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Inventaire avant liquidation

[Inspiration et transpiration]

19 Juillet 2015 , Rédigé par Narcipat Publié dans #27 : Créer

    Si mes chansonnettes new style sont parfois si longues, c’est qu’elles se veulent exhaustives quant au sujet choisi, ce qui est absurde quand il s’agit du narcissisme pathologique ou de l’existence de Dieu, et que j’ai tendance à prolonger un certain état de confort, la recherche du sujet suivant étant rendue pénible par la peur de ne rien trouver, qui m’incite à me rabattre sur n’importe quoi. Un n’importe quoi que je m’autorise en attendant partie, mais qui me semble engagé dans un déclin inexorable, à mesure que se vident les citernes de l’à-dire. Simultanément, néanmoins, je me répète que lorsque j’aurai épuisé l’existant, la poésie aura sa chance. Naturellement, je ne suis pas aveugle à la différence entre une inspiration qui me visitait une fois tous les cinq ou dix ans, et une obligation de pioche quotidienne; mais j’ai peur que la nuance ne réside pas uniquement là : avant-hier, en collant un extrait d’À celle qui n’a pas de nom, je n’ai pu me tenir de corriger le quatrain qui se présentait ainsi :

    C’est pas l’usag’ qu’on les appelle

    Avant d’ brancher l’aspirateur

Ell’ me dit qu’ell’ s’en passe ainsi qu’ tout’ ses consœurs

Qu’ell’ grandissent là-bas et qu’on prend bien soin d’elles

    Cet appelle grammaticalement ou lexicalement incorrect était une vieille connaissance, mais il était passé il y a vingt ans à la faveur d’“on prend bien soin d’elles”, et de la charge émotive de cette niaiserie. Précisons qu’en composant la chanson, et notamment ce passage, j’avais trempé trois mouchoirs, ce qui n’est pas dans mes habitudes. Alors (et peut-être allons-nous retrouver enfin le point de départ de cette longue digression) voici ce qui me turlupine : c’est, dans une quête de perfection (ou, ici, de simple correction) formelle, de m’être coupé de la nappe phréatique essentielle et indicible que je partagerais avec d’éventuels lecteurs – à ceci près que moi, je ferais de moins en moins la différence, du moins en ce qui concerne mes propres écrits. Il me semble significatif qu’aucun vers de Valéry ne me touche comme « Assise la fileuse au bleu de la croisée » qu’il avait pondu dans son sommeil, mais non moins, sans doute, que je ne sois plus trop sûr de sentir le prix de cet “on prend bien soin d’elles”, emprunté directement au discours des autres, et qui m’avait paru justifier le maintien d’un pataquès à la rime. “Sans qu’on les tyrannise”, préféré à “brutalise” et “martyrise” dans le DDR, ne me choque pas, malgré la prise de position redondante qu’il comporte, mais j’ai trop souvent, et de plus en plus, le sentiment de sacrifier ce qui m’arrive des caves à des exigences, comment dire? plus sécuritaires, d’ordonnance (si j’ai choisi un genre aussi corseté, n’est-ce pas que le corset me rassure?), de concision, et de densité en trouvailles, lesquelles ne prêtent pas au doute comme cette voix de l’émotion qui m’a soufflé, en son temps, tant de formules ridicules… Ridicules pourquoi? De mes premières chansons de teen-ager, je me rappelle un bout de refrain, qui me brûle encore les joues :

   J’ai laissé ma viiiie

Sur un carton jauniii…

J’avais découvert, au milieu de photos familiales abandonnées, le visage adorable et sépia d’une arrière-grand-tante assurément morte, dont j’avais plaisir à m’imaginer amoureux à jamais, me disculpant ainsi de mon inefficience avec les vivantes… et je crois que ce qui me trouble, là-dedans, c’est de sentir que la source des idées est restée tout aussi frelatée, bien que j’espère que ça se voie moins… Car je ne suis nullement certain que les nouvelles soient pires que les anciennes, et je me sens même, la plupart du temps, Dieu merci, d’un avis diamétralement opposé… ce qui n’a guère d’importance en ces heures de relecture où jeunes comme vieilles m’apparaissent comme le même Gange d’immondices.

