pas grand…]

22 Juillet 2015 , Rédigé par Narcipat Publié dans #37 : Ma Vocation

     Je ne cesse d’osciller entre ce rien à dire et le personne à qui le dire qui devraient s’accorder admirablement : il suffirait, une paille! de prendre mon parti de l’inexistence. Mais le besoin d’être, donc de tant soit peu paraître à l’œil d’autrui, est invincible, puisque même l’andropause n’en a pas triomphé, et je crois significatif que les seules choses que j’aie enlevées à la galope, et menées jusqu’au tomber de rideau, sont mes trois pièces, en un mois chaque, de novembre 2008 à janvier 2009. Certes, le théâtre, en un sens, c’est facile, il a servi d’infirmerie aussi bien à Giraudoux qu’à Montherlant et à une flopée d’autres; d’autre part, je me sens à l’aise dans les dialogues, parce qu’on m’y répond, même si c’est un clone; certes, c’est une manière d’écrire autre chose sans se renouveler, rien qu’en changeant de registre; mais ces trois me seraient-elles venues si dru si je n’avais compté en douce sur Isa pour les jouer ou faire jouer, elle qui bloquait les salles pour bien pire, mais de son estoc? Depuis que ce lumignon s’est éteint, je n’ai pas eu la force d’en finir une seule, et le peu que j’ai conçu en ce genre ne tenait pas la route. Si, il y a deux ans, j’ai renoncé à la prose (à part la traduction de Little girl lost) pour, 21 semaines de suite, versifier des chansons, genre mineur (pour moi) auquel, depuis vingt ans, je n’avais que sporadiquement touché, n’est-ce pas parce que Geneviève m’avait dit, balayant implicitement tout le reste : « Tes chansons, ça ouais, c’est du sûr »? L’insulte une fois ravalée, n’avais-je pas retenu le créneau? Mais la lecture “rien à dire” s’offre encore, puisque la plupart de ces textes ne se gênent pas pour répéter, avec mètre et rimes, ce que j’ai déjà dévidé en prose, et pas qu’une fois. Puisque j’admets allègrement qu’un Eco, un Lodge, qui nous ont donné des romans plus que divertissants, survivent, sinon à leur génie, du moins à l’épuisement de leur stock; qu’un Geng se soit vidé en quatre pamphlets avant de changer de nom et, pas romancier pour un liard, de pondre merde sur merde : que ce soit irrémédiable; d’une manière générale, que les meilleurs n’aient que peu d’œuvres majeures en magasin, et, du fait de la longévité actuelle, des nécessités vivrières et d’un besoin de réassurance, que les têtes d’affiches ne soient que magnorum nominum umbræ… qu’est-ce qui m’empêche, moi?