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Inventaire avant liquidation

[Littérature et blogs]

22 Juillet 2015 , Rédigé par Narcipat Publié dans #37 : Ma Vocation

     Or voilà qu’on sort de ce long Sahara pour entrer dans la luxuriance chiffrière : 6926 en 2005-2006 (1123 pages), 7628 en 2006-2007 (1237), 7587 en 2007-2008 (1230), 6546 en 2008-2009 (1061), 5660 en 2009-2010 (918), 6643 en 2010-2011 (1077), 7736 en 2011-2012 (1255), et, ce 1er mars, 2012-2013 affiche 12400, soit 924 pages en 25 semaines seulement, score triché, l’Inventaire exploitant à tour de bras le cimetière des fœtus, et la traduction d’Hightower étant éhontément prise en compte, après celle d’un Chomsky facile, et de Little girl lost. En un sens, la triche explique tout, couplée avec la découverte des blogs, et le démarrage de Diarrhy, le 26 septembre 2005, puis, après divers essais avortés, de Narcipat (le 31 août 2009), lequel, abandonné depuis presque un an, continue de recevoir, le loin en loin, un anonyme qui s’accroche (142 pages lues hier), et qui, hélas, est plus probablement une vieille connaissance (ou un flic aux trousses d’un antisémite!) qu’une âme-sœur en devenir : depuis que Julie a profité d’un séjour dans son île pour se taire définitivement, ces chiffres-là constituent ma seule liaison, si l’on peut l’appeler ainsi, avec l’humanité, et peut-être ma seule raison de vivre, encore que je veuille me convaincre que j’en ai trouvé d’autres en moi, et qu’en ce moment je me foute bien de vous; mais sans y parvenir tout à fait.

     Tricherie parce que, comme j’ai dit, la part de création, dans les blogs, est assez faible : je compte non seulement les trados que j’y “publie”, mais de larges citations, et jusqu’à la copie presque intégrale de l’ouvrage de Kernberg sur le narcissisme pathologique, simplement entrelardée de commentaires : cette science sûre a infiniment plus de succès que toutes mes élucs perso : avant que les nouvelles augmentations du pétun ne le détrônent au profit de “Fumer du thé : premier bilan”, l’article qui drainait le quart ou le tiers de mes visiteurs était le test vaseux « Êtes-vous un Peter Pan? » que j’avais recopié dans le bouquin de Kiley, et pour lequel je ne cachais pas mon entier mépris. Mais c’est surtout le corps de mon texte qui est envahi de redites, de déjà-écrit, et de tartines parfois bien torchées, mais pas assez neuves pour mériter le statut d’œuvres littéraires. Je n’affecte pas de snober mes blogs, dont la prose est souvent plus travaillée que celle de mes romans, et j’ai comme un soupçon que le jour où je me déciderai à mettre cet Inventaire en vitrine, les corrections se présenteront en foule, du seul fait des regards escomptés : pas un de mes articles n’a échappé à ce traitement de dernière minute, qui après tout n’a rien d’étonnant : j’ai beau me dire que “ça suffira toujours pour un blog” et les ploucs qui l’aborderont, la mise au jour demeure l’épreuve de vérité, ou sa caricature; et d’autre part, il est plus facile de peaufiner une ou deux pages que cent ou mille. Mais, si peaufinées qu’elles fussent, l’exigence était d’un autre ordre. Allons à l’exemple, pour aérer un peu notre développement, et, histoire de ne pas se recogner tout Diarrhy en vue d’un choix, à l’article qui a reçu le plus de visiteurs (et de commentaires) :

 

« 95 fois sur cent, la femme s'emmerde en baisant

     La femme est-elle un “Sphinx sans secret”? Montherlant consacre les quatre volumes de ses Jeunes filles à tenter de nous en convaincre, mais nous serions bien niais de le croire sur parole, lui qui de toute sa vie n'a connu intimement que des garçons. L'autre sexe, et pourquoi “sexe”? l'Autre, tout court, est une énigme définitive, les sérums de vérité n'étant pas en vente libre; et d'ailleurs, que nous apprendraient-ils? quelques faits tout au plus, car rien n'est plus éloigné de notre ego que les représentations complaisantes que nous en avons.