    Il ne s’agit pas de prétendre que j’ai gâché des dons, encore que ce ne soit pas à exclure sans examen, ni qu’il suffirait  d’attendre l’inspiration pour décrocher l’étoile : car je risquerais d’attendre longtemps. Il est vrai qu’elle est assez bonne fille pour visiter un travail commencé sans elle, et que, pour tout avouer, il est plutôt rare que j’agonise trois heures sans trouver un seul vers qui me plaise… relativement. Mais toutes ces trouvailles langagières, toutes ces formules ciselées, ces métaphores et ces paronomases, me paraissent souvent de très bas étage, plus dignes du Canard enchaîné que du Thesaurus poetarum. Et quand je recolle à une certaine simplicité, avec les refrains (mais un bon tiers de mes chansons s’en passent), alors ils sont, comment dire? trop simples pour receler une part de mystère, réduits à une formule – « La vie s’est faite bleue (fleur, mangue, mousse…) », « Les Branchouillards / De la french exception (perception, vocation, sélection…) », « Attention l’enquête avance », « J’ai peur de tout », « Si j’ fonds si j’ fonds fonds fonds » (sur l’anorexie), « Les aut’s homm’ i font rien qu’à m’ fair’ chier », « Dans ma ptit’ forteresse », « Dit’-moi dit’-moi pourquoi / Dit’-moi pourquoi on n’ veut pas d’ moi », et tous les etc – une formule que son excessive généralité ne préserve pas du prosaïsme : le diagnostic est là, Mon sabot colle au sol, j’ai la rag’ du cont’nu, et ça n’arrange rien que je m’astreigne à plancher sur une énigme délibérée, car alors il faut que je me justifie en présentant tacitement mon texte comme une fatrasie. Je ne voudrais pas avoir inventé “L’important c’est la rose”, qui ne “prend” pas,  sur moi du moins, mais quand je me remémore trois nuits de vains efforts pour monter un machin-à-frisson sur le refrain : « C’est du téflon qui fait joint », j’hésite entre éclater de rire et me mouiller le jabot. Ce n’est pas mon style, et rien, pas même l’assurance du succès, ne saurait m’y plier. Cette phrase dont j’ignore pourquoi je l’ai retenue de la bouche d’un plombier, quel sens secret, si sens y a, elle peut receler pour le moi des profondeurs, cette phrase qui n’est qu’un symptôme singulier, comment aurais-je le front de prétendre l’imposer à d’autres?

    Il semble paradoxal que tout en vivant peut-être dans un rêve, avec une perception du réel erronée de bout en bout, je reste à ce point terre-à-terre que le seul discours au fond valide à mes yeux est celui de l’info ou de l’assertion véri/falsifiable, l’art et la poésie ne se taillant qu’une place marginale ou décorative. Il se peut que ça s’explique par le besoin de m’objectiver, de me donner de l’être via le regard d’autrui (supposé banal) : manière de mettre mon vice sur le dos de la collectivité, sans doute, mais pas si spécieuse qu’elle pourrait paraître : se distancier de soi implique selon moi de raboter sinon toutes ses aspérités, du moins celles dont on renonce à chercher la signification. Je l’ai répété (et j’ai dû répéter que je le répétais, car c’est bien ce que je répète le plus), tout ce qui, de mon ego, n’est pas un tu potentiel, le bric-à-brac des goûts, des couleurs et des événements singuliers, ne m’intéresse pas. Or il y a des chances que la poésie, même celle qui me touche, gise largement dans ce bizarre de l’individuel inélucidé. Je n’ai rien vécu qui ressemble à la vie à Combray; et pourtant ses “côtés”, sa tante Léonie, ses aubépines, son exception du samedi, son bisou de maman, sont un porche ouvert sur toutes les enfances, disons à tout hasard “bourgeoises” : tout le singulier peut être transposé s’il a assez de présence, et le secret de la présence n’est autre, peut-être, qu’un repli sur soi et un moindre souci de communication. Je me crois très malin, dans Pour en finir avec mon enfance, de relativiser Claire :

Elle était pâle et blonde aux yeux bleus mais franch’ment

Ces considérations oculo-capillaires

N’entam’ que maigrement l’ mystèr’ du sentiment

L’aurais-je aimée Titin’ il s’ trouv’ qu’ell’ s’app’lait Claire

À vue d’ nez en tout cas ell’ n’avait rien d’ maman

Et j’ai sans doute raison sur le fond : peu importent les attributs de tous ces objets d’amour interchangeables. N’empêche que ce quintil laisse froid et plein de raillerie, alors que « J’aime de vos longs yeux la lumière verdâtre », même s’il n’y a pas une femme sur un million pour arborer les iris “verts de mer” de Marie Daubrun… comparaison un peu forcée, j’en conviens, mais je n’en crois pas moins fatale à l’émotion dont je parle cette propension à la généralité directe, ce besoin que j’ai d’avoir raison pour tous, de parler à la place des autres, de me justifier constamment par des ratiocinations, au lieu d’explorer mon microcosme sans scrupule.

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