… Eh bien, d’abord, que ça manque un peu de bâton de maréchal, dans mon gourbi. En un sens, je m’étais vidé, moi aussi, avec Le cas Trou; seulement, personne n’en a voulu, et à présent j’ai honte de ce travail d’écolier. Il ne m’est pas possible de tenir pour donné le contenu d’une citerne où nul n’a bu, et dont l’eau ne m’a pas guéri. Quand j’écris, ce n’est pas pour ouvrir le robinet, mais en principe pour trouver du neuf, un neuf pertinent, et qui me délivre de cette névrose qui est peut-être mon caractère; et le fait est que mes écritures ont entretenu le mal plus qu’elles ne l’ont adouci : est-ce seulement parce qu’elles n’ont pas connu l’ombre d’un succès? Je crois que c’est l’essentiel, qu’en première et dernière analyse je n’ai rien désiré d’autre que cet aval, cette estampille “grand écrivain”, qui m’aurait apaisé, au moins pour un temps, et qu’au fond je n’avais rien d’autre à faire lire que ce désir et cette supplication, message qui ne brille ni par sa richesse ni par son originalité. J’ai un peu appris à écrire en écrivant, et mon style présente, je crois, des caractéristiques naturelles (quoique travaillées) qui le font reconnaître entre mille, mais je n’étais certes pas fait pour ça, preuve en est que le plaisir est mince et rare, et surtout, chose bien étrange, que sous le coup d’une émotion, la richesse acquise (syntaxique, lexicale, argumentaire…) se débande et laisse à nu un cri blafard, anémié, pas très différent, ce me semble, de celui que j’aurais poussé à quinze ans. Non seulement je n’ai pas joui en ce genre de dons particuliers, mais la mégalomanie (originellement défensive, du moins est-ce l’état de la question) les aurait rabougris si j’en avais eu, car rien n’assèche un homme comme de se prendre tantôt pour un dieu, tantôt pour un zéro, et, dans un cas comme dans l’autre, de se couper des échanges. Il est vrai que l’écriture, s’il est bien d’autres A.A.A., d’autres moyens qu’elle de s’efforcer d’assouvir un besoin de briller, de primer, contrebalancé par la flemme, l’inhibition, le doute de soi, la terreur du mépris et du ridicule, constituait peut-être le seul véhicule susceptible sinon de traiter le mal, du moins de traiter du mal, et ça explique cette ferveur du Cas Trou, qui a surgeonné à l’occasion dans tous mes ours (puisque je n’ai pu m’y interdire de parler de moi) et qui m’irrigue la paluche en ce moment; il serait trop schématique de prétendre que chaque fois que j’ai débranché cette perf’ j’ai sauté dans le faux self et me suis emmerdé comme un rat mort; mais enfin si un détour s’est parfois révélé possible, je n’ai jamais pu m’intéresser durablement à un être, vivant ou fictif, qui ne fût pas un moi en devenir, ni à une idée, si elle ne servait pas indirectement ma marotte. À la rigueur pourrait-on dire que j’étais fait pour écrire des choses pas faites pour être lues? Si je pouvais me forger de ça une certitude! Mais je ne saurais même jurer que l’intensité du besoin ne suffise pas à donner du talent, voire du génie, et de temps en temps je me répète encore que si la prod’ n’a pas été à la hauteur de mes ambitions, c’est tout bonnement que, quoique geignant pas mal, je ne souffrais pas assez.

