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Inventaire avant liquidation

[L'andropause médicamenteuse]

22 Juillet 2015 , Rédigé par Narcipat Publié dans #37 : Ma Vocation

     Et puis il y a une nouveauté plus récente, mais peut-être plus essentielle, qui est l’andropause. Elle menaçait depuis quelque temps, mais avec des retours en force de la branlette qui me permettaient de diagnostiquer une origine psychique, donc une dégradation nullement irréversible. Or, lorsque j’ai renoué avec avec la merdecine à l’occasion de mon prétendu cancer du côlon, j’en ai profité pour signaler au passage que ma prostate me donnait des soucis : de fait, trois mois plus tard, découvrant des chiffres de “PSA” dès lors caducs, mon toubib a bondi de son siège et tenu à pratiquer le toucher rectal que mes saignements ne lui avaient pas paru justifier. Mais dans l’intervalle, j’avais absorbé les médocs prescrits, d’autant plus assidûment que leur effet ne s’était pas fait attendre : ils avaient triomphé de l’incontinence comme de la rétention, et m’avaient restitué la théière journalière, à moi qui depuis des ans ne buvais plus que quelques cafés; mais en supprimant toute éjac, en ne laissant de l’érection que des décombres, et en limitant fortement la concupiscence elle-même, à laquelle survit encore, mais de justesse, un certain plaisir esthétique. Une balade sur Internet m’a convaincu que mon cas était très commun, certains émasculés parlent même de “rétro-éjaculation”, expression qui rendrait assez bien compte de mini-orgasmes qui ne risquent pas de mouiller les draps, et dont l’attirance est si faiblarde que je m’en offre au mieux un par quinzaine. Quand on pense que c’était mon somnifère presque obligatoire, qu’en quarante-cinq ans j’ai dû me palucher deux ou trois fois par jour en moyenne, avec des pointes pas rares à douze ou quinze (ne parlons même pas des coïts, appoint dérisoire), pour le coup, voilà un changement! Dont hélas la quête introspective ne saurait se prévaloir, mais qui pourrait à sa façon expliquer que je me trouve de l’énergie à revendre, même si la quantité totale a décliné.

     Passons rapidement sur un effet, celui-là, vraiment indésirable, un gonflement des panards tout à fait sans précédent : en trois heures à table, je me retrouvais perché sur des melons, d’ailleurs indolores; depuis ma deuxième consultation (pour renouvellement d’ordonnance) le Dr Gibaud m’a rendu mes chevilles de jeune fille, mais à condition de ne pas quitter ses “chaussettes de compression” du lever au coucher! Qui eût cru que la sécu me paierait un jour mes chaussettes? Ne cherchons plus à prévoir… ne nous mettons pas martel en tête au sujet d’une dépendance (dès que j’interromps l’Avodart, je ne peux plus pisser : à moi de peser avantages et inconvénients) bien moins astreignante, après tout, que l’obligation de bouffer ou de respirer… et revenons à mon bannissement des États et Territoires de la Virilité, que certains pourraient se peindre comme la fin de la vie, et dont j’avais lieu de me demander si elle ne sonnerait pas le glas de la littérature. Eh bien apparemment, comme dirait l’autre, ce serait plutôt le contraire : depuis que j’ai cessé de bander, je ne fais plus qu’écrire. Ce qui a pris un coup sérieux, c’est le besoin des êtres, de chair et d’os, ou simplement caractérisés : celui de rencontrer des filles, d’abord, qui avait su depuis longtemps se faire épisodique, mais m’interdisait de laisser passer un courriel sans y répondre illico; or non seulement je n’ai pas relancé Julie, qui pourrait n’avoir pas reçu mon dernier, mais, Falaq me faisant signe après deux ans de silence, qu’après tout excuse à moitié la “maladie orpheline” d’un de ses gamins, je me suis rendu compte… halte-là! Avais-je auparavant le moindre appétit d’étreinte? Est-ce que simplement les deux ans en question, dont elle ne bat guère sa coulpe, ne me confèrent pas un statut d’objet utilitaire, qu’on prend et laisse à son caprice, et d’objet, voilà le mortifiant, si rarement utile? Bon, soit, je me suis vengé de son manque d’égards; reste que ça ne m’a rien coûté, et qu’il m’aurait été, à l’inverse, pénible de me fendre de quatre lignes, même de rupture. Mais n’extrayons pas des thèses générales de deux cas dont je n’attendais pas la lune. Ce qui me frappe surtout, c’est une forte érosion de l’objectif de séduire par la prose (ou les vers!). Ça pourrait faire sourire qui en découvrirait le contenu, mais même mon dernier blog, par exemple, où j’avouais mon âge et vingt infamies repoussantes, gardait un reste d’objectif crypto-draguatoire, et même mes évals d’eBay, réduites à 80 caractères, étaient autant de caresses, quand la vendeuse s’était montrée rapide et courtoise : il n’est pas nécessairement significatif que les transaction charmante ou adorable aient disparu depuis septembre, mais le fait est que ces adjectifs ne me viennent plus, et que je les trouve rétrospectivement bien ridicules. Qu’une jolie fille couronnât du don de son corps mes prouesses introspectives et stylistiques (inutile de préciser qu’il lui en aurait fallu, de surcroît, dans le chou), je n’étais parfois pas loin de penser que je n’avais pas d’autre but, d’autre espérance, que ça m’aurait comblé. Oh, d’accord, la pénétration est facultative! Mais le désir des câlins, quelques pas en arrière, l’accompagne au caveau. Normal que ce soit une délivrance, la pulsion sexuelle s’étant avérée presque toujours inassouvissable, et ne m’ayant quasi-procuré que frustrations et mépris-de-soi; mais comment, le ressort brisé, la montre continuerait-elle de tourner? Il faut bien… – Minute, l’ami! D’abord, tu l’as bien remarqué, elle ne tourne pas tant que ça. La plupart de tes tâches sont assez mécaniques, et le frisson spécifique du neuf, de toute la journée d’hier, tu ne l’as guère éprouvé qu’en bouclant un alex inattendu. Il se peut que la Journée Parfaite, qui a d’ailleurs précédé les effets de l’Avodart, ne soit qu’une réponse de la quantité au désespoir – ou que dans le souterrain des coulisses, ces effets, tu les considères encore comme réversibles, ou qu’après tout tu n’attaches que peu d’importance à cette province perdue, qui n’était pas ta patrie, puisque le plaisir puisé par les femmes dans le coït t’a toujours paru sujet à caution… avec toi, du moins. Du reste, n’est-ce pas le fait d’un parano – ou d’un songe-creux – que de sauter sur toute coïncidence pour en faire une causalité?

