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Inventaire avant liquidation

[À petit feu, 1]

27 Septembre 2015 , Rédigé par Narcipat Publié dans #45 : Cacatalogue IV : Pour en finir avec la fin

    À petit feu se présente comme un dialogue très déséquilibré entre un “suicidaire-né” et le psychiatre chargé de son cas, auquel il se raconte sans réticence, mais non sans lucidité. Ce texte pourrait présenter quelque intérêt si, largement autobiographique, au moins pour la première moitié, il ne faisait comme figure de brouillon de l’Appel de la mort du présent Inventaire, du moins de la partie consacrée à mon flirt avec le suicide, que je préfère ne pas relire, au cas où le brouillon ne serait pas, des deux, celui que je crois.

     Ici, sauf mes plus récents exploits, tout y passe, depuis le cinoche que je m’offrais sous la fenêtre de Claire, en m’appuyant un canif sur le poignet, ma tentative de pendaison à la cave, où le grotesque frôla le tragique, mes deux outings, dont le second se termina par un bref séjour chez les fous… Bien courtes distances sont prises avec le réel lorsque je narre ma visite en enfer, par une nuit de gel : j’oublie simplement que l’épisode, narré pour vrai à toute oreille venante (peut-être quatre ou cinq en tout; mais c’est qu’il n’en est pas venu davantage) était entièrement imaginaire, et initialement reproduit d'un rêve en guise d’excuse de ne m’être pas supprimé, après en avoir tant discouru, et d’y renoncer désormais :

 

Don Quichotte se réveille. Rossinante, c’est une Fiat Punto, un peu âgée, mais qui somme toute ne roule pas mal… assez bien pour épousseter mon permis : à l’heure présente, il me reste trois points : le moindre faux-pas serait fatal à mes déplacements! Toujours soucieux de confort, mais réalisant qu’avec les perlimpimpins qu’on vous prescrit aujourd’hui, je ne pouvais pas sérieusement escompter d’en finir dans mon lit, je commence à trouver alléchants les prospectus qui vantent l’oxyde de carbone… Il se trouve que je possède un de ces crics à gaz, vous savez, un gros ballon qu’on relie au pot d’échappement par un gros tuyau… Si surprenant que ça puisse paraître, ça vous soulève une caisse sans le moindre effort! Un tuyau fait pour s’il en fut… Je me choisis une belle nuit de verglas, pour que le froid achève le travail… et avale pour amorcer une boîte de Stillnox, en plein bois, au coucher du soleil… Dieu sait que ça caillait déjà vif, et que cette fois je n’avais pas mégoté! En principe, c’était sans retour! Quant à la profondeur, la maison affichait relâche : loin de méditer sur le scandale de disparaître, je m’appliquais de toutes mes forces à penser à autre chose, ce qui n’était mie des plus aisés, mais facilité tout de même par l’absorption d’une demi de Bénédictine : une gorgée pour faire descendre, précédée et suivie de quelques autres, j’aime les alcools sucrés… et je riais tout seul en tournant la clef de contact, pas vraiment brindezingue, mais disons gai.

    Je suis sorti des vapes, quoi? deux heures plus tard, il n’était pas minuit, avec une gueuldeb modérée. Moteur arrêté, bon, rien d’épastrouillant, régler le ralenti, je laisse ça aux gens du métier. D’autre part, comme j’étais couvert de dégueulis, et qu’on y voyait luire des points blancs, il n’y avait pas à s’étonner outre-mesure de l’inefficacité du somnifère. Cela étant, la lune brillait de tout son éclat, le ciel était on ne peut mieux décapé, il devait faire dans les moins dix, et je n’y ai même pas laissé un bout d’oreille. Les gaz d’échappement, ça réchauffe, affaire entendue, mais s’ils avaient donné deux heures durant, j’aurais dû y passer…

– Vous aviez mangé?