     Une bouffée de dédain m’était montée à la tête, il y a quelques décennies, devant le compagnon de ma cousine Joëlle, qui sagouillait boudeusement son boulot d’instit’, et s’en targuait quasi, parce qu’on avait contrarié sa vocation de footballeur. Si je me suis jamais senti, plus que le premier venu, appelé de naissance à créer, j’en ai perdu le souvenir, et jamais je ne me serais cru autorisé à bâcler un cours par les livres qu’on ne me laissait pas le loisir d’écrire, mais j’ai tout de même cultivé une certaine rancœur contre la pincée de proches et soi-disant-amis qui ne m’ont pas tendu la main; or, pourquoi l’auraient-t-ils fait, sans croire à une étoile spéciale? Je leur reprochais, au vrai, de dire du bien de mes ouvrages sans songer à se décarcasser pour leur diffusion; mais tous n’étaient-ils pas persuadés d’être capables d’autant et de mieux s’ils avaient disposé du temps nécessaire, dont ils avaient, partant, mieux à faire que de me servir? et ne leur donnais-je pas, in pettoraison? La longue-patience botte en touche, et refuse certaines évidences qui éclatent dans la prose de Proust, le vers d’Hugo, et sont absentes des miens. Ce n’est pas de “vocation” à un hobby qu’on cause ici, mais à une maîtrise, et “Que vaut-ce?” est incontournable. Tu me diras que je ne suis pas loin d’admettre qu’en dix ans à ne faire que ça, je n’ai produit que du dérisoire, et que nonobstant j’y persiste; dix ans durant lesquels on m’a presque foutu la paix – un peu trop, sans doute –, où je n’ai pas vu un médecin : que n’y logeais-je pas, quand ils s’étalaient devant moi! Il me semble à présent les avoir presque intégralement passés à remettre à plus tard, ou à rêver d’autres issues, vers l’amour ou l’utilité caritative… Est-ce que, tout ce temps, je n’aurais pas volontiers brisé l’écritoire, si seulement une fille s’était offerte, qui fût digne d’être aimée? Oh, voyez donc ça! Digne! Mossieur ne se mouche pas du pied! Bah, le plus souvent, n’importe laquelle aurait fait l’affaire, à condition de n’être ni trop pou, ni trop vieille, ni trop conne, ni trop impérieuse… Et pourtant ça me semble une blague, et que je n’aurais pas tardé à revenir à mon vomi, qui a résisté à Chantal, qui aurait ressurgi avec Hélène… ce qui ne prouve rien, sinon que je n’ai pas à me plaindre du sort, ni même de ma paresse, que j’ai eu tout loisir de faire mes preuves – “des preuves négatives”, comme nous disait en khâgne ce corniaud de prof d’anglais. Je n’étais pas fait pour écrire, mais pour avoir écrit, et plutôt pour être écrit – mais il était bien nécessaire, en un sens, que je me dédoublasse pour me charger d’un boulot que nul n’aurait accompli à ma place? Nécessaire, non : si j’avais dû m’en passer, je n’en serais pas mort, et moult indices semblent attester que j’aurais vécu plus heureux baigné de l’amour d’une femme, effectivement utile à des enfants, qui sait? professionnel respecté, peut-être, entouré d’amis, et figure bien connue du quartier? Halte-là! Si la littérature n’était qu’un pis-aller pour qui n’a rien pu obtenir de tout cela, je n’hésiterais pas à le cracher; mais avant que la marmaille ne devienne inaccessible, je l’ai tout de même refusée pour écrire, et, en dépit de mon piètre tableau de chasse, je ne le regrette pas; aucune femme n’a prévalu contre cet appel; et pour le faire court, il me semble avoir mieux obéi à la voix des profondeurs que si j’avais embrassé cette “vie ordinaire” qui chatoie de mille attraits… tant qu’on ne la subit pas. Si je me convaincs aisément d’avoir “joué au con”, en cavalant sur une fausse piste, c’est que mes livres ne m’ont pas procuré la rédemption escomptée, parce qu’il n’y avait personne à la réception, parce que moi-même, en dépit de pages çà et là bien venues (encore resté-ce à examiner), je ne puis considérer les travaux finis qu’avec dépit, et surtout que les châteaux de l’âme ne se sont pas écroulés. Mais comment me plier à l’avis de deux-pelés-trois-tondus niais, ignares et narcissiques? Comment être certain que telle calamiteuse cacographie n’est pas un chef-d’œuvre? et surtout que mon présent mieux-être (j’y reviendrai) ne constitue pas ma récompense?

     Conclusion provisoire : non que l’écriture n’était pas ma voie, mais que, dans l’écriture, je n’ai pas su trouver ma voie, ou plutôt m’y tenir; ce fatras de fictions si rarement ingénieuses m’était dicté par le besoin de plaire, de faire comme les confrères, ne fût-ce qu’à force de prudents contre-pieds, de me donner des preuves que j’étais capable d’affronter la concurrence, en chahutant modérément les conventions… en somme je ne serais moi-même que quand j’écris de moi “au ras des pâquerettes naines”, comme disait feu Giscard? C’est faire bon marché de la joie sporadique que m’ont procurée péripéties et répliques, notamment des Buû. C’est oublier que ce que j’ai découvert de plus profond sur ledit moi-même, c’est sa quasi-absence. Et c’est passer sous silence que, résumée en ces termes, “ma voie” semble être exactement celle de tous, et que la question reste posée, de savoir s’il y avait là-dedans un filon original, voire la moindre pépite que sans moi, nul n’eût remontée au jour. Une pause de Proust!

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