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Inventaire avant liquidation

[Comptes d'apothicaire : le cimetière des avortons

22 Juillet 2015 , Rédigé par Narcipat Publié dans #37 : Ma Vocation

     Il n’empêche qu’ils se situaient ailleurs, et que l’addition de Diarrhy, Narcipat, plus le billon de Bilbulle, Gazebo, Egomet, Rancœurs et quelques autres (le plus copieux, Trou dans la nuit, étant éliminé, car je ne faisais qu’y écouler mes ours antérieurs) donne un total de 2000 pages, à défalquer de la prod’ des “sept années d’abondance”, la ramenant de 1127 en moyenne à 840 environ. Le plus accablant, toutefois, n’est peut-être pas là, mais dans la comparaison des œuvres achevées : de 2002 à 2005, j’ai pris sur moi d’amener au point final Pointeur, www.rancoeurs.comHors-je, et de largement commencer Pension Queval; même au V***, la serpillière avait réussi à boucler 2034 et Pro ultima domo, longues “nouvelles” à thèse. Or, qu’ai-je donc point-finalé de septembre 2005 à août 2012, laps deux fois plus long? En fait de romans, Pension QuevalIci Quémans, mon ro-par-mails, La scribe du capitaine, et enfin Tueur à gags, qu’il faut bien de la complaisance pour considérer comme finisFaux contacts, recueil de nouvelles dont les moins piètres étaient déjà rédigées, parfois depuis Pontch’; Pour en finir avec l’amour, qui attendait son toit depuis huit ans; enfin, trois pièces de théâtre, Paroles gelées, Que vaux-je? et L’auberge rougeC’est tout, en sept ans, et ce qui me perturbe le plus, sans entrer encore dans l’examen de la qualité, c’est que tous ces trucs ne paraissent pas valoir tripette : peu s’en faut que le Pointeur de 2002, classé torche-cul avant même d’être achevé, ne dépasse de sa stature tout ce qui a suivi!

     Il n’est pas très étonnant qu’un histrion, quand personne n’attend rien de lui, et qu’il s’est résigné au tiroir, puisse encore, de justesse, écrire, mais ait le plus grand mal à finir. Car à quoi bon? Et l’abandon découle aussi de ma technique, ou plutôt de son absence : me lançant dans une histoire sans savoir où elle va me mener, et ne tolérant de dénouement qu’ascensionnel, je me trouve le plus souvent coincé faute de biscuits, et ladite “ascension” se borne pour l’ordinaire à la destruction de tout ce qui précède. La scribe du capitaine, qui ne démarrait pas mal, se clôt sur une pirouette : le “capitaine”, dont les aventures et opinions politiquement très incorrectes forment l’essentiel du roman, était un imposteur, et l’on ne sait pourquoi, ou plutôt je le sais très bien : c’est que ses souvenirs d’enfance algérienne et O.A.S., de mercenariat au Biafra et au Congo, etc, étaient écrits de chic, avec docs sous le coude, et que je ne voulais pas assumer cette revue-bidon du demi-siècle; mais cette motivation infâme ne sauve pas le bouquin pour un lecteur; Tueur à gags, dès l’apparition de Liselotte, s’enlise dans l’invraisemblance et l’incohérence, de sorte que je n’ai d’autre choix que de le saborder : la fin prend le statut de mauvais roman, commenté par le personnage que le narrateur est censé avoir dessoudé; dans la nuit des courriels d’Ici Quémans, le protagoniste se révèle n’avoir été qu’un zombie-canular, et si j’avais osé, j’aurais fait passer toutes ses correspondantes au même néantissoir. Hors-je, de même, se cassait le pif sur une série de lettres de plus en plus englobantes, et ne laissant rien debout de l’intrigue. Tout se passe comme si j’en arrivais immanquablement à ce message unique et un peu court : tout n’est que faux-semblanton ne sait jamais. Et bien sûr, me penchant sur “mon œuvre” en universitaire, je pourrais me gargariser, en dépit de sa banalité, de ce “mythe personnel”; mais ce serait supposer passée l’étape de la valorisation, et je ne parviens pas à m’en faire accroire à ce point. Halte-là, j’anticipe sur le chapitre suivant, ou le suivant encore, s’il se présente des tartines “préparatoires” (ou retardatrices) à interposer. Mais il est bien clair que l'étude d'une prétendue vocation ne peut être séparée de la question qualitative.

