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Inventaire avant liquidation

[Une opinion manipulée]

20 Juillet 2015 , Rédigé par Narcipat Publié dans #28 - 29 : Dieu? - Hier la Révolution

     Le virus m’a-t-il gagné alors, moi qui avais grandi au sein d’un foyer réac (simplification abusive : si mon père était un fervent lecteur de Minute, c’était depuis le largage des Pieds-Noirs et les “mensonges” de De Gaulle) et avais vu passer mai 68 (de loin) dans l’indifférence et l’incompréhension? Ou deux ans plus tôt, lors du premier contact avec mes classes, en qui j’étais tout disposé à voir une base, un peuple opprimé à défendre – en projetant sur lui mon enfance révoltée? Il peut paraître insane de se sentir populiste quand on ignore tout du peuple et ne met pas le nez hors de chez soi; et il faudra que je m’interroge sérieusement sur ma sincérité, d’autant que je persiste à me foutre pas mal de ce qui peut arriver aux autres; et cependant il est au moins partiellement vrai que si je me retire sous ma tente, ce n’est pas pour protester contre la démocratie, mais au contraire pour elle, qu’on verrouille et manipule : vote que vote, on trouve toujours aux commandes le même personnel, dont il n’y a rien de neuf à attendre. Certains n’hésitent pas à crier haro sur le maire qui a fourni à Le Pen sa cinq centième signature, et ne trouveraient nullement choquant qu’un candidat honoré de 20% des suffrages n’ait pu se présenter. Et l’on en arrive à des singeries comme le second tour de 2002, avec huit Français sur dix renvoyant au pouvoir un type qu’ils méprisaient, parce que l’autre était dangereux, du moins selon la presse unanime. Depuis cinquante ans, l’extrême gauche est confisquée par des diplodocus doctrinaires, inéligibles de fait et peut-être payés pour l’être, de sorte que ceux qui en ont plein le cul de la domination d’une caste de prébendiers et d’héritiers sont contraints à se tourner vers un milliardaire raciste, parce que sa langue est un peu moins ligneuse que celle des autres et qu’il chahute l’établissement! En réalité, c’est la démocratie tout entière qui est confisquée par les soins du quatrième pouvoir, lequel a partie liée avec les politicards au moins pour bricoler le seuil de visibilité; certes il y a encore bien des tackles perfides sous les projecteurs; mais la grande imposture, en politique comme en littérature, c’est la confusion de l’esse avec le percipi, et le barrage opposé à la France-d’en-bas, franchissable au prix seul, avec le temps et les courbettes, de se rendre absolument identique aux Installés, et que rien ne change. Quant aux génies des lettres, je n’en ai rencontré aucun; mais je sais que les villes et les campagnes sont pleines de tribuns qu’une simple apparition à la télé propulserait au plus haut des sondages, et qu’il est absurde d’appeler “démocratie” un système où le choix n’est offert qu’entre une douzaine de mandarins-malandrins ligotés par des partis, et où un orateur passe de 0,1 à 15% d’intentions simplement parce qu’on a donné la consigne de le faire exister.

     « Eh quoi? Mille, dix mille candidats? Un million? T’imagines le souk? Et avec toutes les chances qu’il en émerge un démagogue paranoïaque! T’oublies la Bombe! T’as point d’éfants! Mieux valent des canailles éprouvées et exténuées : on sait au moins qu’on n’en mourra pas, puisqu’on n’en est pas mort. » Ma foi, je n’imagine pas non plus un million de romans frais de l’an sur les étals, et n’ai pas de solution à proposer : je retire simplement mes billes, et serre sur mon cœur la licence qui m’en est laissée. Du reste, je n’accorde qu’une importance symbolique à quels culs se calent dans le Fauteuil Suprême, devinant combien étroite est leur liberté de manœuvre. Mais n’est-il pas stupéfiant qu’on se déplace encore jusqu’à l’isoloir pour choisir entre deux faces de carême dont on ne voudrait pas pour commensaux? Et plus stupéfiant encore qu’on le trouve normal?