     Pourtant, il est un domaine où l'on enregistre une forte “inégalité mystérielle”, c'est celui du zizi-panpan. Quand un mâle érige et éjacule, sa partenaire peut certes se demander s'il pense à une autre (c'est à 80% le cas, paraît-il, selon certaines enquêtes) mais elle ne peut douter de la réalité de l'excitation et du plaisir. Pauvres de nous, nous sommes loin d'être aussi avancés, et plus d'un à garder au coin du crâne la fameuse chanson de Brassens, et le soupçon de n'être confrontés, même quand ça glisse impec, qu'à une comédie faite de hâte que ça finisse, de gentillesse et de HONTE – car les mœurs sont telles qu'on rougirait de ne pas jouir, à moins qu'on ne l'impute à la maladresse masculine. Je lisais hier dans L'hippopotame de Stephen Fry (un roman à retenir! Pas stupide du tout, et divertissant au possible) : “C'est un fait avéré : peu de femmes aiment réellement la baise. C'est devenu pour elles une profession de foi que d'affirmer le contraire, mais le fait est là. Les femmes tolèrent les rapports sexuels parce que c'est le prix à payer pour garder un homme, pour avoir ce qu'elles appellent une ‘relation’ mais, sinon, elles s'en passent très bien. Elles n'éprouvent pas cette faim, cette fringale aiguë, douloureuse, qui nous vrille l'estomac et qui nous torture, nous les hommes. Ce qui est pénible, c'est que chaque fois que je dis ça, on m'accuse de misogynie. Pour un homme qui a passé sa vie à penser et à rêver aux femmes, à bondir derrière leurs jupes comme un chiot cherchant à attirer l'attention de son maître, à organiser son existence pour se trouver le plus souvent en contact avec elles, à mesurer sa qualité de vie à l'aune de ses scores de séduction auprès des nanas, à ramper pour se faire désirer d'elles, c'est franchement un peu vexant d'être accusé de ne pas aimer les femmes.” Est-ce la trado qui bloblote? On ne voit pas de contradiction entre être misogyne et ne penser qu'à baiser, ou à se faire bien voir dans ce but. Mais il est absolument vrai que la misogynie a changé du tout au tout avec l'émancipation : les “anciens”, de Juvénal à Boileau, et avant, et au-delà, tenaient la femme, à l'image de Messaline, “lassata viris necdum satiata” (“lasse des hommes [elle en a reçu toute la nuit], mais non pas rassasiée”) pour demanderesse insatiable, instigatrice hypocrite, et source de toutes les perversions : Brassens n'est d'ailleurs pas le dernier à broder sur ce thème, dans ses chansons antérieures. La misogynie moderne, elle, met l'accent sur le grégarisme, la futilité, l'incréativité, l'imitation sotte; elle répute marginales les nymphos, et ne voit partout que des frigides qui feignent d'accéder au septième ciel. Qu'en dit la Science? Le rapport Kinsey (un chef d'œuvre LITTÉRAIRE sur lequel il faudra revenir un jour) ne relève “que” 9% d'anorgasmiques; les puritains le prétendent fragilisé par la trop forte proportion de détenues interrogées : admettons (et encore!) que le chiffre des “rapports avec les animaux” (3,6%) puisse s'en trouver affecté; mais des orgasmes, je ne vois pas pourquoi. Le rapport Hite donne, lui, 12%, et surtout nie, avec bien d'autres, la spécificité d'un prétendu “orgasme vaginal” : un tiers des femmes seulement auraient “régulièrement des orgasmes grâce au coït”; à quoi le docteur Zwang réplique en gros que Shere Hite est une frigide-mal-baisée, peut-être une des rares lesbiennes “naturelles” (il y classe Simone de Beauvoir), et que les réponses obtenues sont manifestement sollicitées; seulement, comme Zwang lui-même laisse affleurer le préjugé et le parti-pris dans toutes ses “observations”, allez vous y reconnaître!

     Quant à l'expérience personnelle, surtout quand elle est mince, c'est une autre bouteille à encre : elle me ferait chiffrer à quasi 50% les anorgasmiques qui ne font même pas semblant, et je crois bien n'avoir connu, de toute ma vie, que deux filles qui aimaient vraiment ça; or, retrouvant après huit ans de silence celle que j'aurais sacrée superchampionne de plaisir, et comme par hasard la seule que j'aie aimée, j'ai eu le dépit d'entendre, ou plutôt de lire, car c'était un courriel, qu'elle ne s'était “jamais abandonnée” avec mézigue, et que notre complicité “s'arrêtait avant la fleur de châtaignier” : plaisante révélation, qu'il conviendrait de caviarder si ce blog avait, comme tant d'autres, un crypto-objectif draguatoire. Retenons-en le déboire, et plus “scientifiquement”, qu'on ne saurait s'adonner à l'observation quand on est acteur : les cinquante pour cent, c'est AVEC TOI, pauvre pomme! Mauvais coup! “Un malhabile, un maladroit”, Brassens avait prévu l'objection.