     Las à mourir de ces sempiternels ædificabo et destruam, écœuré de leur facilité, mais ne possédant pas en stock de quoi  décoller autrement, je vois croître et embellir une tendance à remettre la fin à plus tard, quand j’aurai “progressé”, soit du fait du temps et d’une imprégnation non contrôlée, soit suite à des lectures délibérément effectuées dans ce but : une part de mon problème, c’est que j’ai le plus grand mal à garder une idée pour plus tard, à rédiger la première partie d’une disserte, sachant que les suivantes la démoliront, et à l’évidence c’est encore là une perversion histrionique : il m’est insupportable, fût-ce pour un moment, d’imaginer l’« eh quoi, il n’a donc pas pensé que… » d’un lecteur, et sa note marginale sarcastique : insupportable, encore une fois, de paraître, si peu que ce soit, inférieur à moi-même. La manie de tout débagouler en vrac dès les premières pages a tout de même une motivation moins vile, à savoir que j’écris pour chercher, et qu’il urge de se débarrasser de l’état de la question pour se mettre au vrai travail. Quoi qu’il en soit, si je me lance dans un bouquin, par exemple, sur le bon usage de la maladie incurable et de la mort, il faut s’attendre à ce que même en tirant à la ligne j’aie dit tout ce que j’en savais dans les deux ou trois premiers chapitres, qui hélas ne se suffisent pas à eux-mêmes, parce qu’ils ouvrent des pistes – purement narratives et nécessairement descendantes, si la pensée ne se renouvelle pas : c’est ce qui m’est arrivé avec Tu meurs, “laissé de côté” en 2003 – le temps au moins de lire La mort de Jankelevitch et quelques autres, qui n’ont guère déposé de limon – et très probablement irressuscitable; ou, plus récemment, avec Transplantations, mince histoire au départ de kidnapping réussi, partant à l’aventure dans une polyphonie de moins en moins digeste… Que faire de cette gamine adorable, que le ravisseur a gardée, et qu’on ne connaîtra jamais que du point de vue de ceux qui la côtoient? Est-ce parce que Coralie commençait à me raser que l’ampoule s’alluma de la retrouver, mais muette, et de s’efforcer de l’en guérir par la psychanalyse? Bien entendu, la cure serait suggérée sujette à caution, mais pour lui donner quelque vraisemblance, au moins fallait-il me rencarder sur la substitution du jeu au discours, me taper Klein et Winnicott… lectures systématiques et utilitaires que j’aurais bien dû m’attendre à voir s’ensabler. Bilan : Transplantations reste en panne depuis l’hiver de 2007, et le restera jusqu’au jugement dernier : on peut ramener des couleurs sur les joues d’une autobio, la vie étant toujours à portée; mais d’une fiction, j’en doute : il est déjà bien risqué de la délaisser une quinzaine, même Stephen King, qui ne souffre pas précisément de la crampe, est de cet avis.