     Le choix démocratique repose sur l’information. Qui tient l’info n’impose pas nécessairement le choix, puisque celle qu’il dispense est de plus en plus suspecte, et j’enregistre comme une victoire tout résultat, fût-il aberrant, qui crache à la face de la presse et de la télé. La mobilisation anti-lepéniste en revanche m’indispose – bien que j’aie mes raisons pour trouver ce gars-là peu attrayant – dans la mesure où le peuple semble obéir à la harangue de ses maîtres, et se laisser bluffer par des diabolisations à l’esbroufe. Ça me désoblige que ma voix à qui on ne la fait pas sombre dans celles à qui on la fait; que pour un qui se rémémore les entourloupes et promesses non tenues, dix les oublient au gré des violons; mais surtout ça m’angoisse de subodorer qu’en dépit de ma vigilance je me ferai entuber presque autant qu’un autre, car s’il est assez facile de relever certaines contradictions, comme le courage de hurler avec les loups, l’Amour de clamer sa haine (de la haine, bien sûr), la démocratie de faire taire l’adversaire, et toutes les variantes de « pas de liberté pour les ennemis de la liberté », ou de mettre en regard ce qu’on a pu espérer du “socialisme”, et ce qu’on en a obtenu, il est quasi impossible de supposer une information qui nous est totalement celée. Je refuse de jouer à l’aveuglette, en compagnie d’aveugles qui se croient voyants.

     Le jour où il s’agira de balayer cette racaille, je ne serai pas le dernier… Mouais. Faut voir. Ledit jour s’est fait de plus en plus improbable, je mourrai sans doute sans le connaître, et suis de plus en plus loin de m’en désoler; en attendant je ne me sens à ma place dans aucune manif pour la préservation de vos privilèges et de vos quatre sous, et au fond pas si mal à l’aise dans un monde qui me laisse encore la latitude de me retirer du jeu. La surenchère démocratique et révolutionnaire n’est venue colorer que tardivement l’inappartenance, le rouge-et-noir se délave et s’insole, et le roc nu, c’est que je n’en suis pas : votre président n’est pas le mien, puisque je n’ai pas voté pour le vote, vos lois ne me concernent pas, puisque je n’ai pas signé de carte blanche aux législateurs. Français, moi? Par la langue, tout au plus. Mais il y avait un peu plus qu’une blague dans la “République libertaire de B***rie” dont j’osais coller la plaque à ma porte, en des temps où le besoin d’attirer l’attention l’emportait encore sur la peur de ça même. Les historiens m’étonnent, qui introduisent des “nous” dans un récit de Bouvines, de Fontenoy ou de Jemmappes.

     Mais le patriotisme m’est-il si étranger? Il faudrait y regarder de près, car il me semble parfois le bouder – comme le football ou le carnet mondain des célébrités! La vieille histoire : sentiments et sensations sont si faibles, si douteux, que lorsqu’ils m’isolent je les suspecte d’être fabriqués pour ça. Quoi de plus chiatique, pourtant, qu’une partie de foot, ou les jérémiades consécutives au trépas de Lady Di? Mais pourrais-je jurer qu’une bonne déculottade française, un Pavie, un Rossbach, un Dien-Bien-Phu, sans parler de la dérouillée de 40, socle inébranlé du complexe d’infériorité national que dissimulent si mal les cocoricos, ne me fait rien? Qu’il me soit équilatéral de découvrir le mépris que “nous” vouent Allemands, Japonais ou Anglo-Saxons, le crypto-drapeau bleu-blanc-rouge, par exemple, des Bandar-Log de Kipling : « Regarde notre queue qui pend! » – « Et toi, tu t’es regardé, eh, gentleman? », ou l’assertion de je ne sais quel Amerloque comme quoi Sartre peut faire illusion dans sa propre langue, mais qu’une fois traduit, on voit le vent? Oui, il y a un léger frisson à censurer quand d’autres nous le servent. Et peut-être une dose de chauvinisme encore plus forte dans l’enthousiasme avec lequel je dénonce les tares de “cette colonie culturelle”, de “ce pays de merde”, qui est après tout le seul que je connaisse un peu : jubilerais-je à ce point de le conchier, m’y sentirais-je autorisé, si je n’en faisais partie? Pas solidaire, ah certes non, ni de ses foules ni de ses auto-élites, mais je n’exclus pas la biffure d’un premier mouvement, survivance d’un âge où la crampe de Jazy à vingt mètres du poteau, ou “notre” unique médaille d’or aux J.O. (de Tokyo : j’avais quatorze ans) furent des événements – âge d’ailleurs, peu s’en faut, auquel j’écrivais un poème à John-John Kennedy, prématurément orpheliné par un triste salaud auquel je ne songeais certes pas à m’assimiler! La révolte domestique, et brouillonne, se détachait alors sur fond d’entier suivisme, dont je me demande souvent si je ne me suis pas contenté de prendre le contre-pied…

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