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Inventaire avant liquidation

[Désarroi face à la puberté]

19 Février 2017 , Rédigé par Narcipat Publié dans #56 : Peter Pan?

    Mais voici que la puberté nous pose la quatrième pierre angulaire, le “conflit à l’égard du rôle sexuel”, qui semble taillée dans un nuage un peu plus consistant que les trois premières. Kiley, à son ordinaire, commence par citer le Peter Pan de Barrie, qui cherche une maman dans sa partenaire, et ne comprend même pas ce qu’elle pourrait être d’autre. Digression sur les Wendy qui se conforment au rôle, et les Clochette qui s’en émancipent. Brève évocation du cas d’un garçon, réel celui-là, qui ne sait comment s’y prendre avec les filles, quelle attitude adopter avec elles et devant les copains, auprès desquels (quoique SPP, apparemment) il passe pour un “vrai mec”. « L’impuissance naît d’un déchirement entre deux tentations. La pulsion sexuelle pousse à rechercher de nouveaux rapports avec les filles; l’insécurité, à chercher refuge dans les jupons de maman. Le conflit à l’égard du rôle sexuel condamne le garçon à l’inaction. Son approche de la sexualité n’est ni particulièrement positive ni particulièrement négative, elle n’est tout simplement pas. » (Quoi donc serait plus “négatif”, on se le demande!) Puis, comparaison entre les SPP des fifties et ceux des eighties, nettement plus désemparés : « Tous deux souffrent d’être coincés dans un rôle impossible à modifier et d’une piètre capacité à prendre des risques. Tous deux ont peur d’être rejetés, en particulier par les femmes. Toutefois, la victime actuelle a encore moins de confiance en elle-même, car elle a, bien plus que celle d’il y a vingt-cinq ans, connu paresse, permissivité et abondance. » On distingue assez mal ce que viennent faire là la paresse et l’abondance, mais je ne saurais que convenir du rôle pernicieux de la permissivité, pour ceux qu’elle ne confronte qu’à l’impotence : quand on a le droit de tout faire, on ne peut s’en prendre qu’à soi de ne pas y arriver. Dans une société où les relations sexuelles hors-mariage sont punies de mort, on se ronge peu, je présume, d’être un conquérant piètre ou nul. Et je suis persuadé que la mixité scolaire, rare en ce temps-là, que j’ai connue de la quatrième à la première, n’a pas peu contribué, quoiqu’enchanteresse dans une certaine mesure, à gripper et bloquer mon développement, l’adaptation superficielle à un rôle pseudo-viril et guerrier ayant d’ailleurs dit son mot au mauvais moment. Mais poursuivons, en comparant les boums “à l’ancienne”, avec rôles bien tranchés, à celles que nous aurait values la libération de la femme : des unes comme des autres je n’ai eu d’avant-goût, avant le bac, qu’aux fêtes du lycée (encore ne me souviens-je que d’une, et de deux danses avec Claire, qui furent pour longtemps l’ἀκμή de ma vie), puis, après dix-sept ans, dans quelques bamboches khâgneuses, où, invité comme par erreur, je faisais tapisserie et me rabattais sur les alcools, incapable de mesurer mes cuites, de sorte que je me retrouvais immanquablement “couché dans la baignoire avec mes vomissures”, aux aguets du “défilé des minets et des belles” qui s’isolaient un instant pour “mentholer leur haleine ou graisser leur aisselle / d’un stick déshonorant” : chansonnette “de jeunesse” fallacieusement titrée Mes seize ans, et dont le contenu aurait pleinement convenu à mes dix-huit, voire à mes vingt ou vingt-cinq, si je n’étais alors entré dans une grotte dont ne me tirerait que Chantal, en quête de n’importe quel mari… À vingt-cinq ans, non seulement j’étais puceau, mais je n’avais jamais embrassé une fille : voilà qui creuse tout de même un fossé visible entre mon cas et celui du SPP kileyien, qui va réagir à son “conflit de rôle” en emballant un max de nanas. « Il est donc tout à fait accepté qu’une fille s’affirme et se montre indépendante, mais pas du tout qu’un garçon soit passif et dépendant. » Et quand bien même sa partenaire l’accepterait tel, le difficile est de s’accepter soi-même. Cette simplification n’est pas tout à fait caricaturale, et il faut bien admettre que cette question du rôle ne m’a pas été épargnée : je n’aurais pu aimer, ni peut-être même désirer, une femme qui aurait revendiqué son droit au désir, au plaisir et au choix, qui m’aurait donné des ordres; une initiatrice âgée, par exemple; et cependant, je ne voulais pas entendre parler de séduire, sans doute parce que je m’en pressentais incapable : il fallait que le choix fût réciproque, que l’élue sût “depuis toujours”, comme vice-versa, que c’était moi, rien que moi, et nul autre – et qu’elle fît non seulement les premiers, mais tous les pas? Il est avec ce schéma basique tous les accommodements de la semi-conscience, mais en gros, oui, mon aspiration à la dépendance dominatrice était contradictoire en soi – sauf que c’est à peu près celle du nouveau-né vis-à-vis de sa mère.

