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Inventaire avant liquidation

[Auto-examen, 3 : exploitation d’autrui, 1]

5 Avril 2017 , Rédigé par Narcipat Publié dans #58 : Narcissisme 1 : DSM

    Est-ce que, remontant d’un cran, j’ai fait quelques pas, depuis la tartine que je lui ai consacrée dans Peter Pan, vers la réponse à cette question : « Suis-je, ou non, s’entend plus qu’un autre, un exploiteur? » Ce que je trouve assez rageant, c’est que dans peu de semaines je vais “publier” ces pages sur mon blog (qui me talonne, attendu ma lenteur de rédaction […]) dont la seule supposée lectrice régulière est la personne que je serais le plus suspect d’avoir “exploitée”, au cours, mettons, des vingt dernières années, et serait donc susceptible de relancer le débat en quelques lignes, qui n’auraient aucun mal à être plus distanciées que les miennes… À dire vrai, si je m’abstiens de les demander, ce n’est pas par répugnance pour un supplément d’exploitation, mais par une crainte, qui confine à la certitude, de ne pas les obtenir : l’inhibition spécifique des autres a son mot à dire. (En matière de lignes ou de pages, soit dit en passant, je n’ai pas de créancier!) Mais avaliserais-je une accusation formelle, la discuterais-je posément, ou mettrais-je les bouts en claquant la porte? On décèle tout de même sans se fouler une légère contradiction entre la théorie et la pratique… sauf que je maintiens qu’on peut tout me dire, à condition de ne pas prétendre à un pouvoir. Hélas, la distinction est subtile, parfois spécieuse, peut-être. Au reste, il ne me gêne en rien d’être exploiteur, voire ingrat, pourvu que je le sache – et, bien sûr, n’y persévère pas, la question du châtiment post mortem n’étant toujours pas réglée.

    Il est hors de doute que je suis un parasite : je ne suis pas à grande distance de ma 70ème année, et, sur ce total (qu’au reste je m’apprête volontiers à dépasser), j’aurai bossé à peu près le tiers du temps; les deux tiers, pourrais-je soutenir, puisque je me tapais, hors-vacances, des semaines de 70 à 90 heures; et si je me mettais en tête d’inclure toutes les lectures effectuées avant ma retraite, dont aucune n’était absolument sans incidence sur mon enseignement, j’arriverais sans effort à mes 35 ans réglementaires à 40 heures, dont ma pension de misère ne me paie pas! Ajoutons-en vingt d’écriture, qui m’a coûté autant ou plus de sueurs que si on l’avait lue… Trêve de blagues : à l’aune de l’utilité, on peut considérer que j’ai contracté à l’égard de la “société” une dette d’autant plus considérable que je crains de n’avoir guère plus servi comme prof que comme scribouillard. Je n’en fais pas un drame, mais ça pourrait expliquer que j’applaudisse au salaire de vie proposé par un des candidats à l’imminente élection présidentielle (crédité de 10% d’intentions de vote à l’heure où je trace ces lignes [1])… si je n’étais un chaud partisan de ce bond en avant de l’humanité depuis une cinquantaine d’années. Passons : on y reviendra… ou pas, quand je serai mort. Pour l’heure, le gros des connards (qui paiera la Dette sans une seule fois se demander à qui) a lu dans le poste qu’il s’agissait d’une utopie surannée. La post-modernité en la matière, toute pimpante de nouveauté, consistant à enrichir toujours davantage les 0,0001% de multimilliardaires pour le bien des masses : théorie du “ruissellement” qui a toujours réussi ce prodige, de marcher encore moins bien que le collectivisme, dont vous vous gaussez si allègrement. Jamais les cadeaux faits aux patrons n'ont été, sous quelque forme que ce soit, redistribués. Mais revenons.

