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Inventaire avant liquidation

[Introduction au pervers narcissique]

31 Mai 2017 , Rédigé par Narcipat Publié dans #59 : Pervers narcissique?

PERVERS NARCISSIQUE?

 

 

    J’ai commenté sur mon blog narcipat, à de longs intervalles, Le harcèlement moral de Marie-France Hirigoyen, puis ses Femmes sous emprise et ses Nouvelles solitudes, avec une virulence croissante. Le lecteur qui signait “Averell Dalton” s’étonnait de cet “achargnement” : « Ce qui “pose problème”, un problème que tes explications sont loin de résoudre, c’est qu’il s’agit du troisième livre de cet auteur que tu t’emploies à éreinter, livres de vulgarisation, bavardages sans consistance, destinés à flatter un public, et qui en aucun cas ne justifient une attention si soutenue. Tu perds ton temps, tu le dis toi-même, mais qui donc t’y oblige? Y aurait-il un cadavre dans le placard ? Où est donc l’intérêt de démontrer, à supposer que tu y arrives, que de tels ouvrages ne méritent pas d’être lus? La vague de la vogue les apporte et les remporte, il en éclôt dix frais chaque mois, seul un chroniqueur spécialisé pourrait se sentir tenu d’en rendre compte. N’existe-t-il pas des théoriciens un peu plus dignes d’être affrontés, et si possible, avec plus de courtoisie ? Car les qualificatifs injurieux ne sont pas des ARGUMENTS. […] Et quand tu parles de “poussahs vidés”, peut-être s’imposerait-il de faire un retour sur toi-même. […] » J’eus évidemment beau jeu de lui répondre que je trouvais mes “injures” plus déférentes que son dédain, et que j’affrontais des adversaires à ma taille, la plupart des “théoriciens” dont il parlait s’avérant trop abstraits pour moi. Jeu d’autant plus beau, d’ailleurs, qu’Averell Dalton, on l’a deviné, n’était autre que moi-même, comme les deux tiers des commentateurs de ce blog, et les seuls intéressants, à mon avis.

    Sans doute mes invectives étaient-elles à base d’envie, à l’égard d’une mémé qui vend ses élucs dans les kiosques, alors que les miennes, un peu plus chiadées, se tordent dans leur cercueil insonorisé. Et l’exaspération atteignit son comble avec le dernier bouquin, que, sur la foi de son titre, je supposais traiter de mon cas : il existe bien, en effet, de “nouvelles solitudes”, largement dues à notre enrichissement et à notre atomisation, qui fait le beurre des marchands (il est plus rentable de vendre cent bagnoles qu’un seul bus, ou cent machines à laver individuelles qu’une collective, je sais que je l’ai déjà dit) et favorise le narcissisme. Le bigophone portable te relie, où que tu sois, au cercle des déjà-connus, et te coupe du passant; la multiplication des rencontres possibles raréfie et superficialise les rencontres réelles, etc; bref, le sujet m’intéressait, ô combien, et j’exhalais ma rogne qu’il ne fût pas traité, cette niaise bougresse n’ayant aucune notion de ce que peut être la solitude d’une vie : elle ne la conçoit que pour une soirée avec un bon bouquin, pour elle tout solitaire a un compagnon; et non seulement elle ne connaît que le couple, mais elle rend systématiquement responsable de ses dysfonctionnements la part mâle d’icelui, avec des précautions oratoires parfaitement bidon. Je ne crois pas être suspect d’indulgence pour les messieurs, et encore moins pour moi-même, mais il m’irrite de “nous” voir accusés de tous les maux, et sottement, qui pis est, les exemples de mecs qu’elle citait étant pour la plupart caricaturaux ou obscurcis de gloses ridicules. 

    Il n’en est pas moins vrai que c’est le Harcèlement moral qui m’a présenté pour la première fois au pervers narcissique, notamment aux pp 149-164, qui prétendent dresser le portrait de l’agresseur, et où je me suis largement reconnu – celui du moins que je fus avec la pincée de femmes et de fillettes qui, par inadvertance, ont partagé ma vie. Auto-identification non pas exceptionnelle, mais plutôt rare, puisque neuf tartines-web sur dix qui abordent ce syndrome se bornent à prodiguer des conseils pour échapper à l’emprise desdits pervers, le plus souvent en fuyant leur personne, conseils que j’estime au demeurant légitimes, en dépit des biais pernicieux qu’ils présentent. Suis-je, fus-je un pervers narcissique, et d’abord, est-ce que cette bête-là existe? La question n’est pas frivole, et l’examen méthodique de ces quinze pages (avec incursions occasionnelles dans le reste du bouquin, les autres ne faisant, pour l’essentiel, que reproduire le premier) n’est pas condamné d’avance à l’inutilité. Comme mes commentaires risquent d’en rendre la lisibilité problématique, et que je tiens à être, ou au moins paraître, équitable à l’égard de l’adversaire, je vais commencer par recopier d’un seul tenant la prose de mon auteur(e), en bleu, pour ne me déchaîner qu’ensuite, en noir, comme il se doit, sur un double du texte d’azur.

 

 

    L’AGRESSEUR

 

    Tout sujet en crise peut être amené à utiliser des mécanismes pervers pour se défendre. Les traits de personnalité narcissiques sont assez communément partagés (égocentrisme, besoin d’admiration, intolérance à la critique) : ils ne sont pas pour autant pathologiques. Par ailleurs, il nous est à tous arrivé de manipuler autrui dans le but d’obtenir un avantage, et nous avons tous éprouvé une haine destructrice passagère. Ce qui nous distingue des individus pervers, c’est que ces comportements ou sentiments n’ont été que des réactions passagères, et ont été suivis de remords ou de regrets. Un névrosé assume son unité à travers des conflits internes. La notion de perversité implique une stratégie d’utilisation puis de destruction d’autrui, sans aucune culpabilité.

