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Inventaire avant liquidation

[“Incapacité” à la dépendance et à la dépression; idéalisation projective]

24 Octobre 2017 , Rédigé par Narcipat Publié dans #61 : Narcipat?

 

    Cette sorte d’incapacité de quelqu’un à dépendre d’autrui est une caractéristique tout à fait cruciale. Les patients admirent souvent un héros ou une personnalité éminente; ils établissent avec celle-ci une relation qu’on pourrait croire de dépendance alors qu’en fait ils se vivent eux-mêmes comme une partie de cette personnalité éminente; [Est-ce que l’élection d’une idole, que ce soit Proust, Zidane, De Gaulle, grand-frère ou papa-maman, signifie jamais autre chose? En tout cas, c’est plutôt l’absence de cela qu’on constaterait chez moi.] il s’avère régulièrement, pendant le traitement, que l’individu admiré se présente comme une extension d’eux-mêmes. [Qu’il le soit, peut-être; mais s’il se présentait comme tel, comment pourrait-il les adouber?] Si cette personne les rejette, ils éprouvent immédiatement haine et méfiance et réagissent en dévalorisant leur ancienne idole. [Y a intérêt, merdalors… du moins quand c’est possible; et le plus sûr pour se ménager une position de repli, c’est de choisir une “idole” bien défectueuse, une médaille dont le revers soit à disposition. [D’où peut-être la pitié dont l’amour est mêlé.]] Si cette personne disparaît ou est “détrônée”, ils la laissent aussitôt tomber. [Grossièrement dit, mais pas tout à fait faux : il se peut, en effet, qu’elle tire toujours elle-même sa valeur d’un consensus, imaginaire ou réel. Cela dit, je n’en crois rien pour mon compte, et me sens prêt à soutenir contre tous un être qui ne m’aurait pas “trahi”.] En fait, il n’y a pas de véritable investissement de cette personne admirée : ils en font une simple utilisation narcissique. Quand une personnalité narcissique occupe une position de réelle importance – par exemple, à la tête d’institutions sociales et politiques – elle aime s’entourer d’admirateurs auxquels elle ne s’intéresse que si leur admiration est toujours neuve. Lorsqu’elle pense avoir extrait toute l’admiration possible, les admirateurs deviennent à peine des “figurants”, exploités et maltraités sans pitié. En même temps ces patients sont très choqués si l’un de leurs “esclaves” veut se libérer. [Jamais eu l’occasion; mais il me semble que je me comporterais comme ça, en effet : en étais-je si loin, avec mes élèves, porteurs de tant d’espoirs au premier trimestre, et, pour la plupart, irrémédiablement ennuyeux au troisième?] Dans l’analyse cette relation se réactualise constamment. Ces patients idéalisent parfois leur analyste et sont convaincus qu’il est le plus grand analyste de la terre. En même temps, à un niveau plus profond, ils se vivent eux-mêmes comme le seul patient de l’analyste; j’ai, quasiment tel quel, retrouvé chez plusieurs patients le fantasme suivant : lorsqu’ils ne sont plus en séance, leur analyste disparaît, meurt ou perd son “brio”. [Entre nous, on s’en fout pas mal, de ton brio : c’est en tant que spectateur privilégié du nôtre que tu nous importes. Raison pour quoi il est désagréable de t’imaginer identiquement fasciné par un autre patient. C’est comme le sourire d’une fille, qui perd tout impact euphorisant si l’on s’aperçoit qu’elle l’adresse à tous les mâles qui passent.] De façon typique, pendant les week-ends ou lors des interruptions, ces patients oublient complètement l’analyste et ne se permettent aucune des réactions de deuil qu’induisent les séparations chez les patients névrotiques habituels. [Mais tant mieux, bon Dieu! Tant mieux! Je comprends que ça te défrise la calvitie, mais qu’est-ce que tu nous donnes en exemple, là? L’analysé qui ne peut s’éloigner de trois pas de sa nourrice psychique sans choir dans le désarroi ou la dépression? Comme parangon de santé mentale, on fait mieux.] L’analyste idéalisé n’est donc qu’une extension d’eux-mêmes, ou ils sont des extensions de l’analyste idéalisé; c’est en tout cas la même situation. Le danger est de considérer ces patients comme réellement dépendants du fait de la satisfaction qu’ils retirent d’une telle “intimité”. Alors que des patients ont pendant des années paru heureux de venir à leurs séances, exprimant sans arrêt louanges et admiration à l’égard de leur thérapeute, certains analystes sont surpris lorsque tout à coup ces patients veulent et peuvent interrompre la relation analytique pour la plus minime raison ou frustration. [Toi qui montrais un tel brio! Juste une anecdote : pour négocier ma sortie de l’Usine à Cancres, j’ai été forcé de voir un psy pendant deux trimestres, à raison d’une séance par mois, qui durait cinq minutes, dix à tout casser. Le bonhomme me délivrait sa petite prolongation, une ordonnance de Zoloft (qui, à vue d’œil, me faisait beaucoup de bien selon lui : j’en ai pris cinq comprimés en tout) et de Noctamide (dito, les stocks sont intacts [mais avaient dépassé la limite d'âge, de sorte qu'il a fallu m'en procurer d'autres pour “essayer vraiment”… et durablement m'esquinter] : sauf émotion ou pleine lune, je dors fort bien, pour la simple raison – une recette de Gide – que je ne m’estime pas tenu à une certaine dose de sommeil [Une recette qui ne marche que lorsqu’on n’est pas insomniaque! Et que mon œil n'exigeait pas encore sa dose de sommeil pour rester opérationnel.]); on échangeait deux-trois répliques anodines (les siennes, je veux dire) et salut. Eh bien, lorsqu’embrayant sur les vacances et la première année sabbatique de la “longue soudure”, j’ai dit à ce type, qui était bien sympa, mais ne faisait même pas semblant d’essayer de me guérir de quoi que ce fût, que j’allais désormais me passer de ses soins, il est tombé des nues d’une aussi scandaleuse ingratitude!! « Vous faites comme vous voulez »… Le dépit était très audible. En me refilant six mois de bulle, il m’avait certes évité la radiation, et je lui aurais volontiers graissé la patte pour ça, s’il l’avait demandé. Mais de là à le considérer comme un thérapeute… Il me semble que Kernberg part du postulat complaisant que l’analyse est bonne, l’analyste utile, que contester cela relève nécessairement de la malveillance : théoriserait-il en partie pour se venger des patients?…]

