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Inventaire avant liquidation

[Narcissisme et altruisme, 2]

2 Novembre 2017 , Rédigé par Narcipat Publié dans #61 : Narcipat?

 

    Essayons de ne pas trop battre la campagne, et confessons d’abord qu’il est bien gênant de ne pas posséder les notions de base; au surplus, si je les possédais, la théorie psychanalytique ne pourrait me servir que de modèle explicatif hypothétique : bien avant le Livre noir, toutes les réticences étaient permises. Kernberg, s’adressant à ses confrères, se réfère à une norme qui m’échappe pour une large part, à des dogmes dont je ne suis pas sectateur : le surmoi, ce n’est qu’un mot à mes yeux, et le personnaliser en Fred-Croak perché sur mon épaule, rien de plus que de la littérature. Cela posé, quand je lis que mon surmoi n’est pas intégré, ma première réaction est d’acquiescer, dans la mesure où la plupart de “ses” verdicts et exigences supposent une instance extérieure : quand, prof, je bossais dix heures par jour, ce n’était pas pour le bien de l’enfant, mais pour qu’il m’en remerciât (éventuellement par le don de son corps, quand il s’agissait de jolies filles, les seules au fond pour qui je m’éreintasse pour de vrai, les autres noyant de poisson), pour être perçu comme un pédagogue irréprochable, quoique subversif, et pour n’obéir à aucun ordre, trimant de moi-même plus que n’aurait osé exiger aucun chef. Quand, au saut du lit, je me jette dans la quête du vrai-neuf, ou le simple entassement de caracs, bien que fort pessimiste quant aux possibilités d’une publication, anthume ou posthume, le regard d’autrui ne me quitte pas [Et comment passer sous silence le biais que j’ai introduit en donnant (indirectement) l’adresse de ce blog à des gens qui “me connaissent”, et en sont probablement les seuls lecteurs réguliers? Anticiper les regards à venir gauchissait déjà ma démarche; mais depuis que je “sais” qui me voit, une censure s’est mise en place, qui ne se contente pas de caviarder le texte, mais adultère ma vérité, laquelle menace sans cesse de verser dans la provoc ou le ronronnement émollient.] – bien que je le soupçonne souvent de ne faire que dissimuler une deuxième couche de simple occupation du temps par une quête que je sais vaine, mais qui fait écran devant l’effondrement. N’empêche : « Γνῶθι σεαυτόν », « Trouve du nouveau », voire le simple « Chie ta page » s’entendent pour les autres, qui ne me demandent rien, et en tout cas pas cela. On retrouve ici cet étrange composé de dépendance et de sécession, le paradoxe d’une révolte infantile appétant à l’aval, alors qu’il aurait été apparemment plus simple de me soumettre, et de déférer aux exigences parentales élémentaires, style faire mes devoirs, ne pas étriller mes frangins, m’abstenir d’insolences et d’infractions; mais la loi était chez nous labile, changeante, narcissique de nature, et peut-être édictée pour que j’y contrevinsse, mon paternel y gagnant de se camper dans une posture de martyr incompris. Lui-même du reste étant un révolté retiré ou en sommeil, il encourageait à la révolte tout en la punissant.

    Même si l’on considère la connaissance de soi, l’écriture, et accessoirement l’enseignement, comme véhicules de supériorité, ou de simple gloire, est-il si évident que « Trouve ou crève » se borne à ma personne? Certes, je ne prétends pas mettre l’humanité à l’écritoire, bien loin de là, son rôle est de me lire, ha ha, et elle n’en aurait plus le temps. N’estimé-je pas pourtant que chercher la vérité et se dépasser soi-même constituent le devoir de chacun? N’y a-t-il pas une intention polémique dans le simple fait de flétrir l’autosatisfaction injustifiée, et de me refuser le droit à la vie si elle est inutile? N’est-ce pas une manière de le dénier aux autres? Je ne me crois aucun droit spécial (celui d’être publié, lu, écouté, n’est qu’au cas où je dirais ou écrirais quelque chose qui en vaudrait la peine, et tous jouissent du même, je ne me plains que de la discrimination avant toute épreuve) et aucun devoir spécial non plus : mais là je sacrifie peut-être à la symétrie. Du reste, cet impératif d’écrire n’est sans doute qu’une position de repli : le texte initial étant : fais-toi respecter! Ou simplement : sois quelque chose! En fait, rien en moi n’est fixé… Oh, Seigneur, je ne maîtrise pas mon sujet du tout, je vais à l’aventure! Ce n’est pas de l’association libre, mais on n’en est pas loin… et le thérapeute manque.

