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Inventaire avant liquidation

[Et l’amitié?]

28 Janvier 2018 , Rédigé par Narcipat Publié dans #66 - 67 - 68 - 69 : Indolescence - Quo non descendet? - Ultimes luluttes - Ultimes révélations?

 

    Quant aux “potes”… Cette époque en semble, comparativement, pleine. Et comme il n’y figure ni “grands projets” imaginaires (comme cette course de chars tout droit sortie de Ben Hur, et qui ne s’était matérialisée, dans le grenier, qu’en une caisse sans roues ni timon) ni accident suivi d’hospitalisation, il est clair que le vide qui m’habitait était plus à l’aise dans sa peau qu’en six et cinquième. Mais les potes, c’était le franco-alaskien Sh***, un gars au teint jaunâtre (quelque quart de sang inuit?), d’une notable insignifiance, si j’ose dire, et pas très futé, puisqu’il m’apprit à jouer aux échecs, et à dater de la cinq ou sixième partie les perdit toutes (à peu près ce qui m’arriva, dans la foulée, avec mon frère, que je ne battais qu’aux concours!), pas plus doué en physique-chimie qu’ailleurs, si mes souvenirs sont exacts, mais il a dû compenser par la persévérance, puisque, “chercheur senior”, il dirige actuellement à *** des thèses dont le seul titre pourrait servir de somnifère. Notons tout de même le succès d’artificier qu’il remporta en faisant sauter un chapelet de pétards sous l’estrade de la “distribution des prix”, et que nous nous efforçâmes en vain d’imiter l’année suivante. Sa mère lui avait fait défense de me fréquenter, après lecture des insanités signées de nos noms (“Mériterait d’être décoré de la légion d’horreur.”) dans le livre d’or de l’expo de notre prof de dessin (ou plutôt ex-tel? L’outrecuidance de juger d’art sans rien y connaître me ressemble tout à fait, mais pas le courage de braver les représailles…), et retira à temps son rejeton d’un établissement scolaire qui tournait au repaire de brigands. Je me souviens de notre ultime échange, par condisciple interposé (aussi terne que lui, et bien sûr on ne voit qu’eux sur trombi.com ou copainsdavant [1]) : « Ta mère te fait-elle toujours tes devoirs de physique? Quand pars-tu au Viet-Nam? » (Il eut au moins l’esprit d’éviter le deux par un prolongement de fac au Canada.) Et, en réponse, qu’il me souhaitait de “mauvaises vacances”. Les potes, c’était aussi le subalterne W***, alias Turpin de Reims, alias Ganelon un ou deux ans plus tard, gamin gauche et mal fagoté que je revis en 69 métamorphosé en minet à Porsche : il eut le temps de me révéler que Claire concubinait avant de se tuer au volant. (Moi : « Bien fait! » Ma mère : « Ah, moi, ça m’a fait kekchose. » Question : lequel était le plus touché? Réponse : elle, mais de peu.)

 

 

[1] Qui m’a lu sait assez que je n’ai contre le mépris aucune objection de principe. Encore faut-il qu’il soit grand teint, et c’est de quoi l’on se prendrait à douter, en me voyant, le 30 décembre, passer deux heures à trousser le brouillon de poulet que voici : 

    « Cher Professeur,

    Je ne sais si la signature vous rappellera quelqu’un, il serait sans doute préférable que non, attendu que le méchant gamin, histrionique et prétentieux, qui portait mon nom il y a un demi-siècle n’était pas fait pour laisser des souvenirs agréables. A-t-il beaucoup changé depuis, je n’en suis pas si sûr… Quoi qu’il en soit de ce dernier point, ce qui me décide à braver la rebuffade ou le silence, ce sont deux questions que j’aimerais vous poser, hormis celles touchant votre parcours personnel : l’une relative à la doc (essentiellement photographique : j’ai pour ma part tout brûlé au lendemain du bac) que vous pourriez détenir sur notre lopin de passé commun (Annexe Internationale des P***, 62-65), auquel je reviens ces temps-ci avec un attendrissement à classer sans doute parmi les prémices de la sénilité; l’autre s’adressant à vos compétences professionnelles, et exigeant des précisions aussi longues que probablement niaises : je préfère, avant d’étirer la correspondance, m’assurer que la seule évocation du correspondant ne vous mettra pas en fuite : c’est arrivé. Pour que le revenant s’en retourne, il suffira de laisser ce mot sans réponse. Le dernier que je reçus de vous, en 1968, via un condisciple, fut un « Mauvaises vacances! » que j’avais surabondamment provoqué, et qui m’amusa. Il n’est que temps de rentrer dans le rang en vous souhaitant une heureuse année 2018, et en vous félicitant, mieux vaut tard que jamais, de vos succès universitaires.

    J’adopte le voussoiement, pour ne pas avoir l’air de me prévaloir d’une “connaissance” si ancienne que son objet serait sans doute à redécouvrir in toto. Mais le tutoiement me serait venu spontanément : donc, à votre, ou ton, choix. »

    Les deux questions n’étaient pas du flan : je donnerais assez cher pour retrouver le visage de Claire sur une de ces photos de classe dont j’ai brûlé mes exemplaires, de fait, il y a cinquante ans; et d’autre part, la question du linceul de Turin, de la nature et de l’origine de la Trace, quoique mise au frigo le temps de finir mon bûcher (des vanités, ou celui de ma géhenne éternelle), persiste à hanter mes songes. Or Sh***, ou sa maman, était du genre à bichonner ses souvenirs; et, en tant que chimiste, bien qu’on soit loin de sa spécialité, il devrait savoir si une peinture, ou la sueur mêlée à l’aloès, ont pu impérissablement oxyder ce fichu lin. L’idée de faire d’une pierre deux coups, en frappant à la porte d’un être gris dont l’aval ou le rejet devrait m’indifférer, quoique puérile d’aspect, n’était pas si mauvaise. Mais sincère?… Il se peut que je me fiche de mes deux Saintes Faces, et qu’en dépit de mes affectations d’autarcie j’aie surtout cherché quelqu’un à qui parler… Je ne m’en suis pas moins dégonflé le lendemain, en remettant l’ouvrage à l’établi : au fond, il suffit d’avoir, si peu que ce soit, réussi pour m’intimider, du moins à distance. Le troisième carnavalier, “particulièrement minable”, dans le Don Juan de Montherlant : « Moi, je prends mes relations plutôt au-dessous de moi, pour garder toujours le haut du pavé. » Mais je suis plus minable encore : car moi, ce sont elles qui me prennent – ou rien.

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