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Inventaire avant liquidation

[Une étiquette collée par les autres]

4 Octobre 2016 , Rédigé par Narcipat Publié dans #54 : Parano?

PARANO?

 

 

PARANOÏAQUE (personnalité)  Personnalité pathologique caractérisée par l’orgueil, la méfiance et la rigidité.

    Pour l’école française, le trait de base de la personnalité paranoïaque est l’hypertrophie du Moi. Il en découle plusieurs traits de caractère : l’orgueil, avec égocentrisme et tendances mégalomaniaques; la méfiance; la psychorigidité avec froideur affective, tendance à la suspicion et apparence monolithique des pensées; et la fausseté du jugement, qui n’est finalement qu’une des conséquences de cette appréhension particulière de la réalité. La classification de l’OMS décrit le caractère paranoïaque comme “un trouble de la personnalité dans lequel existe une sensibilité excessive aux échecs ou à ce qui est interprété comme des humiliations ou des refus, une tendance à déformer la réalité en interprétant comme hostiles ou méprisantes les actions neutres ou bienveillantes des autres, une conception agressive et obstinée de ses droits personnels. Il peut y avoir une tendance à la jalousie et à la surestimation de soi. De tels sujets peuvent se sentir irrémédiablement humiliés et dominés; d’autres, d’une sensitivité tout aussi excessive, se montreront agressifs et importuns. Dans tous les cas, il y a une tendance interprétative exagérée.”

    Enfin, le DSM-III isole trois critères diagnostiques : l’état de profonde suspicion injustifiée et de méfiance vis-à-vis d’autrui; l’hypersensibilité et la limitation des expériences affectives; l’aspect “froid” objectif et rationnel.

    Dixit vel compilavit Jean Thuillier dont l’ouvrage d’extrême vulgarisation (La folie, Robert Laffont, collection Bouquins) bourré de bêtises et de bévues, ne mérite pas d’être longuement cité; mais il présente sur Freud et Lacan l’avantage de ne risquer aucune idée personnelle : à tout sujet, c’est la doxa la plus plate qui nous est exposée, et c’est sur elle que j’aimerais me faire un peu les dents en attendant le jour béni où mon intellect se sentira de taille à s’attaquer aux monstres sacrés, ce qui suppose de les comprendre, et non de se contenter d’affirmer, comme ledit Thuillier, qu’ils disent n’importe quoi. Attendu que rien ne guérit les paranoïaques, à ma connaissance, ni pilules ni électrochocs ni lobotomie ni thérapies cocons, la psychanalyse ne souffre pas ici de son handicap habituel et inavoué.

    Cela dit, le bouquin n’est pas tout frais, et il importerait de savoir comment ce concept, ou cette notion, de “paranoïa” a évolué au cours des quinze dernières années, à supposer qu’il en subsiste autre chose que des débris.

– Des quinze dernières? Tu sous-estimes un tantinet! De quand date le DSM III?

– De 1980, par là.

Trente-six ans!

– Ouais, mais le IV est de 2000, et le bouquin de 96, si tu veux tout savoir.

– Bref, ton texte de référence a vingt berges! Il est vrai qu’il y a du progrès par rapport aux précédents, qui clignotaient autour de 1950… Mais quand donc vas-tu arriver parmi nous?

Parmi vous? Je crains que “jamais” n’ait à faire l’affaire.

– Mais c’est qu’il s’en vanterait, en plus! S’il ne s’agit que de citer un article de dictionnaire, pourquoi pas en choisir un  récent?

–  Je prends ce qui me tombe sous la main. Et, pour ce qui est du progrès, je n’en constate aucun, pour ma part, d’un DSM à l’autre. Le dernier me paraissant de beaucoup le plus insignifiant des trois que j’ai consultés.

– Peut-être parce que le consensus tend à se défaire, et que les diverses personnalités se désagrègent…

– Mais écoute, si tu ne m’interrompais pas pour rien… C’est ce que je disais dans mon texte!

– Oké! J’ la ferme! À quand donc il remonte, ton teeexte?

– Mystère. L’ordi donne une date de création, avril 13, qui peut servir d’ante quem, mais me paraît plutôt celle d’un changement de nom. Les quinze ans, stricto sensu, le situeraient en 2010-2011, mais il y a, çà et là, de sérieux indices de vieillesse…

– C’est-à-dire de jeunesse… Joie au ciel! Ça voudrait dire que t’as évolué depuis.

– Reste à savoir en quel sens… Je peux?

The floor is yours.

– Le seul psy que j’ai fréquenté, à raison de cinq minutes par mois pendant six de ceux-ci, m’a balancé un jour : « Les paranoïaques, c’est ceux qui traitent les autres de paranoïaques. »

– Tu l’as déjà cité.

– Je sais. Mais les interventions de vivants sont si rares…

– qu’on en est réduit à les inventer.

– Pas celle-là, du moins… Définition mémorable, et peu susceptible de nuire au chiffre d’honoraires, si seulement ces tristes sires songeaient à consulter! car elle semble inoculer le mal à la population tout entière, et lui arracher l’être avec la spécificité. Si tout le monde est psychopathe, alors personne; s’il n’y a que des paranos, il n’y en a plus, et je sens que je vais me heurter constamment à la simple difficulté de différencier. Mais comme c’est sur les bases vasouillardo-thuillieresques qu’on me traite de parano depuis une vingtaine d’années

– Ça fait peu.

– Depuis Maurice, en fait… depuis une trentaine d’années, disons, derrière mon cul le plus souvent, et que j’estime moi-même être grossièrement défini là, il ne paraît pas inutile de procéder à un réexamen, dans la mesure de mes forces.

    Notons d’emblée une intime satisfaction à se voir portraicturé ainsi, accompagnée d’étonnement, puisqu’on ne peut pas dire que ces traits définissent un personnage recommandable : déconnecté du réel, même pas marrant dans son délire, inlassablement agressif et/ou geignard sans profit pour personne, il semblerait que face à un pareil olibrius, la meilleure des tactiques soit la fuite, et en ce qui me concerne, c’est bien celle qu’on a adoptée. Revendiquer l’étiquette revient donc à me reconnaître infréquentable par ma faute, à plaider coupable face au peuple, à lui donner raison : pas de quoi prendre son pied! Et pourtant si, un peu, car le nom me confère un être. Il me donne des contours, et au surplus, puisque, n’est-ce pas? c’est une maladie, atténue ma responsabilité. À moins qu’au contraire, à moi qui ne fais que subir, et m’en sens humilié, il ne me la restitue, et avec elle une certaine efficience : pour avoir tort, il faut en quelque manière avoir agi, et fait son destin, même inconsciemment.

    Pas de bacille, cela dit, ni d’origine génétique, encore qu’on soit assez prodigue de cette dernière par les temps qui courent pour m’inciter à baisser la voix. Mais enfin, pour l’heure, il semblerait qu’on n’ait affaire qu’à une collection de symptômes, où, selon l’humeur du moment et le personnage que j’incarne, je discerne tantôt mon cas, tantôt la malveillance d’autrui et son désir d’éliminer la perturbation dont je suis porteur. Qu’en reste-t-il si tout le monde se reconnaît plus ou moins? On sait qu’il n’est pas bon pour la santé mentale de compulser des dictionnaires de médecine : chancres et bubons visibles mis à part, on a tout chopé. Encore suffit-il de quelques analyses pour vous en donner le démenti; des maladies de l’esprit, en revanche, aucun garde-fou ne protège l’autosuggestion : car elles n’existent pas, en somme, et la nosographie n’est guère qu’une manière de se débarrasser des individus.

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