     Peut-être; mais enfin, j’observe ceci, et avec une certaine objectivité : ça marche! Je dors au plus six heures par nuit; à une ou deux du mat’, debout! Chaussettes-Gibaud, café, théière, et au turf! Une certaine patience, aussi : ça coule mal aujourd’hui, pas grave, ça jaillira demain! et quoi qu’il en soit, ça vaut mieux que la rétention. Vingt sujets me sollicitent à la fois, ça ne me paralyse pas, je prends mon parti d’attaquer celui-ci, et de remettre les autres à plus tard, en griffonnant des notes qui ne se perdent pas toutes. Entre deux chansons, l’angoisse me gagne, mais modérée : à ce faible niveau d’exigence, une autre “idée” ne va pas trop tarder à survenir… Elles sont prosaïques, soit, mais après tout c’est ce qui me vient spontanément, ma manière : ne serait-il pas contre-productif de la forcer? L’Inventaire va son bonhomme de chemin; je sais qu’il va falloir en caviarder la moitié, qu’il pourrait, qu’il devrait, être meilleur, que mes lacunes sont immenses, mais je ne m’impatiente pas : on les comblera de son mieux, pelletée à pelletée, à chaque jour sa besogne. Et surtout, pour la première fois peut-être, il me semble n’attendre rien des autres, sinon qu’ils me foutent la paix, ni d’un sort favorable, à part la continuation de cet état de grâce. Personne ne me tendra la main pour m’extraire du lac de poix, mais c’est comme si la poix s’était changée en eau tiède, comme si je m’acceptais tel quel, sans savoir encore ce que ce tel quel veut dire, et ayant peut-être perdu le désir de l’apprendre, dans la mesure aussi où il a changé! Je soupçonnais mes fantasmes eschatologiques de servir d’écran à un désir de perpétuation du présent : or voici que ce désir semble se passer de fantasmes, et le présent se satisfaire de lui-même. En un mot, sans qu’aucun des symptômes (et notamment des insuffisances et inhibitions) ait été terrassé, je m’éprouve parfois guéri, non certes par l’auto-cure, mais suite à la volatilisation, ou au moins à l’estompement, d’une des données : tout se passe comme si les autres disparaissaient peu à peu, avec leur “jugement” salvateur, et cela, parano ou songe-creux, tant pis, je ne puis que le lier à l’effacement du désir sexuel. Le retrait narcissique n’aurait rien de bien neuf, il me prend par crises, et plus d’une fois s’est enlevé sur l’aile de l’enthousiasme, pour une créa en cours. Plus dure sera la chute, possible. Mais il me semble baigner dans une paix, elle, sans précédent, et si je ne me leurre pas, c’est bien que le don d’un beau corps avait toujours été perçu comme l’expression ultime du jugement de réhab’, si même les deux n’étaient pas confondus, et que le bromure du docteur m’a guéri des beaux corps de manière nettement plus efficace que la conscience, toujours menacée, d’être pour leurs détentrices un objet de rebut.

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