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Inventaire avant liquidation

[Outrage et offense; récurrence des ruptures]

15 Juillet 2015 , Rédigé par Narcipat Publié dans #16 - 17 : La Lettre au Père - Un traître

     Je ne taris pas de sarcasmes à l’encontre de l’usage hédonique de la parole, d’origine féminine, qui aurait triomphé du véritaire ci-devant masculin, et dont la vérité plurielle ne serait qu’un corollaire : normal et naturel, puisqu’à chacun la sienne, de ne se préoccuper que de l’effet qu’elle fait, et de départager les assertions non en fonction de leur pertinence, mais du plaisir et du déplaisir qu’elles procurent. J’ai déjà cité des cas extrêmes de refus du vrai et de la lucidité, qui ne m’empêchent pourtant pas de penser que les femmes sont plus réalistes que les hommes, bien qu’elles ne comprennent rien aux systèmes – ou parce que? En tout cas elles me semblent accepter sans état d’âme d’abriter en elles des propositions contradictoires, que la voyance c’est du pipeau, mais que leur voyante voit tout, que les défauts les plus honnis se trouvent transfigurés en vertus chez celui qui les a choisies, etc : un fait polémique ne trouble guère une femme, pas plus que l’idée qu’elle se fait d’elle-même ne l’empêche de se comporter à l’opposé dans l’heure qui suit. Halte à la dig! Je ne voulais que souligner mes propres contradictions, et les limites de mon soi-disant appétit de vérité, qui par moments semble bien n’être pas autre chose qu’un gourdin pour dérouiller les autres. Je n’irais certes pas briser tout de go le miroir où j’apparaîtrais en laid, j’y mettrais des formes, mais je ne peux pas m’empêcher de trouver des justifications intimes à la perversion hédoniste, et même à l’échange de casse et de séné sur lequel elle débouche.

     Du reste, j’ai mis beaucoup d’eau dans mon vin depuis mon épineuse adolescence. J’ai toujours la dent dure, et trouve volontiers des qualités littéraires au discours flétrisseur, même quand il n’est pas de moi, mais en général je me contente de larder les absents, ce qui incommode peut-être ceux des présents qui ne se croient pas d’une essence supérieure, et devinent que leur tour viendra dès le dos tourné, mais tout de même moins que de prendre leur paquet en pleine poire. « En fait d'injures, de sottises, etc., je trouve qu'il ne faut se fâcher que lorsqu'on vous les dit en face. Faites-moi des grimaces dans le dos tant que vous voudrez, mon cul vous contemple » : cette commode règle de vie que Flaubert essaie d'inculquer à Louise Colet va sans doute sans dire pour bien des gens. Or j’ai à peu près cessé de jouer au jeu de massacre, du moins sans provocation, d’abord parce que mes relations sont réduites à quasi-rien, ensuite parce qu’aucune ne me tient à cœur, enfin parce que j’ai compris que la critique n’était jamais reçue comme constructive. En douze mails courts et deux rencontres par an, je n’ai pas la place d’assener à Irène que je la trouve nulle comme actrice; et je ne suis pas sûr que je le ferais, même si elle me sommait d’expliquer pourquoi j'élude ses invitations; en tout cas j’invoquerais l’altérité, la vérité plurielle, et mettrais en rapport avec le bouquin que je lui ai donné sur sa demande, et qu’en deux ans elle n’a pas été foutue de lire. Notre art nous est l’un à l’autre étranger… Combien de temps faudrait-il pour que remonte de la cave : tu es doublement mauvaise, et par ta prod’ et par ton appréciation : tout se tient? L'espace d’un dîner, j’en ai peur : autant s’en abstenir.