     Case départ. Impossible de croire aux forfanteries de jouissance – ni tout à fait, ma chérie, à son déni, quand on vous a fait pipi dessus à l'akmè de l'action. Mais c'est quand même drôle d'avoir un pied dans la vieillesse, et de devoir se résigner à ne jamais savoir une chose si simple. Encore n'a-t-on pas abordé les modalités! Le cunnilinctus (et pas “lingus”, ignares!)? Le coït, avec ses han! han! de bûcheron? Une seule, tenez, in caudahaha : la sodomie. Plaisir physique? Cérébro-sentimental? Pas de plaisir du tout? Infoutu de répondre. Si je me réfère à celui que me procure le passage d'un gros caca, c'est NO. Mais alors, les pédés? Et puis on m'en a dit du bien, on me l'a même réclamée, des filles fiables (je ne partageais pas leur lit) m'ont quasi juré qu'elles aimaient ça… Mais ne se seraient-elles pas senti humiliées, sinon, de se la laisser imposer? Part de l'autosuggestion?? Perpetuum mobile. »

     Sous le rapport du peaufinage, de la verve, et surtout de l’originalité, ça ne casse pas des briques, mais cet article, mieux qu’un éloge d’Eiji Yoshikawa dont je ne songerais même pas à parler dans mon opus magnum, ou, à l’autre bout, une méditation sur l’empathie que j’y ai reproduite presque texto (les blogs servant aussi, à l’occasion, de réservoir à l’Inventaire), illustre la différence de focale et d’exigence. Le mystère du plaisir féminin a été abordé ici, à plusieurs reprises, et je viens même de vérifier que j’avais tenu à replacer ce “même quand ça glisse impec” qui élude le problème, mais qui, dans ma pauvre tête, fait affranchi (une sorte de preuve, très ado, que je ne suis pas puceau), et que je vais laisser pour me f-par-m-ortifier; mais la question se présente différemment : dans Diarrhy, à cet égard plus proche d’un cours que d’une œuvre littéraire, j’avais la prétention non certes d’y répondre, mais de la poser pour tous (et quelques “fidèles” y sont allés de leur grain de sel, tantôt pour, tantôt contre), sans hésiter à mentir pour me donner de la crédibilité (les filles qui m’auraient réclamé l’enculage! la confidence d’Anne mise au pluriel!) alors qu’ici je n’affiche d’autre objectif que de cerner mon propre psychisme, et n’évoque le cas général que parce qu’il est impossible de se connaître sans se comparer. Ce n’est pas que je répudie toute prétention à l’universalité, bien au contraire je suis un peu gêné, depuis que j’ai mis ma “vocation” sur la sellette, et surtout cité des chiffres qui n’appartiennent qu’à moi, de paraître m’adonner à une sorte de “narcissisme fermé”; répétons-le encore, car c’est toujours vrai : ce qui ne concerne que moi ne m’intéresse pas – ou disons que je ne m’autorise pas à m’y intéresser. Je pense que cette apparence de la singularité peut-être percée, au moins vers le catégoriel, mais que c’est au lecteur de finir le boulot, s’il y a lieu, en se reconnaissant, même si ses chiffres sont différents, même si sa vie ne s’encombre pas d’un déconnogramme. Seulement il y a un monde, quoique presque imperceptible parfois, entre se poser une question, en s’efforçant d’explorer tous les paramètres, et la simplifier pour en faire une matière à débat : mes blogs sont parfois brillants, moins chiatiques que mes romans ou le présent autop, mais jamais exempts d’une certaine facilité, et même vulgarité, pourrait-on dire. Au reste, il faudrait les comparer les uns aux autres : Diarrhy était nettement moins ésotérique et spécialisé que Narcipat, ce qui explique sans doute que le premier ait décollé en trois semaines vers des scores que l’autre n’a pas égalés en quatre ans (les 142 visites d’hier sont retombées à 28 aujourd’hui 2 mars, au fait, snif : encore un(e) qui s’en va sans s’être expliqué(e)); mais tous ceux que j’ai lancés dans l’objectif spécifique de plaire ont fait flop. Signalons d’ailleurs, pour contrebalancer ce ronronnement vaguement autosatisfait (où l’on oit comme l’écho d’un discours de journaleux : si je fais de la merde, c’est que c’est ce qu’ils aiment… alors que ta merde, justement, “ils” ne l’aiment pas), que si j’ai relevé des divergences entre la pâture du public et ce qui me plaisait, ruées et désaffections m’ont, more often than not, paru justifiées par l’intérêt relatif du sujet : c’est bien souvent quand accouraient cent visiteurs de plus que je me serais pointé moi-même; et surtout ceci : que si j’ai abandonné Diarrhy, puis Narcipat, c’est que je n’avais plus rien à dire, du moins sans déchoir de l’intérêt que j’avais suscité (ou aurais dû susciter) précédemment. Certes, j’aurais pu me cantonner dans une spécialité pépère, faire par exemple des comptes-rendus de livres ou de procès criminels pendant un siècle. Mais trouver du piquant à épingler tous les jours, voire seulement toutes les semaines, dans une chronique, aurait passé mes forces : en vérité, dans l’un, puis dans l’autre, je me suis contenté de déverser ce que j’avais en magasin (jusqu’à un vieil article sur “Le sport, opium du peuple” dont le proviseur de Mortain avait refusé la publication 25 ans plus tôt dans le Journal du Collège!), après quoi j’ai fermé ma gueule en affectant de bouder parce que les lecteurs n’étaient pas à la hauteur. Alors, de grâce, mollo sur la verdeur excessive du raisin! Ces blogs pourraient bien être ce que j’ai perpétré de moins mauvais

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