    Je ne fais pas un drame d’avoir reçu plus que je n’ai donné, ni d’être devenu un parasite institutionnel, d’autant qu’absorbé la plupart du temps par des travaux et des loisirs où ne se dépensaient guère de calories, j’ai somme toute fort peu consommé. Du reste, avoir vécu de la sueur des autres ne me gênerait en rien, j’estimerais même avoir largement payé si j’avais eu du génie, et ne me sens pas si loin de substituer, en tant qu’objectif de l’humanité, (à moins que je ne me contente de le transférer dans le pérenne) au bien du plus grand nombre la production de grands hommes et de belles réalisations : les oisifs richissimes me sont odieux, mais se donner les moyens d’acquérir ou de cultiver un talent suppose qu’on jouisse tôt ou tard d’une exemption de corvée commune; et si Versailles était moins moche, a peu que les famines du règne de Louis XIV ne s’en trouvassent justifiées à mes yeux. 

    Mais ça ne signifie pas grand-chose de prendre la question de si loin : ce qui me turlupine ces temps derniers, c’est surtout d’avoir exploité mon père pendant 25 ans, et de n’avoir même pas été foutu de lui servir de bâton de vieillesse pendant 25 minutes en tout. Il ne me l’a pas demandé, soit, mais je devrais être bien placé pour comprendre ce que c’est qu’une demande inhibée. Après tout, Geneviève a ce courage de ne pas attendre une sollicitation explicite, et de braver l’ingratitude, je ne vois pas pourquoi ça me serait inaccessible. Et ce qui aggrave mon cas, c’est de n’avoir jamais manifesté, ni ressenti, la moindre reconnaissance : elle ne commence à poindre, quelle surprise, que lorsqu’il est trop tard pour la traduire en actes. Et malheureusement, ce schéma est facilement applicable à d’autres situations et à d’autres gens – lesquels, eux non plus, ne m’ont rien demandé? Disons presque rien, et, comme par hasard, à chaque fois, des services qui soit sortaient de mes cordes, soit faisaient un croche-pattes à ma sacro-sainte Écriture, laquelle était censée passer avant tout.

    Je me flatte de n’exploiter personne, parce que je me tiens prêt à renvoyer l’ascenseur; mais il est de fait qu’on m’a fourni pas mal d’aide, notamment à déménager, que j’ai peu ou point rendue. Et qu’un jour que ma sœur me sondait pour je ne sais plus quel projet de papy-sitting en alternance, sans franchement me dérober, j’ai dû répondre en substance que ça me bottait fantastiquement peu, l’Inspiration risquant de se mettre en grève. Bien sûr cette priorité irrite ou fait sourire, de la part d’un pauvre con que les Muses n’ont jamais visité qu’en rêve; mais après tout on n’est pas obligé de penser qu’un tel résultat était écrit d’avance, et du reste même un fada a bien le droit d’accorder à son activité unique toute l’importance que les autres, presque unanimes, lui refusent. Il y a un truc que les profanes, qui devraient pourtant savoir ce que c’est que n’avoir pas d’idées, ne semblent pas comprendre, c’est qu’un mois perdu, dans ce boulot, c’est beaucoup plus qu’un mois perdu. Même un Stephen King, qu’on ne peut pas taxer de constipation,  déconseille dans je ne sais plus quel bouquin (j’avais dû l’emprunter à la bibli, impossible de mettre la main dessus) de s’offrir deux semaines de vacances in medio opere : au retour, on ne croit plus à ses personnages. Et même sans personnages crédibles, si je ne jouissais pas de jours intégralement vides, je crois qu’il m’aurait fallu un siècle pour produire les mêmes merdes, ou pis encore, ou rien du tout : le décollage prend plus de temps que le survol d’un océan. Tueur d’âmes, le Buû que j’avais réussi à extraire du caveau en novembre, n’aura pas survécu à l’enterrement de papa + séquelles : l’idée d’y revenir me fiche la nausée. – Ouais, mais si c’était Les frères Karamazov… – Pas évident du tout : je crois les chefs-d’œuvre aussi fragiles que les nanards. – Admettons. Mais à présent que tu prétends avoir compris… – Compris que je me suis toujours trompé? Un peu maigre pour me dissuader de finir! Cela dit, j’espère être davantage aux aguets d’appels au secours…

 

 

[1] Il en a reçu 6,5!! Mon has-beenat se confirme.

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