    Nombreux sont les psychanalystes qui revendiquent une part de perversité normale chez chaque individu : « Nous sommes tous des pervers polymorphes! » Ils font référence à la part perverse qui existe chez tout névrosé et qui lui permet de se défendre. Un pervers narcissique ne se construit qu’en assouvissant ses pulsions destructrices.

    La perversion narcissique

    [Bref historique du mot et du concept de perversion, inutile à mon affaire.] 

    Le terme de narcissisme apparaît pour la première fois chez Freud en 1910, à propos de l’homosexualité. Par la suite, il distinguera le narcissisme primaire du narcissisme secondaire. Cette notion de narcissisme primaire est sujette à de nombreuses variations dans la littérature psychanalytique. Nous n’entrerons pas dans ce débat, mais il est à noter que Freud, dans les premières lignes de Pour introduire le narcissisme, déclare avoir emprunté ce terme à P. Näcke (1899), qui l’avait utilisé pour décrire une perversion. En fait, Näcke a bien forgé le mot Narzissmus, mais pour commenter les vues de H. Ellis qui, le premier en 1898, a décrit un comportement pervers en relation avec le mythe de Narcisse.

    Si Freud reconnaît l’existence d’autres pulsions que sexuelles, il ne parle pas à leur propos de perversion. Il existe une ambiguïté dans l’adjectif pervers, qui correspond aux deux substantifs “perversité” et “perversion”. Du point de vue de la psychanalyse, la perversion est une déviation par rapport à l’acte sexuel normal, défini comme coït visant à obtenir l’orgasme par pénétration vaginale, tandis que la perversité qualifierait le caractère et le comportement de certains sujets témoignant d’une cruauté ou d’une malignité particulière. Bergeret différencie les perversions de caractère, qui correspondent aux pervers atteints de perversité, des perversions sexuelles.

    Le psychanalyste P.-C. Racamier est un des premiers à avoir élaboré le concept de pervers narcissique. D’autres auteurs, dont Alberto Eiguer, ont ensuite tenté d’en donner une définition : « Les individus pervers narcissiques sont ceux qui, sous l’influence de leur soi grandiose, essaient de créer un lien avec un deuxième individu, en s’attaquant tout particulièrement à l’intégrité narcissique de l’autre afin de le désarmer. Ils s’attaquent aussi à l’amour de soi, à la confiance en soi, à l’auto-estime et à la croyance en soi de l’autre. En même temps, ils cherchent, d’une certaine manière, à faire croire que le lien de dépendance de l’autre envers eux est irremplaçable et que c’est l’autre qui le sollicite. »

    Les pervers narcissiques sont considérés comme des psychotiques sans symptômes, qui trouvent leur équilibre en déchargeant sur un autre la douleur qu’ils ne ressentent pas et les contradictions internes qu’ils refusent de percevoir. Ils « ne font pas exprès » de faire mal, ils font mal parce qu’ils ne savent pas faire autrement pour exister. Ils ont eux-mêmes été blessés dans leur enfance et essaient de se maintenir ainsi en vie. Ce transfert de douleur leur permet de se valoriser aux dépens d’autrui.

    Le narcissisme

    La perversion narcissique consiste en la mise en place sur une personnalité narcissique d’un fonctionnement pervers.

    Dans le DSM IV, manuel de classification internationale des maladies mentales, on ne trouve pas la perversion narcissique parmi les troubles de la personnalité. Sont prises en compte seulement les perversions sexuelles dans la rubrique des troubles sexuels, ou des troubles de la personnalité. 

    [Voir chapitre précédent]

    La description qu’a faite Otto Kernberg en 1975 de la pathologie narcissique est très proche de ce qu’on définit actuellement comme la perversion narcissique : « Les principales caractéristiques de ces personnalités narcissiques sont un sentiment de grandeur, un égocentrisme extrême, une absence totale d’empathie pour les autres, bien qu’ils soient avides d’obtenir admiration et approbation. Ces patients ressentent une envie très intense à l’égard de ceux qui semblent posséder les choses qu’ils n’ont pas ou qui simplement semblent tirer du plaisir de leur vie. Non seulement ils manquent de profondeur affective et n’arrivent pas à comprendre les émotions complexes des autres, mais leurs propres sentiments ne sont pas modulés et connaissent de rapides flambées suivies de dispersion. Ils ignorent en particulier les sentiments véritables de tristesse et de deuil; cette incapacité à éprouver des réactions dépressives est un trait fondamental de leur personnalité. Lorsqu’on les abandonne ou qu’on les déçoit, ils peuvent se montrer apparemment déprimés, mais à un examen attentif, il s’agit de colère ou de ressentiment avec des désirs de revanche plutôt que d’une véritable tristesse pour la perte de la personne qu’ils appréciaient. »

    Un Narcisse, au sens du Narcisse d'Ovide, est quelqu'un qui croit se trouver en se regardant dans le miroir. Sa vie consiste à chercher son reflet dans le regard des autres. L'autre n'existe pas en tant qu'individu mais en tant que miroir. Un Narcisse est une coque vide qui n'a pas d'existence propre ; c'est un “pseudo”, qui cherche à faire illusion pour masquer son vide. Son destin est une tentative pour éviter la mort. C'est quelqu'un qui n'a jamais été reconnu comme un être humain et qui a été obligé de se construire un jeu de miroirs pour se donner l'illusion d'exister. Comme un kaléidoscope, ce jeu de miroirs a beau se répéter et se multiplier, cet individu reste construit sur du vide.

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