    Je me demande parfois si les questions fugitives mais tenaces que je me suis posées sur “mon homosexualité” ne constituaient pas un écran et une voie de dégagement (d’autant plus commode qu’il ne me venait pas la moindre velléité de “concrétiser”) offerts à la taraudante certitude de n’être jamais aimé de retour, et de mourir sans avoir connu “la chaleur d’un corps” : je me sentais moins mortifié que ma chasteté forcée provînt d’un dévoiement secret de mes goûts que de mon délaissement-pour-indignité. Il n’empêche que cette dépendance qui me structure, et qui prête à la partenaire le rôle de me faire être, ne correspond pas à ce qu’il est convenu de tenir pour “virilité”.

    Quand j’entrai en quatrième dans cette annexe internationale du lycée, et tombai amoureux du visage et des yeux de Claire le premier jour, ou peu s’en faut, il me semble que l’essentiel de ma stratégie défensive était en place depuis longtemps : mon œil crevé de naissance, mon “délir’ de sal’ gueule”, expliquait à merveille la haine que m’avait vouée ma mère, et, plus vaguement, les échecs sociaux et une relative médiocrité scolaire ; désespérais-je pour autant d’être aimé? Le paradoxe, c’est que cette malédiction originelle, disons son mythe, avait mis un certain temps à se mettre en place, et qu’en amour j’avais été plutôt précoce, puisqu’à six ou sept ans, avec une petite “Annie Blanchet” (je doute que le rapprochement Claire-Blanche soit significatif, mais va savoir) nous parcourions la baraque en tous sens en scandant : « Nous allons nous marier! » Ce béguin-là au moins fut bilatéral, puisqu’Annie, du dire de ses parents, donnait mon nom à toutes ses poupées. Ma cousine Catherine l’avait suivie, même si dans son cas la réciprocité ne me serait révélée que des années plus tard. Comment l’amour s’est-il associé au pessimisme? Il me semble que dès le syllogisme originel du coup de foudre (« Elle est merveilleuse, or je suis extraordinaire, nous sommes donc faits l’un pour l’autre ») j’ai su que non seulement Claire ne voudrait pas de moi, mais que je n’oserais même pas l’informer de la passion dont elle était l’objet, et qui se réfugiait sciemment… au pays de Jamais Jamais? Évidemment, il est un peu facile de résumer ainsi sept ans, dont cinq “en présence”, et la seule excuse de revenir à cette histoire rabâchissimée serait d’en extraire un peu de neuf. L’avoir toujours su allège un peu le déboire, et de fait, quand elle s’avéra sensible… à un autre, quand je la vis lui obéir, il est difficile de dire où se réfugia la prédestination. À eux son corps, à moi son âme? Un peu simple, et valide seulement dans les simplifications de la chansonnette :

 

C’était la vierge pur’ que l’ désir eût souillée

La fill’ du proviseur si chère au grand Duduche

Ce fumier d’ prof de maths m’a confisqué l’ cahier

Où j’ la rimais crasseus’ mal fringuée moche et cruche

Pour l’égaler à moi faut’ d’oser la choyer

 

Car bien sûr ell’ m’était d’ tout temps prédestinée

Et c’pendant arrang’-t’en j’ me donnais pas un’ chance

J’ me s’rais plutôt flingué que d’ la baratiner

Pour d’mander quoi d’ailleurs un aveu ou un’ danse

Elle a duré un bail ma périod’ de latence

 

Je n’ voyais pas plus loin qu’ le bout d’ mon hyménée

Rabibocher l’amour et la concupiscence

Y suis-j’-mêm’ parvenu après tout’ ces années

D’autr’ étaient plus précoc’ comm’ vous l’avez d’viné

Et ell’ n’était pas d’ bois ma p’tit’ fleur d’innocence

 

Alors quoi tant bien qu’ mal l’idyll’ s’est adaptée

C’est moi qu’avais son âm’ et eux seul’ment son corps

C’ délire il faut l’avouer n’était pas d’ tout confort

Le trait’ment du réel exigeait du doigté

C’est sans dout’ grâce à lui que m’ voilà si futé

 

Clair’ Clair’ un’ vie plus tard j’ pig’ toujours pas tes choix

Pourquoi ne m’aimer pas Mad’moisell’ l’impudente

Et aux doigts d’ ce gorille entrelacer tes doigts

Préférer un quidam au Molière ou au Dante

Que j’ s’rais sûr’ment d’venu si t’avais fait cas d’ moi

 

D’accord j’étais trop jeun’ mais c’ défaut-là s’ répare

Cert’ j’étais plutôt laid mais d’autr’ en ont voulu

Soit j’étais prétentieux mais guèr’ plus qu’ la plupart

Okay j’étais méchant mais c’est par désespoir

Si j’ n’ai pas plus valu c’est faut’ de t’avoir plu

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