     Kafka, oui, Kafka. D’abord, je ne suis pas de ses admirateurs éperdus, ensuite il faudrait qu’on eût en commun autre chose que l’inachèvement! Tant qu’on y est, pourquoi pas se targuer d’être chauve comme Flaubert, adipeux comme Balzac ou minuscule comme Saint-Simon? L’inachèvement semble attester que je n’ai aucune confiance en ce que je fais, l’ennui c’est qu’en cela j’ai très probablement raison, et que je ne peux tout de même pas inscrire des fœtus au catalogue de ma progéniture. Depuis sept ans (et demi), les exigences quantitatives du déconno sont largement remplies; mais ça tient fortement du leurre : qu’est-ce que je trouve au coffre des achevésTueur à gags 930, Scribe 690,Quémans 465, théâtre 800, la fin de Queval 450, la fin de Pour en finir 490, la moitié des Faux contacts 400, soit, au plus, en comptant l’appoint de nouvelles isolées, 4500000 caracs, autrement dit 2000 pages au plus, 285 par “an faste”, qui à dire vrai me suffiraient amplement s’il y avait là-dedans la moindre chose dont je fusse fier, mais tuss! plus tard! Restons chiantifique. J’ai assez dit d’ailleurs que cette objectivation froide me fait jouir… faute de mieux. Blogs plus œuvres terminées nous donnent donc une moyenne approximative annuelle de 285 x 2 = 570, c’est-à-dire un déficit de 560 sur les 1130 inscrits au déconno. Ce n’est pas une révélation, loin s’en faut, mais la moitié des scribouillages que j’inscris au tableau de mes sept vaches grasses sont des “travaux en cours”, et pour la plupart des chantiers abandonnés depuis si longtemps, depuis si longtemps ensevelis sous la flemme, l’oubli et la peur, que l’espoir d’en tirer autre chose qu’un portefeuille d’“écrits pré-posthumes”, comme Musil, paraît chimérique. Depuis 2005, 9945000 caracs (qu’est-ce que je m’amuse!) à peu près, soit 4420 pages, ont été couchées parmi les ronces, au “cimetière des avortons”, appellation pessimiste à l’excès, puisqu’il faut en défalquer les 2685000 du présent Inventaire, auquel je m’accroche tout de même, m’efforçant d’y croire, et les 691000 de trado d’Hightower, que je viens de terminer, et m’apprête à mettre en ligne = 3376000, 1500 pages. Restent 2920, réparties en une cinquantaine d’items, qui comprennent certes des projets “sérieux” et embourbés, auxquels je pourrais revenir, comme les romans Transplantations (495000), évoqué plus haut, Narcipat (658000, oui, le même titre), L’étron (145000), la “pièce de théâtre” Gutstorming (399000), le pastiche d’Ann Rule Dog-lover (209000), mais aussi de patents doubles-emplois dont le plus éhonté est le Dépôt de bilan (1338000) qui me sert actuellement de réservoir – et de bâton dans les roues; mais aussi d’incroyables cafres, comme ces dialogues avec moi-même, parmi lesquels Tahâfut-al-Tahafût forme comme un sommet de folie : 788000 caracs, 350 pages, écrites dans la fièvre, l’hiver de 2007-2008, sans regarder une fois plus loin en arrière que la portion de la veille. Il fallut bien, pourtant, et le réveil fut cuisant : à haute dose, cet esprit en chambre avait tout d’une interminable méharée.

     Là-dedans, des dizaines de débuts qui ne sont pas allés au-delà de l’intro, et de projets parfois valides, que recensait en son temps Gutstorming, puisque c’était le sujet de cette soi-disant pièce. Mais valides pour qui? Projets de quoi? Peut-on appeler projet celui d’une étude ethnographique bidon, qui se propose, sans plus, de remettre en question toutes nos évidences, et a capoté à trois bornes du départ sur la nécessité ennuyeuse d’une localisation géographique, avec faune, flore et techniques artisanales crédibles? Quoi de plus là, au fond, que le vœu pieux, à peine caractérisé, de me poster dans un nid d’aigle, pour regarder de haut les coutumes et les croyances du reste des humains, pour m’en émanciper, mais à leur intention? Quoi de plus qu’une tentative bien floue de donner forme à l’omnipotence? Cette forme-là était-elle mon truc, moi qui, arpentant leur forêt, prendrais la fuite d’aussi loin que j’apercevrais un Dayak, un Arapesh ou un Mundugumor, pour éviter non de me faire boulotter, mais la gêne de la rencontre et du dialogue à travers les barrières linguistiques? Cela dit, le fond de l’affaire est sans doute plus radical que ça : seul l’authentique m’attire, et je n’ai d’autre authentique à dégoiser que mon néant.

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