– Une bombance de rillettes, de chips et de chocolat aux noisettes, j’avais oublié de la mentionner. Vous croyez?…

– Oh! Je me garderais d’affirmer! Mais pour peu qu’il n’ait pas fait si froid que ça… Vous avez un thermomètre, au tableau de bord?

– Non. Et même, à présent, je me demande si j’ai bien regardé l’heure, avant. Le surnaturel n’est pas prouvé du tout, je sais bien, vous prêchez un inconverti… un impénitent, plutôt. Mais ces deux heures, ou une, ne sont pas tombées dans un trou noir, et je suis bien obligé d’en tenir compte, bien qu’en rendre compte, ça, je ne le puisse pas. C’était aussi indicible qu’un rêve, mais ce n’était pas un rêve, voilà ce qui me turlupine, ou du moins ne ressemblait-il à aucun autre. Rien de vraiment étrange en un sens, on aurait dit un prolongement, une exacerbation de mes méditations… quotinoctiennes : au cours de mes insomnies, je repose inlassablement le problème, un problème vaste et vague, où la question quel problème poser est incluse : c’est que suis-je? et c’est que faire? et existe-t-il quelque vérité? bref une cogitation sur le grand Tout, le grand Rien, pris successivement par tous les bouts à ma portée, sans aboutir jamais qu’au statu-quo et au rendormissement : le plus bizarre étant qu’au bout de mille et mille nuits je persiste à espérer une solution! Eh bien! Cette nuit-là n’était pas fort différente, sinon que primo, j’étais mort, et conscient d’en avoir pour l’éternité, une éternité de solitude, sans communication avec quiconque, sans même le moindre plaisir des sens, définitivement éteints : il ne faisait pas noir, c’est encore une sorte de couleur, il ne faisait rien. Et moi, armé d’un langage inadéquat et de capacités définitivement insuffisantes, je cherchais la vérité, la touchant presque, l’ayant sur le bout de la langue, sauf que l’interprétation nouvelle – ça se passait peau après peau, comme au cœur d’un oignon spirituel – annulait la précédente en l’englobant, en l’interprétant. À narrer ça fait marrer, mais je vous assure que j’aurais préféré le gril ou la marmite, et que les affres des enterrés vifs, sur lesquelles j’ai pas mal spéculé, me paraissaient enviables : après tout, on n’a qu’à refermer les yeux et repasser les bons moments. Quelque chose était à peu près clair toutefois, en marge de cette salade : c’est que j’étais puni pour n’avoir su ni aimer ni être aimé. “Mais on ne m’a pas appris!” Tant pis : j’étais coupable, de naissance peut-être, prédestiné comme ce pauvre Œdipe, et du reste comment osais-je récriminer, puisque le châtiment n’était rien de plus qu’une copie en pire de ce que je m’étais infligé ici-bas? “Qui a péché par le glaive”… eh bien, moi, j’avais péché par introversion.

– Et de qui émanait le message?

– Oh, personne de précis : il montait de l’intérieur. J’aimerais bien me convaincre que l’éducation religieuse de mon enfance refaisait surface, et de fait ça lui ressemblait fort : elle se réduisait à une surveillance constante, à un jeu de rétributions, assorti d’une interrogation angoissée sur le péché contre l’esprit, irrémissible et insaisissable, un péché qu’on ne commet pas, dont on ne décide pas, qui ne fait qu’un avec vous-même, et dont à la limite tout le monde s’aviserait sauf vous : d’où la solitude, étroitement liée à la culpabilité pure, à l’orgueil démoniaque, au refus de l’amour… Vice de conformation? égarement délibéré? Pourquoi pas les deux? On ne sait pas… La réponse que mon siècle tient pour correcte, c’est d’attribuer les délires ultérieurs à une culpabilité initiale “en quête de faute” dont on aurait chargé votre enfance, par le biais d’une éducation rigoriste, ou d’exigences folles, conçues pour être déçues, ou de la préférence accordée à un frangin, etc, etc… à moins qu’on ne s’oriente sans complexe vers les gènes de la révolte, du négativisme ou de la méchanceté! C’est sans bavure, on peut tout expliquer de la sorte, et moi, rejeton indigne d’un siècle qui semble renoncer à la transcendance dès lors qu’il n’ose plus la loger dans l’avenir terrestre de l’humanité, je ne peux pas, sérieusement, me mettre à genoux et prier!