    Abstraction, dépersonnification. Je suis capable de comprendre que le droit de mentir, de voler, de tuer, ne peut être érigé en loi, et de m’agiter pour des causes qui transcendent mon intérêt personnel : c’est au contraire pour lui que je n’arrive pas à m’armer en guerre, à moins de le replacer dans la généralité (quitte à défendre le droit des minorités, comme quand je refuse qu’on me plante une antenne sur la tête pour rapporter du blé au reste de l’immeuble), peut-être parce qu’alors l’échec connote mon indignité, et rien que la mienne. En ce sens j’ai un surmoi parfaitement dépersonnifié, et spécialement exigeant, si l’on en juge aux tâches que je m’impose sans salaire. Mais c’est pour compter. Dans l’intimité de ma conscience, j’excepte mon cas, et ne vois aucun inconvénient à profiter de la confiance d’un hôte pour le voler, par exemple, ou à calomnier rien que pour amuser un auditoire. La question étant de savoir 1) si tout le monde en fait autant [ce serait plutôt “pense”, les occasions de “faire” étant déjà devenues rares il y a sept ans]; 2) au cas où la plupart des autres s’en abstiendraient, si c’est par peur de se faire prendre, ou refus d’une réflexion décapante, ou parce qu’ils auraient intégré un surmoi normal, avec idéal du moi modéré, qui autorise les satisfactions partielles. Mais ne touillé-je pas là deux questions bien distinctes? L’égocentrisme histrionique, d’une part, de mes vraies exigences surmoïques, et d’autre part, leur démesure? Non c’est lié, merde! Si j’exige de moi la lune (tantôt le meilleur des romans, tantôt une synthèse exhaustive de mon cas, et si possible les deux en un) c’est pour être reconnu comme un olibrius hors-pair, et aussi, considérant l’échec comme inévitable, quoi que j’entreprenne, pour lui donner d’avance l’excuse d’un objectif irréaliste : je me casse le pif, soit, mais là où personne n’aurait réussi. Comme l’écrit fort bien un de mes ex-condisciples (lequel a réussi, lui, à publier, peut-être après tout parce qu’il avait du talent) : « Pour que manquer ne fût pas de mon fait, je ne décochais que sur des cibles hors d’atteinte. » Reste qu’il y a là une singularisation éthique : je veux faire du bien à autrui, mais pour qu’il me le rende en être, en distinction, donc lui faire du bien par ma spécificité : les services que tout le monde peut rendre m’apparaissent comme des corvées. Enseigner les mêmes fondamentaux que le voisin, je n’ai jamais pu m’y plier.