     Je n’ai pas renoncé à asticoter les gens, quand j’en rencontre; mais en général je fais patte de velours plus qu’autrefois, et quand une bombe éclate, c’est déclenchée par ce que j’appelle une offense, qui présente cette caractéristique (laquelle la distingue de l’outrage) d’être inconsciente ou semi-consciente, donc de ne pas même me remarquer assez pour me prendre pour cible. Je persiste à me piquer de préférer la sincérité à la politesse, et à fêter celui qui me traite de canaille ou d’imbécile, surtout s’il donne ses raisons : il ne me fait certes pas plaisir, mais le dialogue n’est pas rompu, du moins de mon fait. L’offenseur, c’est celui qui coupe mon laïus pour s’adresser à un autre, ou simplement répondre à un coup de turlu; qui, lorsqu’il a quelque chose à me dire, se permet de m’appeler, restant planté sur place; qui balaie mon argument d’un revers de manche, sans même l’examiner; qui traînasse à un guichet, et raconte sa vie, pendant que je piaffe derrière; qui laisse deux jours ou un mois une lettre sans réponse, parce qu’il a autre chose à faire, alors que sous-entendu moi non : la liste serait sans fin, et si l’éclat s’ensuit, n’est-ce pas du fait même de cette inconscience? D’une certaine façon, je prétends prouver le mauvais procédé par sa répercussion sur moi, à moins que je ne trouve plus politique de la cacher, pour insinuer au faquin qu’il ne peut m’atteindre, et de me faire aussi saurien que lui. Je sens bien que quelque chose ne colle pas, puisqu’en bonne justice on ne saurait être responsable que d’un acte délibéré, et en bonne morale, que d’une nuisance qu’on ressentirait soi-même, rôles inversés. Beaucoup à dire d’ailleurs sur le second point, les crocodiles qui vous infligent les affres de l’attente avec la dernière désinvolture ne les endurant pas toujours aussi volontiers. Mais quand même le principe de réciprocité serait respecté, que voulez-vous, je ne m’en dépite pas moins d’être traité par-dessous la jambe – au point, quasiment, de faire grief à l’adversaire, quand je le traite mêmement, de ne pas s’en aviser! J’ai beau me raisonner, rien ne me paraît plus insultant que le mépris, voire la simple négligence, qui me paraît toujours comporter un jugement de valeur. Du reste la bombe n’éclate pas toujours, souvent je me borne à me retirer, gardant par devers moi ma diatribe, pour le cas où l’on me demanderait des explications : non sollicitées, elles perdent trop de leur virulence.

     Ce qui ne laisse pas de me troubler, c’est la récurrence des ruptures : j’use à grande vitesse le cheptel humain, et les meilleures résolutions n’y changent rien. Depuis dix ans que j’habite cet immeuble, tout le monde m’y salue, à part quelques membres mal informés de la Ligue Arabe, et les voyous, qui ne saluent personne. Mais il ne s’agit que de relations superficielles, et dès que j’entre avec quiconque en contact plus “exigeant”, la brouille menace. Du temps de ma vie salariée, c’était bien en vain que je changeais de crémerie presque tous les ans : j’abordais un nouveau bahut avec les meilleures résolutions de faire profil bas, et en quelques mois, je parvenais à me mettre à dos la moitié des collègues – et tous les chefs. Mes deux “grandes liaisons” ont duré respectivement quatre ans et quatorze mois. L’ultime (avec Zoé) au plus dix week-ends et douze jours de vacances.  Patrick Declercq, dont le bouquin est un des fort rares à m'avoir interpellé depuis belle lurette, semble toucher juste : “les soignés, incapables de symboliser, de métaboliser psychiquement leurs pulsions, se présentent comme s’ils étaient condamnés à répéter ad nauseam des passages à l’acte autodestructeurs. Ces passages à l’acte, ruptures brutales auto et hétéro agressives des liens, sont sensiblement les mêmes, qu’il s’agisse de liens thérapeutiques, familiaux, amoureux ou amicaux. La grande désocialisation est, avant tout, une pathologie du lien. Du lien à soi-même, comme du lien aux autres et au monde.” À tout vouloir y mettre, évidemment, le sens s'en va. Et, simple ermite urbain, je n'entre pas encore au club des clodos : "grand désocialisé", soit, mais en chambre. Il n’en reste pas moins… quoi? Pas de précipitation! Ai-je pris l’initiative de toutes ces ruptures, les ai-je déclenchées, dois-je en rendre responsable mon incompatibilité d’humeur et d’esprit avec mes dissemblables, qui n’auraient fait que subir, et que du coup je fourre en vrac dans le sac des "gens normaux", indifférenciés, à jeter en Seine sans état d'âme! D'ailleurs, même s'ils avaient tous les torts, je pourrais encore m'accuser de ne fréquenter que des tarés, ou d'une sorte de génie stavroguinien à extraire leur pire de tous ceux qui m'approchent. Peut-être conviendrait-il d’étudier sérieusement quelques cas avant de courir aux conclusions.

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