     […]

Je crois, je veux croire, j’espère, que ce fut un rêve, différent des autres, mettons un État Modifié de Conscience, je me fous bien de l’appellation, vous comprenez, tout ce qui m’importe, c’est de ne pas jouer les prolongations éternelles après mon trépas : la peine m’indiffère, pourvu qu’elle soit à temps. Même si l’on se dit que le temps est subjectif, et qu’une seconde peut vous durer perpète, je ne m’inquiète pas trop d’un départ en fanfare de mes neurones – pourvu qu’ils partent, et point ne reviennent! Quand les N.D.E. sont agréables, et qu’elles vous mettent en contact avec une Indulgence Sans Limites, pas de question à se poser : notre cervelle s’est évadée de l’insoutenable, voilà tout. Et s’il y a doute, c’est tout bon, puisqu’il mène aux délices. Seulement j’ai découvert qu’il y a une flopée d’expériences malheureuses dont on fait rarement état, et comment s’en étonner? À quoi ça servirait? Le pauvre hère à qui l’on a montré son billet pour l’enfer, sans aucun moyen d’éviter le voyage, ça l’avancerait à quoi, de s’en plaindre en public? Les “pat pat pat” consolatoires sont sans prise sur ce genre de terreur. Tout ce qu’on peut faire dans une situation pareille, c’est freiner sur la pente de tous ses muscles, bouffer léger, arrêter la clope, lever le pied du champignon, mettre son cache-nez… N’empêche, on n’y coupera pas! S’il suffisait de ne pas se suicider, encore, on se ferait une raison; mais j’ai reçu quelques comptes-rendus de balades tout ce qu’il y a d’involontaires dans un au-delà qui ressemblait horriblement au mien : par la solitude, le pressentiment de l’éternité, et ce que mes correspondants appelaient “le noir”, faute d’autre mot sans doute. J’ai frémi en lisant les lignes d’une femme absolument stupéfaite et terrifiée, elle qui n’avait jamais eu en ce bas-monde que des liaisons pleines d’agrément avec Dieu, ses pompes, ses œuvres et ses cliques… Je lui ai écrit, elle n’a pas répondu, mais quelques autres m’ont relaté des impressions… rien moins qu’encourageantes. Le hic, vous comprenez, c’est que l’évasion ne tient plus dans ces cas : fuir vers pire, c’est inconcevable, à moins d’être maso.

– À moins.

– Oh, je me le répète bien tout seul! La faute, on la rejette, on la recherche, on l’assume et s’en punit! Il se peut qu’elle rassure, et que l’innocence effraie. Cent fois j’ai réagi par des éruptions aux peccadilles d’autrui, pour récupérer la culpabilité. Mais voyez-vous, cette explication ne m’apaise que médiocrement, car qui me dit qu’après avoir fait mon enfer sur terre, je ne suis pas le maître de m’en fabriquer un sur mesure, ailleurs et pour toujours, avec mes épouvantes pour matière première? Éventualité folle assurément, à l’aune de nos normes et de nos croyances, mais que je ne parviens pas à éliminer tout à fait, surtout la nuit.

