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Inventaire avant liquidation

[La recherche histrionique de la vérité]

9 Octobre 2016 , Rédigé par Narcipat Publié dans #54 : Parano?

– Mettons parfois, et plus qu’avec les chair-et-os. J’ai le droit de le dire, car je me suis opiniâtré fort longtemps à “en découdre jusqu’au bout” avec tous les bretteurs qui ont bien voulu se présenter, et les premières fois où j’ai baissé pavillon devant l’incompréhension ou le mensonge, un grand pan d’espoir s’est écroulé. Est-ce que j’essayais de changer? Sans doute pas. Mais j’en prenais le risque. En réalité, je visais à l’emprise, non tant à convaincre qu’à compter : en expliquant à eux-mêmes mes interlocuteurs et mes correspondants, par ce que je croyais avoir saisi de moi; en battant en brèche leur pensée encroûtée, chaque fois que j’y voyais jour; au fond leur laissant le mauvais rôle de fournir des faits, de répercuter la doxa, et enfin d’accuser réception de mes trouvailles. [Au départ, je n’étais demandeur que de platitudes sur quoi rebondir, ou de matériaux de construction, et encore, point trop! Mes chères petites idées iconoclastes n’ont pas grande confiance en elles, elles sont faites pour la montre et la distinction. Ce qui a une chance sur deux d’arriver, je le prévois une fois sur deux… ou trois! Je me pique de tenir compte de tout ce que je vois, de tout ce qu’on me dit, mais je ne regarde guère, et réclame peu de confidences, en faisant d’ailleurs bon marché, au chef que “les gens” mentent, se mentent, et ne voient, n’entendent, ne lisent que ce qu’ils ont déjà dans la tête. Mon siège n’est pas fait avant qu’ils n’aient ouvert la bouche ou pris la plume, mais leurs propos sont dûment relativisés, ne m’intéressant que par la lecture que j’en puis effectuer et le gré qu’on me saura d’elle. C’est drôle comme ça vient mieux tout à coup! Les doigts, gourds quand je me loue, volent sur le clavier quand je m’engueule! Comment expliquer cet enthousiasme? Par le simulacre de dépassement de soi et d’accession au divin? L’autosatisfaction m’enferme dans un moi étriqué, qui n’existe que pour lui; l’autodénigrement me dilate, prouve l’ouverture par l’aveu même de la fermeture, et me donne un ersatz d’être-pour-autrui. Masochisme, oui, mais de parade : je ne te laisse qu’une latitude, celle de me défendre contre ma propre agression; mais réplique-moi : « En effet, tu es bien con, infâme et malheureux », et attends voir le retour de bâton!]

– Ce que je te répliquerai, une fois pour toutes, c’est que tu as déjà dit tout ça, que ça ne vaut pas le bis, a fortiori le ter ni le quater.

– Oui, c’est l’indice de sénilité le plus patent, et d’autant plus que ce qui précède sonne plutôt digressif : je ne sais si je m’en souviens, mais il me semble que ces élucs me paraissaient neuves au tapotage… ce qui les situerait avant la quasi-totalité de l’Inventaire. Collons des crochets aux quinze ou vingt dernières lignes, en vue d’une procédure d’élimination, et poursuivons, bien que je craigne un peu que la suite tombe dans le même travers…

    On a souvent vitupéré mon influence sur les adolescents, que nul n’eût seulement remarquée, si j’avais chanté les cantiques en usage, exercé la même influence que les parents, les profs et la télé. Semblablement la psychorigidité n’est perçue comme telle que si la thèse diverge et dérange. Un mec normal bétonne dans le même lotissement que les autres. Se raidir, c’est construire à l’écart.  La dictée des tréfonds prime, mais il se peut que le contre-pied y règne; et même si l’on a eu tort d’en faire le principe de ma pensée, il était bien celui de l’expression : à quoi bon répéter ce que tout le monde dit et sait?

– Comme ici même, ha ha. Tu étais un peu plus percutant quelques lignes supra, quand tu accusais tes idées (dont, soit dit entre parenthèses, l’indépendance ne saute pas aux yeux) d’être, en somme, purement ostensives : n’est-ce pas plutôt cela qu’il faudrait creuser? Est-ce que tu cherches vraiment à comprendre le monde et toi-même, ou d’abord à te distinguer du voisin, et à t’agréger par là aux “grands écrivains”, que tu définis toi-même par l’originalité de leur vision, et non certes par sa pertinence? Je le crois bien, que tu ne désires pas convaincre! Que resterait-il de ta différence? Si tu vises prioritairement au bizarre, et si le vrai n’est qu’un supplément, il n’est guère surprenant que tu t’emploies surtout à protéger ton édifice des faits et de la pensée des autres!