    Suis-je ou ai-je une personnalité anti-sociale? Probablement. Je n’éprouve aucune torture, lorsque je me livre à un examen de conscience, à prendre sur moi les torts, à reconnaître que j’ai été agressif ou “méchant”. L’insupportable, c’est d’avoir été con, victime, négligeable, ou de l’avoir paru : d’être un type qui ne compte pas. Différence évidente entre la morale officielle et la vraie. Je suis incapable de violer, et peut-être de tuer (à moins que l’arme ne s’en charge à ma place). Mais à supposer que je l’eusse fait, je doute que ça me fît un bouton. Alors qu’une avanie me rend malade. Quant cette pétasse obtuse a débarqué de la Réunion une deuxième fois pour saquer mes élèves au Bac, il me semble que je l’aurais massacrée sans hésitation, avec une volupté extrême, et il n’est pas absolument exclu que je fasse un carnage d’éditeurs ou de journalistes avant de claquer [ou, plus modestement, que je ne décolle au sabre le chef d'un administrateur judiciaire qui se dispose à nous jeter tous à la rue, avec la bénédiction d'un CS croupion]. Cela dit, primo, la souffrance des autres n’est pas nulle à mes yeux, même s’il faut me la mitonner pour qu’elle me touche, parce que je ne sais pas la distinguer dans la vie, surtout quand c’est moi qui l’inflige. Secundo, si je ne vois aucune objection à faire souffrir (par le verbe), il faut pour que j’y prenne plaisir que j’aie le sentiment de me venger. Assurément je le tiraille à plaisir, puisqu’une Kapok, par exemple, ne m’a fait aucun mal consciemment (ou plutôt que je ne lui en veux pas de celui-là) et pas même l’offense inconsciente de me négliger. Toutefois, quand je lui remonte les bretelles dans l’Épître à Carabosse, c’est avec le sentiment de lui rendre la monnaie de sa pièce, c’est-à-dire de la punir de son incompréhension péremptoire, de son manque d’écoute, de son inserviabilité, de son défaut d’aval. Elle n’a que ce qu’elle mérite! Ma “justice” est fort discutable, voire carrément injuste dans le feu de l’instant, mais je ne me sentirais pas à l’aise dans le sadisme et la tyrannie, sans cette illusion d’équité. L’idée de molester quelqu’un qui n’a rien fait “de mal”, ou de rendre le mal pour le  bien, me révulse, mais l’empathie y est étrangère : c’est l’image de moi que se ferait la victime ou le spectateur, que je ne peux pas supporter. Non pas celle d’un bonhomme cruel, ce serait plutôt flatteur, mais d’un con qui se trompe en se croyant dans son bon droit.

    Ne tourné-je pas en rond? Si je me dispense de toute cruauté à l’égard des faibles (sans avoir à me l’interdire), si j’ai besoin à tout prix d’une nuisance à laquelle rétorquer, c’est sans doute parce que je me verrais moi-même sous les espèces de la pure victime, mais il est de fait que je ne peux pas frapper sans culpabiliser préalablement ma cible, et donc que je suis en contradiction avec moi-même quand je soutiens que je ne verrais aucune objection à être un simple sadique. Il faut le prendre par un autre bout : ce que je demande à l’autre, c’est son aval, le reste ne m’intéresse pas – ou je ne consens pas à me reconnaître intéressé (par le bénéfice charnel d’un viol, par exemple). En fait, tout se passe comme si je me servais de la notion de justice pour excuser ma faiblesse, alors que j’ai rarement l’occasion de me venger de ceux qui m’ont outragé délibérément, et que je me suis surpris, avec certains puissants, à jouir d’être “maté”, au point de me faire quasiment une loi de filer doux quand on me claque le museau. Mais n’avais-je pas simplement peur, en leur répondant, qu’ils me le claquassent plus fort?

    Bon, je pourrais continuer longtemps comme ça, et sans avancer d’un iota. Si au moins je préparais le terrain pour une réflexion rigoureuse! Mais je n’en planterai pas les pilotis dans le marécage d’une pareille logorrhée… Remettons à plus tard ce foutu surmoi et son intégration, Kernberg me donnera sans doute dix occasions d’y revenir. En espérant que j’aie un peu avancé à ce moment-là. [Cette tartine mériterait, à défaut d’une suppression intégrale, d’être fortement élaguée, puisque la quasi-totalité de ce qu’elle contient, qui ne mérite pas le bis, a déjà été reprise plus haut, or montrer que tout était là avant même le coup d’envoi, ne fait qu’illustrer ma stagnation, qui n’intéresse personne, et pour comble a elle-même été dénoncée vingt fois.]]

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