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Inventaire avant liquidation

[De quatre à cinq]

8 Avril 2017 , Rédigé par Narcipat Publié dans #58 : Narcissisme 1 : DSM

     En l’état, DSM-V semble en retrait sur IV : l’envie, et, me semble-t-il (car le “personal gain” peut être purement psychique), l’exploitation, ont disparu. On a atteint ici un tel degré de généralité qu’il devient quasi-incroyable que ce trouble n’affecte, comme on le prétend, que moins d’un pour cent de la population! Je ne saurais affirmer que j'aie rencontré dans la vie un seul être qui s’intéresse spontanément aux expériences d’autrui, ou n’ait pas la “ferme conviction (dissimulant ou non son contraire) de valoir plus que les autres”, mettons que la plus grande part d’entre eux. À tous les alinéas je retrouve la majorité des humains que j’ai côtoyés. Mais primo, cette compréhension projective, cette perception de l’autre comme copie mal dégrossie de soi, cette “forclusion de l’altérité” pourrait bien être un trait dominant de la personnalité narcissique, trait omis dans ce balisage sommaire; secundo, tout joue sur les quantités, les intensités, et c’est bien ce qui rend assez vains ces portraits-modèles : excessif… exagéré… déraisonnable… trop… sous-estime… surestime… Jusqu’où est-il normal de se préoccuper de l’avis des autres? Comment mesurer le trop? Ça paraît facile face à un franc cinglé, mais notre petit désordre est généralement en demi-teinte.

    J’avais une perception critique du “vrac” des caractéristiques énumérées en DSM III et IV, surtout quand elles se chevauchaient; je trouvais choquant qu’il fallût présenter cinq symptômes sur neuf, quels qu’ils fussent, le structurel n’étant pas distingué de l’accessoire. Il y a dans le V un effort pour mettre un peu d’ordre dans cette écurie; mais le découpage ne me paraît pas un progrès, dans la mesure où il est factice et illogique : pourquoi séparer un grand A d’un grand B, si la totalité de ce B reproduit les items du A, ou s’en déduit inéluctablement? Quand on a dit qu’un bonhomme fonctionne sur une “référence excessive aux autres” et “se fixe des objectifs pour être approuvé d’eux”, le B1b, Attention seeking, est manifestement superfétatoire. Le “sense of entitlement” se retrouve aussi bien en A1b qu’en B1a. Et l’on voit mal l’utilité, voire le sens, de séparer le personal de l’interpersonal, quand ils sont également régis par une dépendance excessive! Disons-le net, si cette page du DSM V nous était donnée non comme le PGCD de 170 psys américains, qui va servir de base aux prescriptions dans les deux décennies à venir, mais comme l’élucubration d’un autodidacte de banlieue dans mon genre, on n’hésiterait pas à écarter d’un haussement d’épaules ce portrait du TPN comme une petite merde insignifiante.

    À part cette “structure” destinée à faire passer toutes les personnalités à une toise commune, et qui ne manquera pas de disparaître à la prochaine édition comme trop didactique et orientée, le changement majeur qu’on observe du IV au V tient dans l’intégration des formes inversées, inhibées, hypervigilantes, du narcissisme : au moins cinq traits sur neuf du IV batifolaient dans la mégalomanie, et le tir n’était nulle part rectifié. Alors que ce qui frappe à la synthèse, dans la nouvelle mouture, c’est cette alternative du sommet et de l’abîme, ou la constante navette de l’un à l’autre : gonflée ou dégonflée, osciller d’un extrême à l’autre, déraisonnablement élevées ou trop basses, sous-estime ou surestime : comme si la vésanie tenait moins dans le souci excessif de la valeur du self que dans le dérèglement constant de l’auto-évaluation, perdue entre les deux infinis. Lequel est premier, de la surestimation ou de la sous-estimation de soi? Le fait qu’elles soient associées à un recours morbide à l’opinion des autres me semble indiquer que c’est la seconde, et il me semble que cet avis prévaut chez les pros : la personnalité narcissique s’édifie sur du vide, ou du moins sur une carence; mais de façon encore plus évidente, sur une incapacité à l’auto-évaluation pondérée. Rien de plus répandu? Je n’en suis pas sûr, et je donnerais cher pour apprendre si, par hasard, tous les narcisses, ou une partie significative d’entre eux, n’auraient pas manifesté, à l’aube de la vie, la même inaptitude que mézigue (selon maman) à réguler leur pompage de lolo. Rappelons-le, selon Spock & alii, bébé sait exactement ce qu’il lui faut, c’est la plus patente de ses compétences innées : on peut lui faire confiance pour cesser de sucer quand il est repu. Or il paraît que je me gorgeais sans garde-fou, quitte à régurgiter l’excédent ensuite : d’emblée, apparemment, je n’étais pas fixé, et l’avidité ne connaissait pas de bornes. Ce qui est bien gênant, quand on voudrait lier le dévoiement narcissique à un rejet en tout cas postérieur à la naissance. 

    Outre ce dilemme de base, il subsiste deux points essentiels de discorde (ce qui fait beaucoup, car il n’y a pas grand-chose dans ce portrait) : sur l’empathie, dont l’existence n’est toujours pas établie, chez quiconque : je sens bien que le défaut de base de ma perception d’autrui, c’est de ne s’intéresser qu’à des reflets de moi-même, et de délaisser tout ce dont je ne peux pas faire une lecture projective; mais je m’obstine à penser que c’est la seule manière de comprendre les autres, et qu’à défaut de ça, on ne peut plus que les décrire en extériorité. Seconde pierre d’achoppement, ce sense of entitlement, dont je me crois au moins guéri, mais peut-être ne me suis-je pas assez scruté : est-ce que j’estime qu’il me soit plus d’attention, d’amour, d’admiration, qu’au voisin? Pas quel que je sois : je n’exige pas, par exemple, qu’on admire mes écrits, encore moins qu’on les loue, mais qu’on les lise, qu’on m’écoute, qu’on me réponde, et, oui, qu’on les admire, les diffuse, etc, mais seulement s’ils le méritent : rien d’autre que la ration commune. S’ils ne valent rien, il ne leur est , au mieux, qu’un éreintement. Maintenant, savoir si cette relative modestie ne résulte pas d’un déplacement du sense of entitlement sous la pression du principe de réalité? Quand j’étais môme, et jusqu’à la fin de l’adolescence (ou de l’âge d’icelle, car je crois l’avoir complètement loupée), n’ai-je pas postulé qu’il m’était dû au moins le vivre et le couvert, des égards spéciaux, etc? Si, mais en tant que génie, voire de plus grand génie que la terre eût porté. Seulement, quelle différence, puisque rien n’en était visible, puisque tout le visible, c’était la bêtise, l’ignorance et l’inadaptation? Puisque mon génie ne relevait que du vouloir-être? Et au fond, répétons-le encore, ai-je tellement changé? Je m’agace du gamin qui, dans ses copies, donnait des leçons à Pascal, Marx et Nietzsche. Mais qu’est-ce que je fais d’autre, en ce moment, quand, sans guère de précautions oratoires, je traite de “petite merde insignifiante” l’œuvre de 170 psys (même payés par l’industrie pharmaceutique, car elle n’a pas encore créé, que je sache, de comprimés, de potion ou de piqûre anti-narcissique), sans la moindre assurance d’y piger goutte, et armé de mon seul cas?

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