– Encore l’a priori, mais bah, admettons. Admettons que l’appel au dialogue fût truqué. Quel plaisir pourtant, d’entendre sonner un « T’as raison », et, non moindre peut-être, de lire l’argument qui fout mon laïus à bas! Plaisirs fort rares, mais qu’il me semble avoir recherchés, et nullement boudés lorsqu’ils se présentaient… Après tout, l’acquiescement et la réfutation, eux aussi, vous distinguent, et vous prennent au sérieux.

    Je ne nie pas mon orgueil, que je prétends avoir laissé loin derrière, mais que sans doute je me suis contenté d’aménager, reconnaissant que la nature ne m’avait pas plus gâté au mental qu’au physique, mais postulant qu’à force de cogiter et d’écrire, au lieu de copuler et de compiler, de trimer au lieu de jouir, ce serait justice de finir par tirer le maximum de mes tristes ressources – sans trop y croire, cependant, et peut-être pas du tout. Je ne me suis montré inventif et spirituel qu’en milieu favorable, quand je croyais sentir une attente, a fortiori une sympathie. La solitude est un laminoir, surtout quand on la présume définitive. À mesure qu’on collectionne les flops, il est de plus en plus difficile de croire en soi, à moins de s’émanciper de tout verdict; et alors, qu’importerait le produit fini? Or c’est lui, et lui seul, qui est censé me représenter : cache ta vie! ferme ta gueule! la volonté de paraître le meilleur s’est largement substituée à la conviction de l’être, bien qu’elle n’ait pas réussi à lui tordre le cou, et qu’assurément, sauf quand je doute de mon jugement même, je persiste à me situer bien au dessus de la populace.

    Mais enfin, ce n’est pas cette auto-évaluation qui me distinguera d’elle! 90% des gens, sommés de se situer… Bon bon bon… Pas à dire, c’est, dans l’après-coup, du ressassement éhonté, et en outre on perd un peu de vue la parano elle-même… Je retombe dans cette plaie des brouillons froids, presque aussi vieille que l’écriture même. Ça me fait gros cœur de sabrer une tirade assez vivement troussée, mais enfin il y a quatre mille pages que mon outrecuidance, ni la vôtre, ne requièrent plus d’être établies! Alors, tchaaac! […]

– Résume, au moins, qu’on se rende compte!

– Les deux voies de la surévaluation narcissique. Chant fécal et bêlement lénifiant. Mouah et “les gens”. Consumérisme et prétention à l’originalité : « c’est depuis qu’on ne fait plus ses robes qu’on se pique d’en porter qui ne ressemblent à aucune autre; on titille la fibre de votre différence pour vous vendre une bagnole de série, et je suppose que ça roule, attendu comme vous vous en rengorgez ensuite », etc. Abysses de cette pensée qui, en bêlant en chœur et à l’abri de tout péril, s’imagine braver des tabous. Après quoi on distinguait l’orgueil boulimique, facteur d’amélioration en ce qu’il reconnaît l’Autre, et pousse à s’approprier ce qu’il possède; de l’orgueil de refus, qui nie ce qui lui échappe, et ne mène qu’à la déchéance ou à la stagnation.

– Le tien.

– Probablement. En tout cas, d’après mes promenades, le plus répandu.

– Tu le suscites autour de toi.

– Je n’ai pas un tel pouvoir; et je te parle là de ce que j’observe sans paraître le moins du monde, sur Internet par exemple.

– Je pourrais rép - Non, basta.

– Tu dis ce que tu veux! Enfin, ce que tu peux.

– Va! Perds rien pour attendre!

– Alors, suivait la question rebattue : est-ce qu’on s’imagine primer? ou s’y efforce? ou s’efforce de donner l’impression qu’on prime? Oh, quand même, il y a de ces phrases, ça me fait gros cœur de les jeter…

– Tu les resserviras ailleurs.

– Pour plomber un chapitre de plus! Ah non, merde! Je préfère encore les citer : « la plupart du temps on parvient à héberger cette contradiction sans trop de chamaillis, à se voir en paon tout en espérant le devenir, et en empruntant des plumes à droite et à gauche pour en donner l’illusion. Qu’on se flatte de serrer de plus près ce qui aurait dû être en déformant ce qui fut, ou qu’on croie à ses propres impostures quand elles vous reviennent réfléchies par l’œil d’autrui, c’est merveille comme on arrive à escroquer la considération tout en se persuadant qu’on la mérite. »

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