 

    Cette “EMI négative”, dont, je le répète, je n’ai pas eu le moindre aperçu réel, n’a pas laissé pourtant de m’imprégner d’une légère angoisse, dans la mesure où j’ai lu, en effet, sur Internet le compte-rendu d’une expérience similaire (la pauvre femme qui la contait… et qui, peut-être, bourrait le mou autant que moi, ne la liait, toutefois, à aucune espèce de culpabilité) et où il n’est pas absolument insensé de penser qu’un message puisse me parvenir par le canal du rêve nocturne, voire de l’imagination vigile. Mais je n’en suis pas obsédé, et l’on a vu dans la section qui précède qu’elle n’a pas interdit une tentative assez “corsée” pour provoquer cinq jours de sommeil et quelques mois d’invalidité. Mon personnage, ayant reçu un avertissement plus direct, le prend beaucoup plus au sérieux, et, à cette terreur d’un châtiment éternel (ou d’un arrêt du temps) pour forclusion de l’amour, répond par le suicide à deux places, et la recherche, via le Web, d’une femme tentée, pour une raison ou une autre, par cette solution. Seulement, l’obstacle de taille auquel il est achoppé, c’est que cette femme, il doit l’aimer tant soit peu, si possible être aimé d’elle (mais cette clause-là est moins drastique), qu’en cas de sentiment partagé la mort perd toute opportunité (à moins qu’elle ne soit inéluctable pour la partenaire), et que notre homme, des plus banals si l’on omet son obsession, ne se sent pas ombre de goût pour les maritornes, qui forment le plus gros du cheptel des candidates à la mort volontaire.

    J’ai personnellement lancé quelques appels sur Internet, qui sont restés sans l’esquisse d’une réponse, mais qui n’osaient pas être explicites. Mon alter ego se devait d’avoir plus de chance, sauf à écrire une nouvelle sur rien :

 

 Bref, je piétinais. Jusqu’au jour où, flonflons, fanfares, l’âme-sœur est arrivée! C’était un appel étrange, et qui m’a semblé lumineux : une sorte d’invitation au voyage, mais au voyage à deux, lancée par une femme qui avouait la cinquantaine, et se sentir de trop, mais pas assez courageuse pour partir seule. Les dangers que j’évoquais, elle n’en faisait pas grand cas, mais, chacun pour ses raisons propres, ne pouvions-nous envisager un secours mutuel? Se tenir la main pour les premiers pas… séduisant. Ce n’était pas répondre exactement à mes affres, mais quelque chose me susurrait que dans le cas, très improbable, je vous le rappelle, où la solitude serait la sanction de la solitude, une compagne pourrait me servir de caution. D’ailleurs, avant d’être quelqu’un avec qui expirer, c’était quelqu’un avec qui parler, et elle ne parlait, n’écrivait s’entend, pas mal… Enjouée, souvent marrante… Juste un exemple : elle projetait d’en finir au protoxyde d’azote, vous savez, le fameux gaz hilarant, et attendu la difficulté de s’en procurer une bonbonne, quoiqu’il ne soit pas interdit, elle s’était enquise des moyens d’une production artisanale, et avait cru découvrir qu’il suffisait de chauffer du nitrate d’ammonium, en vente comme engrais dans toutes les bonnes jardineries. L’ennui, c’est que cette substance étant classée explosible, en mettre une casserole au feu présentait comme un risque… “De toute façon on s’éclatera! Mais il y a manière et manière”… Bon, moi non plus, ça ne me déride pas vraiment; juste pour dire qu’il y a manière et manière aussi de parler de sa mort, et que celle-là me plaît, même si, sur un sujet pareil, la rigolade est nécessairement superficielle. Oh, toute rigolade! Et toute politesse. Mais enfin les échanges ne peuvent se réduire à : “C’est affreux! Je ne veux pas mourir! Je ne peux pas vivre! À l’aide! – Autant pour moi, mon pote.” Si l’on n’affecte pas la légèreté, on se noie dans les larmes.

– C’est ce que vous faites, en ce moment?

– Je me noie?

– Non, vous affectez.

– Boh, j’affecte, j’affecte… un peu! À peine! Le minimum, attendu les circonstances! Mais Mireille, elle, affectait à la perfection.

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