 

    Chez ces patients, les sentiments de vide et d’ennui sont intimement liés à un développement étriqué de leur moi qui en fin de compte traduit leur incapacité à ressentir une dépression. De nombreux auteurs ont noté que la possibilité de tolérer un sentiment de dépression, liée à la possibilité de faire le deuil d’une perte d’un bon objet ou d’une image idéale de soi-même représente une importante condition préalable au développement affectif et en particulier à un élargissement et un approfondissement des sentiments. [Condition préalable, je ne saurais dire. Que ce soit lié, je le sens. Chaque fois que je subis une perte, je me contorsionne en tous sens pour établir que ça vaut mieux ainsi, que la personne qui se détourne de moi était sans intérêt (puisque je n’en avais aucun pour elle, spas…), que « mieux vaut être seul que mal accompagné », etc. Pas toujours facile, de voir la suite ascensionnelle! Mais est-ce que je refoule le chagrin et l’affection? Ou sont-ils de mauvais aloi, et secs parce que narcissiques dès le départ? Est-ce que je boude le plaisir que me donne le commerce de tel ou tel? Non, mais il me paraît toujours une tâche, et je ne l’entreprends que pour donner de moi bonne opinion. Les êtres les plus agréables me fatiguent. En tout cas, entre se flatter d’être admiré dans la solitude et n’avoir qu’un rôle subalterne en compagnie, y a pas photo, et combien de fois je me suis surpris à souhaiter enfermer la fille que j’étais censé aimer sans “m’emmerder à la voir”, c’est-à-dire risquer de l’emmerder, elle, et de baisser dans son estime! La séquestration serait bien attrayante si l’esprit de la “prisonnière” pouvait être contrôlé, et je pense que bien des gens, sans exactement se reconnaître dans le personnage du collector de Fowles, y ont vu comblés certains de leurs désirs.] En outre, chez ces patients qui ont un narcissisme pathologique, la dévalorisation des objets et des images d’objets crée un constant vide dans leur vie sociale et renforce leur expérience interne de vide. Ils ont besoin de dévaloriser ce qu’ils reçoivent afin de se garder de ressentir de l’envie. C’est la tragédie de ces patients : qu’ils aient tant besoin des autres tout en étant incapables de reconnaître ce qu’ils reçoivent car cela pourrait réveiller l’envie. [Ce n’est pas l’envie en soi qu’on combat, mais sa propre dévalorisation, provoquée par les comparaisons de performances. Qu’envierait-on donc, de ce qui nous est donné en propre, dès lors qu’on le reçoit? Si on le nie, c’est d’abord de peur de le perdre. Tout don, surtout gratuit, peut être révoqué, surtout le seul qui soit précieux pour nous : l’aval.] Par conséquent, ils en arrivent toujours au vide. Un patient était amoureux d’une femme qu’il trouvait très belle, douée, chaleureuse, en un mot tout à fait parfaite. Il prit soudain conscience qu’il la haïssait d’être si parfaite juste avant qu’elle lui répondît favorablement et acceptât de l’épouser. [Il ne la haïssait pas, eh, pomme : il avait peur qu’elle ne fût trop bien pour lui, et ne s’en avisât!] Après leur mariage, il s’ennuya et éprouva à son égard une indifférence complète. Pendant son analyse, il en vint à comprendre qu’il traitait son analyste de la même manière : il dévalorisait tout ce qu’il recevait de son analyste afin d’empêcher son envie et sa haine d’émerger à la surface. Peu après, il développa à l’égard de sa femme de vifs sentiments de suspicion et de haine parce que celle-ci avait tout ce que lui ne possédait pas et parce qu’il craignait aussi qu’elle l’abandonne et le laisse encore plus démuni. [Hic jacet lepus : tu peux remballer cette envie et cette haine… de tes dons hors-pair.] En même temps, pour la première fois, il put prendre conscience des sentiments d’amour et de tendresse de sa femme et en être affecté. Cette prise de conscience de la manière agressive dont il dépréciait sa femme et son analyste, et l’accroissement de sa capacité à tolérer ses sentiments de haine sans avoir à s’en défendre en détruisant la conscience qu’il avait des autres personnes, permirent à sa femme et à son analyste de “devenir vivants”, c’est-à-dire des personnes véritables avec des exigences indépendantes, et lui permit enfin de ressentir à leur égard non seulement haine, mais aussi amour. [Tout cela semble très simple : on enlève son corset, et la vie revient! Mais, outre que c’est ouvrir la porte à vingt baffes pour un bisou, je ne crois toujours pas à la pureté de cette “haine” : elle est narcissique elle aussi, rétorsive, et se dissipe comme un songe s’il s’avère qu’on n’était pas méprisé.]

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